Éducation et innovation
Publié le 20 octobre 2016 | Par Margarida Romero
La pensée informatique: des programmeurs jusqu’aux élèves
Lorsque j’étais étudiante à l’université, je me suis inscrite à Eurodyssée, un programme d’échange offrant des stages dans n’importe quel pays francophone ou anglophone d’Europe, sans savoir à quel point cette expérience allait changer ma vie. Le stage en France finalement obtenu, j’ai pu saisir un concept qui a complètement changé ma façon d’analyser le monde qui m’entoure et qui fait aujourd’hui sa place dans nos écoles: la pensée informatique.
Je suis arrivée dans une petite ville de la campagne française, Vesoul. En l’an 2000, on y trouvait encore plus de vaches que d’ordinateurs, mais y habitait aussi une femme d’exception, Michèle Guerrin, qui avait décidé de lancer une jeune entreprise de formation informatique et de formation à distance. C’est là que je suis tombée en amour avec Adobe Flash… et avec un Français! J’ai tout laissé tomber à Barcelone pour rester en France à faire du multimédia avec mon chum.
Nous avons vécu là-bas 8 ans d’effervescence pendant la première bulle Internet et la naissance des premières start-ups. Nous avons travaillé, ensemble, dans 3 entreprises différentes à une époque où il était encore possible de négocier une embauche en tant que couple. De la campagne franc-comtoise au sud ensoleillé en passant par Paris, les occasions pour nous, jeunes intéressés par le multimédia, étaient nombreuses. Nous avons appris à programmer en l’espace de 2 ans, en commençant par faire du bidouillage jusqu’à pouvoir créer des patrons de conception en programmation orientée objet (POO1).
Structurer la complexité
Le changement de la programmation procédurale à la programmation objet fut une révélation. En 2 jours, nous avons vécu un séisme épistémologique; une actualisation majeure de notre manière de percevoir, de représenter et d’opérationnaliser la réalité autour de nous, et pas uniquement dans un contexte de programmation informatique. Nous voyions des patrons de conception partout dans notre quotidien: dans les structures de gouvernance de notre start-up, mais aussi dans les structures polythéistes, dans la mythologie grecque ou les séries de manga comme Dragon Ball et même à l’épicerie! La semaine où nous avons compris la puissance de l’approche orientée objet, nous en avons parlé du matin au soir, même au lit: nous prenions conscience d’une nouvelle manière de percevoir et de structurer la complexité des situations que nous analysions.
Nous étions fous de joie, car personne ne nous avait formellement initié à l’approche objet; c’était notre raisonnement conjoint qui nous avait menés à ce nouveau niveau de pensée allant au-delà de la linéarité du texte, des sons, de la vidéo ou du code procédural pour considérer des structures de données organisées autour d’objets et de leurs relations. Un peu comme si après avoir joué à un jeu vidéo (la programmation procédurale) pendant des nombreux mois, nous avions pu atteindre un niveau inespéré (la programmation objet) qui nous faisait prendre conscience des limites de notre ancienne démarche. Nous avions maintenant accès à de nouvelles stratégies métacognitives pour organiser des entités informatiques (objets, attributs, méthodes), mais surtout pour organiser les structures de relation entre ces différentes entités afin d’optimiser le fonctionnement d’un programme informatique. En 2006, Jeannette Wing nomme «pensée informatique» (computational thinking) cette capacité d’utiliser les processus informatiques pour résoudre des problèmes dans n’importe quel domaine.
La pensée informatique en classe
Une telle façon d’appréhender le monde peut être transférée à l’école, sous forme de programmation créative. Cet apprentissage est une belle occasion d’engager les élèves dans une démarche réflexive d’analyse d’une situation-problème, de sa représentation et de l’usage créatif d’un langage informatique pour écrire le code permettant de développer, par l’entremise d’un processus continu, une solution à la fois pertinente et originale.
Pour y arriver, les élèves doivent combiner l’apprentissage des concepts et des processus informatiques qui font l’objet de la «littératie numérique» (objet, attribut, méthode, patron de conception, etc.) et une démarche de résolution de problèmes créative faisant appel aux concepts et aux processus informatiques. Ainsi, le codage est juste une petite partie de la démarche de programmation créative que nous considérons avant tout comme un processus créatif de résolution de problèmes. Il ne s’agit pas de coder pour coder, pour écrire des lignes de code les unes après les autres, mais d’accompagner les élèves dans le développement d’une approche aux problèmes complexes qui les engage dans une analyse réflexive et empathique de la situation, de sa représentation et de l’opérationnalisation d’une solution qui profite des stratégies métacognitives liées à la pensée informatique.
Par exemple, dans la foulée de la publication du livre Vibot, le robot, nous sommes en train de développer des défis créatifs disponibles gratuitement en ligne. Le premier défi qu’on y trouve s’adresse à des débutants en programmation et permet de connaître l’interface de programmation visuelle Scratch.
Popularité grandissante
Le concept de pensée informatique est rapidement devenu populaire au cours des dernières années, et de nombreux informaticiens y rattachent leurs idées en lien avec les stratégies de pensée. Malgré cette soudaine popularité, il est encore l’objet de controverses conceptuelles, d’intégration pédagogique et d’évaluation.
1 pour voir un exemple de programmation orientée objet ou pour une initiation plus large au concept ↩
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet