Impressions d'architecture
Publié le 25 mars 2013 | Par Martin Dubois
Quand le passé est récent
Lorsqu’on pense au patrimoine bâti ou architectural, ce qui nous vient généralement à l’esprit, ce sont de vieux bâtiments, des structures anciennes en pierre, en brique ou en bois qui témoignent souvent de plusieurs siècles d’histoire. Il est vrai qu’au Québec, ce patrimoine-là a été maintes fois valorisé et glorifié, que ce soit pour des raisons d’affirmation identitaire, d’interprétation historique ou à des fins touristiques. Le Vieux-Québec en est certainement le meilleur exemple avec sa place Royale, berceau de l’Amérique française, ses nombreux musées et ses monuments commémoratifs qui attirent des millions de touristes chaque année. Mais qu’en est-il du patrimoine plus récent issu du 20e siècle? Le patrimoine industriel de nos villes, les quartiers résidentiels d’après-guerre et les immeubles modernes des années 1960 sont-ils trop jeunes pour posséder une valeur patrimoniale? Si on souhaite léguer aux générations futures des immeubles intéressants ou représentatifs de l’architecture des années 1950, 1960, 1970, etc., il faut y voir dès maintenant, car nous en perdons de très beaux chaque année.
Le patrimoine architectural moderne
Je m’intéresse depuis longtemps au patrimoine architectural moderne. C’était le sujet de mon mémoire de maîtrise il y a déjà 20 ans. Si la protection de ce patrimoine en était alors à ses balbutiements, force est de constater que bien peu de progrès ont été faits depuis. Au Québec, l’architecture moderne correspond à ce qui a été construit après la Seconde Guerre mondiale jusqu’à environ 1975. Si, en Europe, la modernité architecturale est davantage liée à la période de l’entre-deux-guerres, elle s’est développée plus tardivement en Amérique avec l’avènement en force de nouveaux procédés constructifs utilisant le béton et l’acier qui ont favorisé la création de formes architecturales nouvelles qui ne ressemblaient en rien à ce qui avait été construit auparavant.
Car ce qui distingue l’architecture moderne partout dans le monde, c’est justement ce penchant des architectes pour la nouveauté et l’avant-garde, en réaction aux formes du passé qui ne faisaient qu’imiter les formes anciennes en empruntant et en recomposant des ornements et des éléments classiques. On veut alors faire table rase, profiter des avancées technologiques pour créer des bâtiments inédits et des villes plus fonctionnelles, et être tout simplement de son temps. Favorisée par d’importants bouleversements sociaux, un «baby-boom» sans précédent et une période économiquement favorable qui ont généré d’imposants besoins en termes de construction, l’architecture moderne québécoise s’est déployée dans toute sa splendeur. Encore timide dans les années 1950, c’est dans les années 1960 que cette architecture a atteint son apogée avec la présentation de l’Exposition universelle de Montréal en 1967. Le Québec était alors ouvert sur le monde et à toute l’architecture moderne internationale.
Que reste-t-il de cette époque? Est-ce que les bâtiments les plus novateurs et les plus représentatifs sont conservés et mis en valeur? La réponse est non. Il y a bien çà et là quelques bâtiments modernes qui ont été récemment restaurés ou protégés comme témoins représentatifs, et d’autres qui ont bien tenu le coup et répondent encore bien à leur fonction originale, mais en général, ces bâtiments sont en péril. Ils sont rendus à un âge où ils ont besoin de travaux d’entretien, de remise aux normes ou de changement de vocation. Ils sont trop souvent altérés, mutilés ou tout simplement détruits, car on ne leur reconnaît aucune valeur patrimoniale. Plusieurs disparaissent d’année en année, si bien qu’on risque dans quelques décennies de souffrir d’amnésie lorsque viendra le temps de jeter un regard sur l’architecture de cette époque.
Une architecture mal aimée
Mais pourquoi ne considère-t-on pas l’architecture moderne comme du patrimoine au même titre que des immeubles plus anciens? Je crois que la majorité des gens ne peuvent envisager que des bâtiments qui ont à peine leur âge puissent avoir une valeur patrimoniale. La proximité et la notion d’ancienneté sont donc ici des facteurs déterminants. On définit encore beaucoup le patrimoine bâti en termes d’âge même si plusieurs autres critères (usage, histoire, architecture, authenticité, représentativité, identité, contexte) entrent aussi en considération dans le phénomène de patrimonialisation.
Par ailleurs, l’émotion que l’on ressent devant le Château Frontenac, le Vieux-Séminaire-de-Québec ou une vieille maison en pierre n’est habituellement pas la même que devant un pavillon moderne de l’Université Laval ou le complexe G (édifice Marie-Guyart). En général, on trouve le béton froid et laid et les bâtiments modernes franchement dépourvus d’intérêt alors qu’ils reflètent les valeurs de leur époque et qu’ils étaient souvent très novateurs pour leur temps.
Je n’irai pas jusqu’à dire que tous les immeubles modernes sont beaux et intéressants. Comme à toutes les époques, il s’est construit des horreurs et des bâtiments d’une banalité sans nom. Mais il y a aussi des œuvres très représentatives de la modernité architecturale qui sont rafraîchissantes, pleines d’innovations, franchement bien conçues et qui méritent une meilleure attention. C’est le cas notamment de plusieurs pavillons du campus de l’Université Laval, souvent mal aimés, pour lesquels j’entretiens une affection toute spéciale, comme je l’ai mentionné dans un article du Fil intitulé La beauté est dans l’oeil de l’architecte. Par ailleurs, dans son plus récent ouvrage intitulé Patrimoine en devenir: l’architecture moderne du Québec, l’auteure France Vanlaethem fait un bon survol de l’architecture moderne québécoise. Un organisme nommé DOCOMOMO Québec (pour DOcumentation et COnservation du MOuvement MOderne) est même voué à la connaissance et à la sauvegarde de l’architecture novatrice du 20e siècle au Québec.
Je reviendrai assurément sur ce sujet dans un prochain billet pour vous exposer plus de cas de bâtiments modernes qui ont été protégés et mis en valeur, qui sont actuellement en péril ou qui ont été carrément défigurés et démolis par incompréhension ou manque de vision. Il y aura donc une suite bientôt sur le thème du patrimoine architectural moderne.
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