Impressions d'architecture
Publié le 20 avril 2018 | Par Martin Dubois
Dessine-moi un stationnement étagé
Qui aurait dit que garer des voitures peut être synonyme de beauté et d’innovation? La construction de 2 stationnements étagés au centre commercial Place Ste-Foy, dont la phase 1 a remporté un Mérite d’architecture de la Ville de Québec en décembre dernier, ainsi que celle du nouveau stationnement de la place des Canotiers, aussi primé à plusieurs reprises, m’ont donné l’idée de vous entretenir de ce type de bâtiment.
Même s’ils sont peu nombreux à Québec, les stationnements étagés sont souvent associés à des structures en béton laides et sans intérêt, un mal nécessaire qu’on ne veut pas voir ériger dans son quartier. S’il est vrai que les stationnements étagés des années 1950 à 2000 sont généralement peu intéressants d’un point de vue architectural, il en est tout autrement de la nouvelle génération, apparue ces dernières années.
Une meilleure intégration au milieu, une recherche d’originalité dans l’habillage des structures et l’apport de composantes artistiques en font des structures qui mettent en valeur leur milieu plutôt que de le détériorer ou de le banaliser. Voici quelques-uns de mes coups de cœur en matière de stationnement étagé.
Le stationnement Odéon
Ce projet, réalisé en 2002, consistait à rénover et à mettre aux normes un stationnement étagé désuet du quartier Saint-Roch, construit dans les années 1960 et adjacent à un cinéma aujourd’hui démoli. Les architectes Bernard et Cloutier ont accordé une attention particulière au traitement des façades afin de transformer cette construction austère et massive en un bâtiment animé et coloré s’intégrant mieux à son environnement, alors en pleine revitalisation.
L’introduction de modules de maçonnerie en argile, posés de manière à ce que leurs cavités internes soient exposées aux regards et entrecoupés de parois inclinées formées de lamelles d’aluminium et de verre, a eu pour effet de réduire l’impact visuel du stationnement. Ces surfaces ajourées masquent les anciens parapets bétonnés tout en assurant une ventilation naturelle et une barrière acoustique efficaces. Le soir venu, lorsque la lumière traverse ces différents filtres, l’effet est saisissant.
L’agencement des parois procure un rythme dynamique, de concert avec les volumes colorés et les œuvres de l’artiste Florent Cousineau. Ces dernières se déclinent de 3 façons: Heure de pointe orne les lamelles translucides de motifs de véhicules dont les ombres s’impriment sur le béton par temps ensoleillé; Chevelure perdue est composée de plusieurs panneaux d’acier Corten et de béton flexible contenant des graminées battant au vent, accrochés comme des tableaux sur la façade de la rue de la Chapelle; enfin, du côté de la rue Sainte-Marguerite, l’œuvre verticale La fraye est constituée de panneaux d’acier Corten perforés de motifs de poissons.
L’architecture et l’art se conjuguent ici pour transformer un stationnement étagé banal en structure imaginative et singulière.
La Falaise apprivoisée
Implanté contre la falaise qui relie la haute et la basse ville de Québec, ce complexe comprenant 36 unités d’habitation, quelques espaces commerciaux, des ateliers d’artistes et un stationnement étagé de 200 cases est situé à un carrefour très achalandé. Passage obligé de la circulation automobile, du transport en commun et des piétons à la jonction des rues Arago, Saint-Vallier, Dorchester, de la Couronne et de la côte d’Abraham, le site constitue une plaque tournante de ce milieu urbain.
C’est essentiellement pour accommoder les occupants des immeubles de bureaux situés à proximité qu’un stationnement était nécessaire à cet endroit. Par ailleurs, grâce à la location de ses espaces, on a pu rentabiliser la construction de l’immeuble d’habitation adjacent.
Inauguré en 2007 et conçu par l’architecte Pierre Martin, en collaboration avec l’artiste Florent Cousineau, l’immeuble La Falaise apprivoisée possède une architecture particulière qui s’inspire fortement du roc devant lequel il est aménagé. Des bandes d’acier Corten courbées, mesurant 5 pieds de hauteur et 30 pieds de longueur, se chevauchent et viennent animer sa façade au caractère organique.
Au départ, celle-ci devait être agrémentée d’un ajout plus important de verdure pour contraster avec la couleur de l’acier, de la terre et du roc de la paroi naturelle. Malheureusement, pour des raisons techniques, les végétaux n’ont pu s’accrocher que timidement à cet escarpement orienté plein nord.
Une toiture végétale a toutefois été réalisée. Des percées dans des bandes d’acier rythment la devanture tout en ventilant adéquatement l’intérieur du stationnement. Le soir, ces personnes s’illuminent, créant un bel effet. Le puits de circulation verticale, qui comprend un escalier et un ascenseur aux parois de béton peintes en rouge et incrustées de motifs arrondis, est intégré dans un volume de verre aux formes organiques. Ces dernières reprennent l’apparence des strates rocheuses du cap Diamant. Il en résulte un projet tout à fait novateur et unique qui participe au dynamisme retrouvé du quartier Saint-Roch.
La place des Canotiers
Longtemps occupé par un vaste stationnement de surface, le site qui accueille aujourd’hui la place des Canotiers ouvre, depuis 2017, une nouvelle fenêtre sur le fleuve et offre un site d’accueil plus convivial pour les croisiéristes.
Pour des raisons techniques, étant donné la grande proximité de la nappe phréatique, il n’a pas été possible d’enfouir le stationnement sous terre à son emplacement original. Il a donc été décidé d’en construire un étagé et contigu, ce qui a permis de libérer une bonne partie du site à des fins d’espace public. Le défi d’intégration était grand étant donné que le lieu emblématique est situé au pied du Vieux-Québec, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
L’équipe de concepteurs, formée de Daoust Lestage et d’ABCP, l’a brillamment relevé. Le stationnement de 4 étages est en grande partie camouflé par un mur artéfact qui s’inspire des lattes verticales des quais de bois qu’on trouvait au 19e siècle dans ce secteur. Cette paroi en strates, interprétée de façon contemporaine, compose, en quelque sorte, la façade verticale de la place qui jouxte le stationnement. Elle accueille un escalier qui relie les différents niveaux du bâtiment, tel un long parcours cadré au milieu de jardins suspendus, et qui conduit à un belvédère perché sur le toit végétalisé. De là, on peut profiter d’une vue panoramique sur le fleuve, la place et la ville.
Du côté de la rue Dalhousie, la façade épurée est composée de fines lamelles horizontales de pierre calcaire pour faire écho au Musée de la civilisation, situé en face. Les 2 autres murs du bâtiment, dont celui côté fleuve, sont constitués de béton dénudé, comme pour simplement afficher en envers du décor une structure portuaire fonctionnelle, sans autres artifices. C’est, selon moi, la seule faiblesse du projet; ces façades, qui contrastent avec les 2 autres, auraient mérité un traitement un peu plus raffiné.
Cela dit, on a tout de même pris le parti de dissimuler le stationnement étagé derrière le mur artéfact, véritable rappel du passé du lieu, afin que tous les regards se portent sur la place des Canotiers plutôt que sur cet édifice à la fonction ingrate.
Place Ste-Foy, phases 1 et 2
Les derniers-nés des stationnements étagés à Québec sont ceux du centre commercial Place Ste-Foy, implantés le long du boulevard Hochelaga. Conçues par la firme Coarchitecture, ces nouvelles structures –la phase 2 est toujours en parachèvement– présentent plusieurs innovations, dont les façades expressives, résultat d’un parement modulaire spécialement développé pour ce projet.
L’idée, ici, était de dissimuler complètement les véhicules stationnés tout en offrant un maximum de ventilation naturelle. La géométrie de cet habillage, composé de 2 couches superposées, évoque à la fois une forêt urbaine et un textile de dentelle haut de gamme qui rappellent le logo du centre commercial (un chêne) et son produit de mise en marché principal (des articles de mode). Des coques en 3 dimensions en béton fibré ultra performant ont été disposées aléatoirement sur une première couche en aluminium aérée, délicate et colorée. Malgré la répétition des éléments, le tout forme une grille dynamique et une mosaïque de couleurs qui font oublier qu’il s’agit d’un stationnement. L’approche architecturale basée sur l’art vient ainsi contribuer à la qualité du paysage urbain.
Parmi les autres innovations associées aux 2 phases de ce projet, notons des capteurs numériques pour identifier les places vacantes, des panneaux qui annoncent ces espaces en temps réel et l’installation de bornes de recharge pour les véhicules électriques.
Le confort et la sécurité des piétons ont été au centre des préoccupations des concepteurs. Ainsi, des axes de circulation conviviaux comme des escaliers vitrés, des passerelles piétonnes et de larges marquises aux entrées ont été pensés en fonction des usagers. Différentes mesures écoresponsables ont aussi été intégrées au projet, telles que des places de choix réservées aux vélos et aux véhicules électriques, une bonne gestion des eaux pluviales, des aménagements paysagers écologiques ainsi qu’un éclairage d’une haute efficacité qui réduit la pollution lumineuse.
Bref, ce projet démontre que même un stationnement étagé peut être distinctif, esthétique, performant et respectueux de l’environnement si on se donne la peine de le concevoir intelligemment.
En conclusion
Tous ces stationnements étagés ont en commun de répondre à un besoin simple –garer des automobiles– de manière recherchée et raffinée. Ils tiennent compte des contraintes qui leur sont associées –ventilation naturelle, éclairage, sécurité et confort des piétons– tout en se démarquant du point de vue de l’expression architecturale. Leurs concepteurs sont arrivés à des solutions complètement différentes pour chacun des cas.
Pourtant, malgré leurs fonctions semblables, ces stationnements ne pourraient être interchangés tellement ils sont bien ancrés dans leur milieu grâce à leurs références à l’histoire ou à leur lieu d’implantation. Preuve que, lorsqu’en s’en donne la peine, n’importe quel bâtiment, qu’il soit de nature industrielle ou commerciale, peut être un apport positif au paysage bâti.
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Publié le 1 mai 2019 | Par Benoit Thibault
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