Le rugby, au féminin et au pluriel
En place depuis 2005, l'équipe féminine Rouge et Or de rugby participe avec brio à la montée en popularité de ce sport.
Par Annie Boutet
Bien qu’il compte quelque 5500 joueurs au Québec, le rugby demeure méconnu ici, surtout en comparaison du hockey, du football ou du basketball. Pourtant, il emprunte à toutes ces disciplines. Sport de contact à 15 joueurs par équipe, le rugby consiste à marquer des points au moyen d’un ballon ovale transporté dans la main ou poussé par le pied avec la particularité que les passes se font seulement vers l’arrière ou le côté. L’arrivée de l’équipe Rouge et Or en version féminine a donné un élan au rugby dans la région.
Retour sur une naissance
«Ce projet remonte à 2003, précise Christelle Paré, cofondatrice de l’équipe et joueuse du Rouge et Or alors qu’elle poursuivait ses études en langues modernes. Ma grande amie de l’époque, Sophie Robitaille, avait fait partie de l’équipe provinciale de rugby à l’âge de 18 ans. Nous connaissions bien la discipline en plus d’être toutes les deux des entraîneuses dans le milieu scolaire, où le rugby attirait de nouveaux joueurs chaque année. Autant dans les écoles secondaires que dans le réseau collégial. Amener le niveau supérieur de compétition avec une équipe féminine à l’Université Laval nous paraissait une suite logique.»
Or, d’autres avant elles avaient formulé un tel projet auprès des autorités de l’Université. Sans succès. Mais la proposition de Christelle Paré et de Sophie Robitaille était solide et l’idée a fait son chemin. Pour donner de la crédibilité à leur projet, les deux fondatrices ont approché des figures reconnues du milieu, dont Bill McNeil qui est devenu le premier entraîneur du club.
«Quand j’ai croisé Christelle, j’avais décidé de ne plus coacher le rugby, raconte ce dernier. Mais lorsqu’elle m’a parlé d’une équipe féminine à l’Université Laval, j’ai dit oui sans hésitation. Je savais que c’était un grand pas pour le rugby dans la région. Avec la perspective de jouer au niveau universitaire, les jeunes sportives du secondaire et du collégial allaient démontrer plus d’intérêt.»
À la même époque, le SIC (Sport interuniversitaire canadien) souhaite voir s’établir une équité hommes-femmes dans les sports qu’elle représente. Comme le football n’a pas de pendant féminin, le SIC favorise l’implantation d’équipes de rugby pour les femmes. «Cela a été l’argument décisif auprès de l’Université Laval qui, réputée pour le sport d’excellence, devait faire figure d’exemple», affirme Christelle Paré. Ainsi, de fil en aiguille et avec un concours de circonstances favorables, l’équipe Rouge et Or de rugby voit le jour en 2005.
Zoom sur le terrain
Christelle Paré et Sophie Robitaille ont bien choisi leur homme pour prendre les commandes de l’équipe. Originaire d’Écosse, berceau du rugby, Bill McNeil pratique ce sport depuis 1973. Et il fait graduellement sa marque comme instructeur dans le milieu scolaire de la région montréalaise au cours des années qui suivent. Au tournant des années 1990, alors qu’il devient professeur de philosophie au Cégep Champlain-St. Lawrence de Québec, il importe sa passion dans les écoles de la Capitale.
Bill McNeil se dit fier des joueuses du Rouge et Or et de leurs succès. Depuis 2005, l’équipe connaît un classement impressionnant dans le Réseau du sport étudiant du Québec. À titre d’exemple, l’équipe s’est hissée en première place du Réseau dès sa deuxième année d’existence et s’y est maintenue jusqu’en 2009. Elle a également participé au championnat national canadien à deux reprises.
Des performances notables, à mille lieues du résultat de la première partie. «À notre premier match, en 2005, nous avons encaissé un revers de 93 à 7 contre McGill, l’équipe vue comme la plus coriace de la conférence», se souvient l’entraîneur-chef.
Selon M. McNeil, le bassin de talents est grand dans la région. Et la présence du Rouge et Or dans le circuit exerce son influence. À preuve, le nombre d’équipes dans le milieu scolaire a grimpé de 12, en 2004, à 37 aujourd’hui. Et il compte deux fois plus de niveaux, soit benjamin, cadet, juvénile à 10 joueurs et juvénile à 15 joueurs. Ce développement régional se reflète aussi dans la performance du Rouge et Or: le fait que les filles évoluent ensemble pendant quelques années avant d’enfiler le chandail de l’Université Laval amène une dynamique positive dans l’équipe.
Christelle Paré ajoute que le succès du rugby chez les filles tient aussi au fait que tous les physiques y sont admis, contrairement à d’autres sports d’équipe: «Qu’une fille mesure 5 pieds et pèse 100 livres ou soit plus imposante en taille et en poids, elle trouve son rôle sur le terrain étant donné les nombreuses positions possibles. On a besoin de petites vites, de grandes minces, de petites ou grandes costaudes. On accueille tous les gabarits et tous les caractères. C’est vraiment la beauté du sport ! »
Joueuse étoile de la saison 2010 du Rouge et Or, Charlotte Vallières-Villeneuve abonde dans le même sens en précisant que chaque position appelle une stature et des habiletés techniques particulières. «Mais toutes les joueuses, peu importe leur position, doivent avoir de l’adresse avec le ballon et un système cardio-vasculaire sans faille afin de suivre le rythme du jeu pendant 80 minutes», ajoute-t-elle.
Des préjugés à bousculer
Au dire de Christelle Paré, le rugby féminin, malgré l’engouement grandissant, traîne avec lui quelques idées reçues. «On dit que beaucoup de filles ont un côté tom boy et ce n’est pas vrai, lance-t-elle. Il y a des fifilles exemplaires dans notre sport ! Sur le terrain, nous ne sommes pas vraiment jolies, avec notre protecteur buccal et notre équipement; mais à l’extérieur, nous sommes comme des papillons.»
Du même souffle, elle ajoute que le rugby est le moyen idéal pour se défouler et se dépasser. Cela fait d’ailleurs partie des racines de la discipline. Ainsi, ce sport de contact convient parfaitement aux filles désireuses de s’exprimer et de sortir de leur zone de confort. Selon Charlotte Vallières-Villeneuve, le rugby est même de plus en plus perçu comme le football des filles plutôt qu’un sport de gars.
Question de préjugés à déboulonner, Bill McNeil rappelle que le hockey sur glace est aussi un sport qui plaît aux filles et pourtant, dit-il, personne ne s’en étonne. Bien sûr, le fait que les joueuses ne revêtent pas toujours la totalité de l’équipement protecteur disponible aide à renforcer les craintes de blessures, notamment de la part des parents. C’est pourquoi l’entraîneur-chef répète sans relâche aux joueuses que le rugby doit s’appuyer sur une parfaite maîtrise des techniques afin d’assurer leur sécurité.
Christelle Paré et Charlotte Vallières-Villeneuve en conviennent facilement. Peu importe le niveau, les entraîneurs demeurent pointilleux sur la façon de plaquer et de tomber, ce qui contribue à augmenter la sécurité. «Même si le jeu a l’air violent et dangereux, ça ne l’est pas vraiment lorsque les techniques sont bien appliquées, renchérit Christelle Paré. La zone de risques demeure mince. Le cheerleading provoque plus de blessures que le rugby.»
La vitrine offerte aux Jeux olympiques de Rio en 2016 améliorera l’image de la discipline. Le rugby y sera inscrit comme sport de démonstration, masculin et féminin, en formule à 7 joueurs au lieu de 15 et à deux demies de 7 minutes plutôt que de 40. «Il s’agit d’une forme du jeu plus spectaculaire et plus facile à comprendre, qui commande encore plus de vitesse et d’agilité avec le ballon, estime Bill McNeil. Durant un match de 14 minutes, aucun joueur ne peut se reposer. Ce sont de vraies gazelles.»
Écho positif pour les joueuses et l’équipe
De son passage chez le Rouge et Or, en 2005 et 2006, Christelle Paré retient des bénéfices tangibles, comme un sentiment de communauté extraordinaire et une soif de dépassement. Sa participation à la fondation du club, son rôle de cocapitaine et le premier titre provincial en moins de deux ans d’existence, tout cela constitue pour elle une source d’accomplissement. «J’ai toujours éprouvé une fierté à porter les couleurs de l’équipe et je serai toujours une Rouge et Or jusqu’à la racine des cheveux», avoue-t-elle.
Même son de cloche du côté de Charlotte Vallières-Villeneuve, qui parle d’une valeur ajoutée dans sa vie personnelle. Pour elle, de belles amitiés ont pris naissance avec le rugby. Puis, au quotidien, le mariage du sport et des études permet de maintenir une discipline profitable. Elle affirme même qu’un horaire chargé se révèle plus facile à gérer, même si elle poursuit des études exigeantes en physiothérapie. Aussi, assure-t-elle, l’énorme dose d’énergie tirée de l’entraînement sur le terrain ou en salle de conditionnement physique rejaillit sur tout le reste.
Du point de vue de Bill McNeil, en jouant au rugby, les jeunes femmes renforcent leur persévérance, leur capacité de s’affirmer et leur confiance en elles. Autre dimension: un tel sport de contact oblige à identifier ses limites assez rapidement, ce qui permet de mieux se connaître. De plus, l’intensité du jeu et l’engagement nécessaire consolident le caractère compétitif et fonceur de la personne. Il suffit d’assister à un match pour le constater.
Chemin faisant, le Rouge et Or féminin de rugby cumule les succès en se rangeant parmi les meilleurs programmes de sport d’excellence au pays depuis 2008. L’avenir s’annonce florissant. «Gagner les championnats provincial et national n’est pas un rêve farfelu, estime l’entraîneur. Cette année, l’équipe peut miser sur des joueuses d’expérience et sur des recrues talentueuses, dont six athlètes issues de l’équipe provinciale U19 qui a été championne nationale dans sa catégorie en 2010.»
Selon la joueuse étoile Charlotte Vallières-Villeneuve, la chimie opère déjà dans le groupe, et les anciennes demeurent soucieuses d’intégrer les recrues pour que l’équipe continue d’évoluer. «Dès ses débuts, l’équipe a connu de bons résultats et nous avons, depuis, constamment élevé le niveau de jeu, juge-t-elle. Tous nos efforts sont dirigés vers la finale provinciale et le championnat universitaire canadien. Et nous sommes en bonne position pour décrocher un premier titre national.»
Une telle victoire cette année serait d’autant plus appréciée qu’elle préparerait le public de Québec à accueillir, l’été prochain, le Championnat canadien senior de rugby féminin. Du 28 juin au 1er juillet 2012, le PEPS sera le théâtre de cet événement d’envergure, où une quinzaine d’équipes formées de sélections provinciales s’affronteront sur les terrains du campus dans trois catégories. Plusieurs membres du Rouge et Or devraient figurer parmi les joueuses de l’équipe du Québec. Un prélude au Championnat canadien universitaire dans cette discipline que l’Université Laval présentera à l’automne 2013.
Qui croira encore que le rugby féminin n’est pas un sport important dans la Capitale?
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Voyez le reportage vidéo Le rugby féminin a la cote.
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