Impressions d'architecture
Publié le 17 décembre 2013 | Par Martin Dubois
Mon pays… c’est l’hiver
En ce dimanche de tempête hivernale, alors que je m’apprête à écrire ce billet, je ne peux m’empêcher d’aborder le thème de l’influence du climat sur notre architecture, et plus particulièrement du froid et de la neige qui ont façonné nos paysages bâtis. Comme partout ailleurs sur la planète, le climat est l’un des principaux facteurs qui influencent l’architecture. Qu’on se protège de la chaleur ou du froid, de la pluie ou de la neige, du vent, de l’humidité ou du sable, les bâtiments doivent s’adapter à des conditions parfois extrêmes, ce qui génère des formes particulières, souvent propres à une région. Cela est surtout vrai pour l’architecture traditionnelle, fruit de plusieurs siècles d’adaptation, d’essais et d’erreurs, qui conduisent à des formes vernaculaires distinctives. En ce sens, l’architecture traditionnelle québécoise est tout à fait unique et bien adaptée à l’hiver.
Une nécessaire adaptation
Lorsque les premiers Européens arrivent en Nouvelle-France, ils apportent leur tradition de construire: des maisons en pierre peu isolées et coiffées de hautes toitures en pente. Le climat de la France étant beaucoup moins rigoureux que le nôtre, les premiers colons doivent assez rapidement adapter leurs maisons à nos longs et rudes hivers. Ainsi, au fil des générations, les ouvertures sont réduites au maximum, autant en quantité qu’en dimension pour éviter la perte de chaleur. On les dote de volets ou de tentures pour couper le vent. Puis, les châssis doubles deviennent la norme pour créer un espace d’air isolant entre les 2 vitres. Seuls les rez-de-chaussée des maisons sont habités, car il est difficile de chauffer les combles. De grands âtres ouverts constituent l’unique moyen de chauffage, mais demeurent peu efficaces. Pour y suppléer, les maisons sont orientées au sud pour profiter du chauffage solaire passif et des annexes –cuisine d’été, remises, laiterie– sont adossées à la maison pour la protéger des vents dominants. On s’attarde à colmater toutes les fuites pour éviter que l’air froid ne s’infiltre à l’intérieur. Les finis intérieurs (crépis, enduits, tissus) servent en quelque sorte d’isolants, mais sans grande efficacité.
Avec l’arrivée des Britanniques à la fin du 18e siècle, les conditions continuent de s’améliorer. La tradition anglaise de construire avec une charpente entièrement en bois permet une meilleure isolation à partir de matériaux naturels: fibres textiles (jute, laine, étoupe), poils d’animaux, bran de scie, etc. En multipliant les cheminées et en introduisant des poêles à bois, beaucoup plus efficaces pour se chauffer, on améliore aussi le confort thermique. On développe également au 19e siècle le chauffage central dans les maisons: une fournaise ou une chaudière au charbon qui chauffe l’ensemble du bâtiment.
L’allongement des toitures, en recourbant les larmiers, ainsi que le surhaussement de la maison du sol, en aménageant une cave, permettent d’éloigner l’eau des murs et de couper l’humidité du sol, rendant ainsi le bâtiment plus confortable. Les Anglais apportent aussi une certaine élégance aux maisons en ordonnant de façon symétrique les ouvertures et en appliquant des ornements classiques. L’apparition des galeries, lieux de transition entre l’intérieur et l’extérieur, permet également de se prélasser à l’ombre durant l’été tout en observant le paysage.
Il en résulte, au milieu du 19e siècle, un modèle de maison typiquement québécois, fruit d’un mélange d’influences françaises et anglaises et d’une ingénieuse adaptation à nos conditions climatiques. La maison traditionnelle québécoise d’inspiration néoclassique est donc l’exemple par excellence d’une architecture vernaculaire, c’est-à-dire propre à une région, à un pays. En effet, ce modèle n’existe pas ailleurs qu’au Québec en raison des conditions particulières, autant culturelles qu’environnementales, qui ont façonné notre territoire.
