Y a-t-il une vie après le couvent?
L'avenir s'annonce incertain pour les couvents du Québec, en voie de désaffectation.
Par Serge Beaucher
«À vendre, magnifique bâtisse en pierre taillée, début XXe siècle, située au milieu d’un vaste domaine, avec vue sur fleuve et montagnes; cause, départ à la retraite des propriétaires.»
À quelques variantes près, cette petite annonce fictive pourrait bien être reproduite des centaines de fois au Québec et à Québec, au cours des prochaines années. Couvents, cloîtres et autres établissements religieux déjà à moitié vides seront abandonnés les uns après les autres à mesure que les membres vieillissants des congrégations cesseront d’y habiter.
Qu’adviendra-t-il alors de tout ce patrimoine bâti qui façonne nos villes et raconte notre histoire? Des chercheurs de l’École d’architecture de l’Université Laval réfléchissent activement à la question, tentant notamment de prévenir l’impasse qui point à l’horizon: d’une part, l’État n’est pas disposé à prendre ces actifs en charge, comme il l’a fait pour les écoles et les hôpitaux après s’être approprié les responsabilités de l’éducation et de la santé, au sortir de la Révolution tranquille; d’autre part, le secteur privé n’est plus guère tenté par la conversion de tels bâtiments, qu’il a jugée non rentable lors d’une première vague de transfert de propriétés, dans les années 1970.
Bien construits, bien entretenus
Rien qu’à Québec, Tania Martin a recensé près de 300 propriétés de communautés religieuses. Professeure à l’École d’architecture, Mme Martin est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine religieux bâti. «Bien sûr, dit-elle, ces propriétés ne font pas toutes partie d’immenses domaines conventuels comme on en voit à Beauport ou sur les hauteurs de la falaise à Sillery, mais elles n’en façonnent pas moins la morphologie de la ville.» Martin Dubois, lui, est chargé de cours à l’École d’architecture et président de la firme Patri-Arch. À la demande de la Ville de Québec, il a récemment évalué 56 ensembles conventuels offrant un potentiel patrimonial ou des possibilités de développement s’ils sont vendus.
En majorité, ces bâtiments datent de la fin XIXe début XXe siècles. Ils sont en maçonnerie ou en béton armé (pour les plus récents), souvent avec charpente en bois, entourés de grands terrains qui comportent parfois constructions secondaires, jardins et vergers. Comme partout au Québec, la plupart ont été érigés à l’extérieur du noyau urbain, qui les a toutefois rejoints par la suite. Ils sont en général le résultat de plusieurs phases de construction, et ont connu beaucoup de transformations au fil des ans.
«Une caractéristique commune à tous ces édifices est qu’ils ont été très bien construits, toujours avec un souci de durabilité», relate François Dufaux, chercheur et chargé d’enseignement à l’École d’architecture. Tout aussi remarquable est leur excellent état actuel, a constaté Martin Dubois dans son évaluation: «Ces bâtisses ont été entretenues de façon exemplaire; il serait difficile de faire mieux!»
Le problème est que ces couvents, toujours habités, ne sont pas conformes aux normes modernes: escaliers trop étroits, sorties de secours insuffisantes, protection déficiente contre les incendies, infirmeries désuètes… Dans certains cas, le coût d’une mise aux normes peut atteindre les millions de dollars, selon M. Dubois. Et les travaux peuvent être obligatoires même si la propriété ne change pas de mains.
La Régie du bâtiment, qui se montrait encore tolérante à l’égard de ces carences il y a une dizaine d’années, est aujourd’hui beaucoup plus stricte. Cela a d’ailleurs forcé plusieurs communautés à se départir de leurs bâtiments plus vite que prévu, se voyant incapables d’amortir l’investissement nécessaire sur le nombre d’années qu’elles croyaient pouvoir encore y demeurer.
Pour une bouchée de pain
Est-ce pour cette raison que les propriétés des congrégations se sont vendues pour une bouchée de pain jusqu’à maintenant? Difficile à dire. Chose certaine, les municipalités sous-évaluent largement ces propriétés. «Dans une étude, nous avons calculé que certains terrains et bâtiments appartenant à des
communautés religieuses à Sillery avaient une évaluation municipale correspondant au quart de la valeur de propriétés résidentielles comparables dans le même quartier», révèle Tania Martin.
