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Photo de Margarida Romero

Oser faire des erreurs

L’éducation valorise traditionnellement l’ordre et le contrôle, avec peu de place à l’erreur. Ainsi, nous grandissons en essayant d’éviter de nous tromper et en prenant des risques limités pour réussir. Visant un idéal de perfection, nous essayons de tout bien faire pour réussir sans nous tromper et nous évitons de prendre des risques si nous nous sentons incompétents. Or, éviter l’erreur nous empêche d’apprendre de nos essais infructueux et de nous approcher des solutions. Et si on acceptait l’imperfection et la valorisation des erreurs?

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Par une belle journée ensoleillée d’hiver à Québec, rien de mieux que d’aller patiner sur l’anneau de glace des plaines d’Abraham. Double joie, ma fille a appris à patiner cet hiver et elle est vite devenue autonome. Les premiers jours, elle est souvent tombée. Après l’une de ces chutes, un grand monsieur qui nous observait nous a glissé un «ça ne tombe pas de haut» avant de continuer dans son gracieux élan. Un sage sur glace: ses mots étaient si justes! Sur l’anneau, les jeunes patineurs tombent sans crainte et se relèvent rapidement. Ils jouent même à s’écraser volontairement sur la neige entourant la patinoire. Ils prennent de nombreux risques par rapport à leur niveau de compétence. À l’opposé, les adultes qui apprennent à patiner ont peur de tomber et n’osent pas prendre autant de risques. En étant adulte, nous tombons «de haut» et nous n’avons plus les bons réflexes pour nous rattraper et nous relever facilement. Le coût potentiel de l’erreur est bien plus important pour les grands que pour les petits.

L’erreur au cœur de l’apprentissage
En grandissant, nous avons appris à éviter l’erreur. Cependant, accepter, et même valoriser, l’erreur dans le processus d’apprentissage nous permettrait de prendre plus de risques et de sortir plus souvent de notre zone de confort. Selon Margaret Clifford, spécialiste américaine en psychologie de l’éducation, nous devons changer notre rapport à l’erreur et permettre aux élèves d’affronter des défis qui présentent un certain niveau de risque. Enfants et adultes peuvent apprendre par des essais infructueux s’ils développement une approche réflexive sur leurs activités. Dans une approche de pensée design, chacun des essais est une tentative nous approchant d’une solution.

À l’heure actuelle, l’école prépare peu les élèves à accepter l’erreur et les risques. Dans une approche traditionnelle, elle vise, selon un programme bien structuré, l’atteinte d’objectifs d’apprentissage prédéterminés par rapport à un niveau scolaire standardisé. La méthode pour arriver à ces apprentissages est souvent préétablie et présentée de manière unique, comme une marche à suivre pour réussir. Les enseignants ont tendance à valoriser les élèves qui suivent les démarches proposées et à pénaliser les erreurs au cours des évaluations sommatives. Souvent, l’école enseigne des manières de faire très concrètes et pénalise les erreurs ou les incompréhensions qui surviennent. Dans certains cas, les erreurs peuvent susciter la désapprobation de l’enseignant (qui peut les attribuer à un manque d’attention ou d’effort), mais aussi la désapprobation ou la moquerie des autres élèves de la classe. Se tromper n’est pas apprécié et l’erreur n’est pas valorisée en classe comme une source d’apprentissage, même si elle peut s’avérer très intéressante quand elle est suivie d’une rétroaction pertinente1.

L’erreur peut être productive et faciliter un processus d’approximation divergente et interactive. Comme l’observe le psychologue de l’éducation Manu Kapur dans le contexte de l’apprentissage scolaire des mathématiques, l’erreur productive (productive failure) peut conduire à un échec en première instance, mais permet aux élèves de mieux appréhender des concepts.

En dehors de l’école, la société tolère moins les erreurs et les imperfections chez les filles que chez les garçons, auxquels on permet une marge d’erreur et d’imprécision bien plus grande. Les pressions sociales pour être une fille sage, ordonnée, obéissante et qui suit les dictats sociaux sont bien plus importantes que celles mises sur les garçons, qui ont davantage le droit de bidouiller, de se salir, de se tromper et de faire des bêtises.

En sciences et en technologies, la tolérance à l’erreur est essentielle pour s’engager dans la réalisation d’artefacts technologiques qui vont probablement échouer dans leurs premières versions. Quand les enfants apprennent à programmer à l’école ou s’initient à la robotique pédagogique, la construction et la programmation de leur artefact sont imparfaites, mais leur permettent de s’approcher, version après version, d’une solution qui sera plus adaptée aux besoins.

L’exemple des langues étrangères
Un autre domaine où se manifeste l’importance de se tromper est l’apprentissage des langues étrangères. Bien avant de maîtriser la langue, il importe de la parler et de l’écrire, car c’est dans un mode de production linguistique qu’il est possible d’avancer dans ses apprentissages. Avoir peur de se tromper ou de faire des erreurs est un frein majeur à cet avancement. Par ailleurs, être tolérant envers les erreurs des autres et être en mesure de fournir des rétroactions bienveillantes est tout aussi essentiel pour développer un climat où l’erreur est bienvenue et valorisée dans une démarche d’apprentissage des langues en contexte scolaire ou informel. Sans un climat favorable à l’erreur, il est probable que les apprenants délaissent leurs objectifs s’ils rencontrent des difficultés et qu’ils continuent à modeler un comportement qui limite les initiatives au périmètre de la zone de confort dans laquelle ils savent qu’ils ne vont pas se tromper. Nous gagnons tous à encourager les tentatives, même infructueuses, à valoriser les erreurs et à apprendre de celle-ci. En privilégiant une mentalité de croissance (#growthmindset), par laquelle nous apprenons de nos erreurs, nous restons ouverts et flexibles tout en restant consciencieux dans l’amélioration de nos activités et de nos compétences.

Devant des réalités complexes et mobiles, l’erreur fait partie d’une approche qui aborde le monde de façon (co)créative en développant des solutions par une pensée design (#designthiking), tout en combinant la participation et la fabrication (#makered). Comme le disait l’artiste français Roland Topor «L’erreur, comme le rire, est le propre de l’homme. Mais infiniment plus créatrice». Si nous voulons donner la chance aux enfants de devenir des citoyens actifs et créatifs dans un monde de plus en plus complexe, il faut changer le rapport à l’erreur dès l’école et encourager leur capacité à travailler dans des situations complexes et ambiguës. Il faut changer le rapport à l’erreur et aux problèmes pour les affronter de la manière la plus positive possible. À la façon de Michel Bouthot dans ses Chemins parsemés d’immortelles pensées: «Il n’y a pas de problèmes et d’obstacles; il n’y a que des défis et des épreuves». Invitons les enfants à ne pas avoir peur d’essayer et d’apprendre de leurs erreurs afin qu’ils développent une approche (co)créative leur permettant de se tromper pour créer et résoudre des problèmes.

1 Voir les travaux de Metcalfe, 2017.

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