Éducation et innovation
Publié le 17 mai 2017 | Par Margarida Romero
Responsabilité, liberté et motivation à l’école
Imaginez que vous devez passer une semaine entière dans la classe de vos enfants, avec les mêmes droits et devoirs qu’un élève. Quel serait votre sentiment de liberté et de responsabilité? À quel point sentiriez-vous que vous êtes le promoteur et l’agent principal de vos activités d’apprentissage? Si vous manquiez de liberté, que vous étiez peu responsable de vos apprentissages ou que les activités en classe comportaient peu d’interactions significatives, quelle serait votre réaction, sachant que vous ne pouvez rien changer? Derrière cette mise en situation, je vais esquisser des liens entre la liberté et la motivation par l’entremise de l’autodétermination.
Quand souffrance et effort sont confondus
J’ai adoré aller à l’école, mais je connais trop de gens qui ont eu des expériences plus mitigées pendant leurs années scolaires. L’école, dans le pire des cas, est vécue comme un ensemble d’années de travaux forcés, avec une liberté conditionnée par l’approche pédagogique et les limites imposées pour chaque activité. Pour certains adultes, les devoirs ont également été des travaux forcés qui s’étendaient à la maison. Bref, plusieurs pourraient substituer le mot «école» pour «prison». L’idée qu’il faut que l’enfant s’adapte au système et qu’il travaille avec acharnement reste encore présente dans certains esprits comme une acceptation fataliste d’un type d’éducation dans lequel la souffrance est confondue avec l’effort. Pendant la dictature franquiste en Espagne, il était habituel d’utiliser l’expression «la letra con sangre entra»1, un appel à la violence éducative selon laquelle il fallait souffrir («saigner» selon l’expression) pour apprendre à lire.
J’ai eu la chance de naître dans une famille opposée au régime franquiste et qui considérait l’éducation comme une libération personnelle et sociale. Mes parents se sont saignés pour me payer des études dans une école chaleureuse aux pédagogies actives. Une école engagée vers l’innovation dans l’ère pré-Internet. Nous avons eu des enseignantes et des enseignants innovants qui travaillaient en équipe. L’école leur a donné des ailes et, à leur tour, ils nous ont permis de développer le plaisir d’apprendre et de travailler fort pour atteindre un objectif. Des défis, des projets créatifs et beaucoup d’expérimentations et de bricolages chaque semaine. Des concours scolaires pour stimuler tous types de création. Des fêtes à toutes occasions pour ouvrir l’école aux parents. Dans ma classe, je pouvais être moi-même, travailler en équipe dans un environnement bienveillant et m’engager dans de nombreux projets. Le temps en classe passait vite et je n’étais pas la seule à espérer la fin des vacances scolaires pour, enfin, retourner à l’école et participer à de nouvelles activités engageantes.
La motivation répond à un besoin d’autonomie
Les études sur la motivation scolaire soulignent l’incidence que peut avoir le fait d’engager les élèves de manière autonome et responsable dans des activités collectives. Ainsi, selon la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (1985)2, la motivation répond à un besoin d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale. Pour ces auteurs, l’autonomie est le besoin qui explique de la manière la plus importante les comportements humains. Une activité qui donne des marges créatives de coconstruction à l’élève lui permet de développer son autonomie, mais aussi d’être responsable de ses apprentissages. Ainsi, à l’école, nous devions travailler fort pour définir des solutions et les mettre en place, ce qui contraste avec le faible engagement que nécessite une tâche peu complexe comme la fiche d’activités d’un manuel scolaire.
Ainsi, l’approche motivationnelle de l’autodétermination donne lieu, dans la pratique éducative, à une plus grande marge de liberté pour les élèves dans leurs activités d’apprentissage. Car souvent, dans les approches éducatives traditionnelles (de type «enseigner avec un manuel scolaire»), la liberté laissée aux élèves est superficielle, comme la possibilité de choisir le thème de rédaction d’une composition écrite obligatoire. La liberté n’est pas de faire n’importe quoi n’importe comment; c’est un périmètre de choix assez large qui permet aux élèves d’être les principaux acteurs de leurs apprentissages et d’être responsables aussi bien du processus que du résultat des activités d’apprentissage. Par exemple, les engager dans un défi interdisciplinaire en robotique pédagogique peut leur donner une marge de liberté assez importante pour la conception, l’exploration et la mise en œuvre des concepts. L’enseignant est alors un guide qui propose un défi et qui sert également de ressource pendant le processus de co-élaboration des connaissances.
L’autonomie présente donc une double facette: la liberté et la régulation. La liberté de prendre certaines décisions au cours des activités d’apprentissage s’accompagne d’un besoin de réguler de manière plus importante ses apprentissages3. Ou comme dirait Benjamin Parker dans Spiderman: un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. L’autonomie, et la liberté qui en découle, augmente la responsabilité de régulation des apprentissages en situation d’autonomie individuelle (autorégulation), d’autonomie de l’équipe d’élèves (corégulation) ou d’autonomie de la communauté d’apprentissage (régulation socialement partagée)4. Si certains élèves peuvent apprécier une plus grande autonomie et développer une motivation autodéterminée, il faut également adapter le degré d’autonomie aux élèves qui présentent plus de difficultés à réguler leurs apprentissages. Encore une fois, l’enseignant et ses super-pouvoirs sont la clé pour ajuster le niveau d’autonomie permettant de contribuer à la motivation autodéterminée de l’élève.
L’enjeu pour les enseignants souhaitant développer la motivation autodéterminée chez leurs élèves est donc de déterminer la marge de liberté et de responsabilité de ceux-ci au regard des activités d’apprentissage, tout en leur permettant de travailler en équipe et de s’engager dans un collectif. En bref, ils doivent développer un cadre et des activités qui permettent de redonner à l’enfant les rôles de promoteur et d’agent principal de ses activités d’apprentissage.
1 «C’est au prix du sang que la lecture s’apprend.» ↩
2 Deci,EL, Ryan, RM. «The general causality orientations scale: Self-determination in personality». Journal of Research in Personality, 1985; 19:2; 109-134. ↩
3 Voir Romero et Lambropoulos, 2011 ↩
4 Voir Hadwin, Järvelä et Miller, 2011 ↩
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