Puisque les propriétés religieuses jouissent d’une exemption de taxes municipales, les villes n’ont pas d’incitatif à en augmenter la valeur foncière, explique François Dufaux. Or, lorsque ces domaines passent à des intérêts privés, les nouveaux propriétaires ne bénéficient pas de l’exemption fiscale municipale. De plus, à cause de la faible évaluation foncière, ils ont de la difficulté à emprunter les sommes qu’il faudrait pour rénover ou transformer. «À court terme, c’est donc plus payant pour eux de tout raser pour construire des condos à la place.»
Le développement immobilier qui se pratique aujourd’hui n’est pas propice au recyclage d’édifices, selon Mme Martin: «Il y a un biais dans les façons de calculer qui favorise la démolition. Prend-on en considération la valeur réelle de l’édifice qu’on s’apprête à démolir? Tient-on compte de la qualité de sa construction? Considère-t-on le fait qu’il n’y aura pas d’excavation à faire puisque la structure est déjà en place? Dans le calcul, inclut-on les coûts de la démolition à entreprendre et de l’élimination des résidus? A-t-on pensé aux coûts environnementaux et sociaux? Et aux coûts d’entretien du nouvel immeuble?»
Par ailleurs, le zonage rigide actuel et le Code du bâtiment n’encouragent en rien les réhabilitations novatrices de bâtiments religieux, estiment les deux architectes. Sur la question de la mise aux normes, par exemple, ne pourrait-il pas y avoir une certaine marge de manœuvre entre l’esprit et la lettre de l’objectif visé? «Il y a peut-être d’autres moyens d’assurer la protection des occupants que d’imposer des sorties de secours de telle ou telle facture qui défigurent les édifices», suggère Tania Martin.
Il se fait des choses
N’empêche. Les propriétés religieuses ne sont pas toutes passées sous le pic des démolisseurs après avoir changé de mains. Plusieurs ont été recyclées en condos ou en copropriétés, en coopératives d’habitation, en bibliothèques, en centres communautaires ou même en hôtels de ville dans certains villages. Il y a eu des adaptations plutôt malheureuses lorsqu’on ne respectait pas la logique du bâtiment, par exemple en scindant de grands espaces intérieurs en petites pièces, note Mme Martin. Pour François Dufaux, plus sévère, «une bonne partie de ce qui s’est fait l’a été dans un esprit de braderie, sans beaucoup d’intelligence».
Mais plusieurs transformations sont aussi dignes de mention. Martin Dubois cite le cas du couvent des Sœurs du Bon-Pasteur sur la colline parlementaire: tout un quadrilatère d’édifices construits entre 1850 et 1930, occupés auparavant par la communauté et qui, depuis 1980, ont été transformés en sept coopératives d’habitation pour différents types de clientèle. Peu de changements ont été apportés aux façades des édifices, tandis qu’on a adapté les intérieurs aux nouvelles fonctions, mais en conservant l’organisation de base des lieux: petits appartements distribués de part et d’autre de corridors centraux.
La titulaire de la Chaire de recherche mentionne pour sa part le Centre résidentiel et communautaire Jacques-Cartier, un ancien couvent situé au coin Langelier et Charest à Québec. Cet immeuble abrite aujourd’hui le café Tam Tam au rez-de-chaussée et près d’une trentaine de logements abordables pour jeunes à faibles revenus, aux étages supérieurs. Plusieurs activités communautaires d’intégration sociale y sont offertes, ce qui, pour Mme Martin, est une belle façon de conserver l’esprit qui animait jadis cette institution. En outre, la logique interne du bâtiment a été respectée et l’architecte qui a converti l’édifice a travaillé avec les futurs utilisateurs pour répondre à leurs besoins.
Que dire aussi du Vieux-Séminaire de Québec, qui abrite aujourd’hui l’École d’architecture de l’Université Laval! Sa transformation minutieuse a su allier modernisation et conservation des éléments patrimoniaux importants, tout en maintenant la vocation d’enseignement introduite au XVIIe siècle par Mgr de Laval.
Une voie intermédiaire
Reste que «réhabiliter et mettre des édifices en valeur, ça coûte cher», comme le dit François Dufaux. Plusieurs projets de réhabilitation pris en charge par le secteur privé en vue d’en faire de l’habitation, même haut de gamme, n’ont pas été suffisamment profitables pour continuer à intéresser beaucoup de promoteurs. Le gouvernement, de son côté, ne dispose pas de l’argent nécessaire pour prendre entièrement la relève, comme cela se fait en France. Le Fonds du patrimoine religieux créé en 1996 suffit à peine à entretenir et à restaurer les lieux de culte, en parant au plus urgent.