Il est un peu dommage que, dans la conception des bâtiments d’aujourd’hui, on tienne si peu compte des facteurs climatiques. Bien sûr, les bâtiments sont bien isolés et chauffés par des moyens mécaniques et artificiels. Toutefois, l’orientation des bâtiments, la disposition judicieuse des ouvertures par rapport au soleil, la protection des vents dominants et le choix d’une volumétrie permettant de mieux contrôler les accumulations de neige pourraient tellement, de façon naturelle, augmenter la performance de nos bâtiments tout en les intégrant davantage dans leur environnement. Le savoir-faire de nos ancêtres en cette matière s’est perdu. On aurait pourtant beaucoup à apprendre de leurs enseignements!
Quelques arpents de neige
Il est fascinant d’observer certains détails dans l’architecture qui sont spécifiques à un pays d’hiver comme le nôtre. Et je ne parle pas ici de l’architecture éphémère comme l’hôtel de glace ou le Palais de glace du Carnaval d’hiver de Québec, de belles traditions qui allient architecture et nordicité. Je fais plutôt référence à des détails dans la conception de cheminées, de portes et de fenêtres ou de galeries bien adaptées à nos hivers.
Comme plusieurs touristes, je trouve toujours impressionnant le déglaçage des toits en pente du Vieux-Québec, après une tempête, par des hommes-araignées qui pratiquent un métier assez unique. Ces toitures en pente, trait caractéristique des pays nordiques, sont justement conçues pour que la neige glisse toute seule sans que son poids n’affecte les structures. Toutefois, dans les quartiers anciens comme le Vieux-Québec où les bâtiments placés près des trottoirs possèdent des toitures en pente revêtues de tôle traditionnelle peu adhérente, il est aujourd’hui exigé par règlement que les toits soient équipés de garde-neige ou d’arrêts de glace à leur base pour éviter que la neige et la glace tombent sur la tête des passants. L’installation de fils chauffants à la base du toit est un autre moyen d’éviter les accumulations de glace qui peuvent être dangereuses pour les piétons.
Une exclusivité architecturale
L’intégration de retailles métalliques de lames de patins dans la composition des rampes, des garde-corps, des colonnes et des contremarches de galeries est aussi une caractéristique exclusive de l’architecture résidentielle de la région de Québec. Cette particularité architecturale se répand dans les années 1940 et 1950 avec l’entreprise artisanale Saint-Laurent Métal de Giffard qui fabriquait des lames pour les patins. Les artisans du métal (ferronniers, ferblantiers) récupéraient les retailles et les intégraient à leurs ouvrages pour former de belles dentelles décoratives. On en retrouve notamment une bonne concentration dans le quartier Limoilou. Quelle merveilleuse relation entre l’architecture et notre climat nordique! Il n’y a qu’une ville d’hiver comme Québec pour présenter ce type d’ornementation lié à la glace dans son architecture.
D’un point de vue urbain, toutefois, nos rues et nos quartiers sont rarement configurés en fonction de l’hiver. À part quelques patinoires comme celle de la place D’Youville, peu d’espaces publics sont conviviaux lors de la saison froide. Nous concevons toujours en fonction de l’été alors que nous sommes sous la neige pendant presque la moitié de l’année. À ce titre, les Scandinaves ont beaucoup à nous apprendre. Ces peuples profitent beaucoup plus de l’hiver à l’extérieur en raison d’aménagements urbains mieux conçus comme des cafés-terrasses ensoleillés ou chauffés ainsi que des places bien abritées du vent. Une vraie ville d’hiver n’est pas seulement un endroit où il fait froid et où il neige abondamment. C’est surtout une ville qui adapte son architecture et ses lieux pour apprivoiser la saison froide et tirer parti de ce que celle-ci nous offre afin de ne pas «s’encabaner» durant des mois.
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