Au cours des prochaines années, l’offre du bâti religieux dépassera donc largement les moyens envisagés pour y répondre. Il y aura des choix à faire, conviennent les trois interlocuteurs de Contact. Et pour éviter que les résultats se soldent par trop de démolitions, il faudra imaginer de nouvelles façons d’aborder la question, trouver des moyens intermédiaires entre l’intervention de l’État et la mainmise du secteur privé.
François Dufaux et Tania Martin s’entendent sur l’importance de préserver la mémoire de ces bâtisses en leur conservant une vocation communautaire. Ils pensent notamment à la création de fiducies, de fondations ou de sociétés sans but lucratif, constituées de laïcs, qui poursuivraient en quelque sorte l’œuvre de solidarité sociale des congrégations.
C’est un peu ce qui se fait à Oka avec l’ancienne abbaye des trappistes. La propriété a été vendue à une société qui est appuyée par la communauté et la municipalité dans son objectif de conservation du patrimoine, assorti d’un plan de développement intégrant tourisme, éducation et culture. Ou cela pourrait ressembler au projet des pères Augustins de l’Assomption qui, par le biais d’une fiducie, seraient prêts à partager leur monastère de Québec avec des ménages de diverses conditions.
Ainsi, les communautés auraient la possibilité de demeurer propriétaires de leurs avoirs tout en poursuivant leur contribution à la collectivité, souligne Mme Martin. Avantage supplémentaire, la création de fiducies ou autres organismes tiers de gestion permettrait d’asseoir autour d’une table tous les acteurs concernés par l’avenir d’un bâtiment (congrégation, promoteurs, futurs usagers…) pour en examiner le potentiel et prendre les meilleures décisions dans l’intérêt de tous. Il s’agirait de trouver les arrimages souhaitables selon l’édifice disponible, l’endroit où il se trouve et les besoins de la population, qu’il s’agisse de densification urbaine, de conservation d’espaces verts ou autres.
François Dufaux, lui, y voit l’application d’un devoir de précaution: «Comme personne n’avait prévu l’abandon massif des pratiques religieuses voilà 50 ans, on ne peut pas savoir ce qui va se passer au cours des prochaines décennies quant à la place qu’occuperont les œuvres communautaires (laïques ou religieuses), ni quels seront les besoins d’utilisation du bâti communautaire. Dans ce contexte, il vaut peut-être mieux ne pas remettre cet actif immobilier dans les mains du marché privé, dont on n’aurait pas l’assurance qu’il saurait défendre les intérêts collectifs et la sauvegarde du patrimoine.»
Quant aux communautés religieuses, il n’est pas question de leur imposer quoi que ce soit puisqu’elles sont propriétaires de leurs domaines, insiste Tania Martin. «Mais elles sont de plus en plus conscientes de la valeur patrimoniale de leurs biens et, surtout, elles ne demandent pas mieux que de voir l’esprit de leur œuvre se perpétuer, d’une façon ou d’une autre».
D’ici à ce que se mette en place cette voie intermédiaire faisant appel à des organismes du milieu, Martin Dubois recommande qu’on pratique au moins une vigilance élémentaire. «Chaque fois qu’on veut construire un équipement culturel quelque part, dit-il, on devrait d’abord vérifier s’il y a un bâtiment religieux inexploité à proximité.» Cela se fait déjà, mais pas systématiquement, selon lui: «J’ai moi-même vu une bibliothèque se construire à côté d’une église désaffectée. Dommage! On aurait pu sauver un élément important du patrimoine tout en aménageant la bibliothèque dans un lieu intéressant.»
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À quelques variantes près, cette petite annonce fictive pourrait bien être reproduite des centaines de fois au Québec et à Québec, au cours des prochaines années. Couvents, cloîtres et autres établissements religieux déjà à moitié vides seront abandonnés les uns après les autres à mesure que les membres vieillissants des congrégations cesseront d’y habiter.
Qu’adviendra-t-il alors de tout ce patrimoine bâti qui façonne nos villes et raconte notre histoire? Des chercheurs de l’École d’architecture de l’Université Laval réfléchissent activement à la question, tentant notamment de prévenir l’impasse qui point à l’horizon: d’une part, l’État n’est pas disposé à prendre ces actifs en charge, comme il l’a fait pour les écoles et les hôpitaux après s’être approprié les responsabilités de l’éducation et de la santé, au sortir de la Révolution tranquille; d’autre part, le secteur privé n’est plus guère tenté par la conversion de tels bâtiments, qu’il a jugée non rentable lors d’une première vague de transfert de propriétés, dans les années 1970.
Bien construits, bien entretenus
Rien qu’à Québec, Tania Martin a recensé près de 300 propriétés de communautés religieuses. Professeure à l’École d’architecture, Mme Martin est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine religieux bâti. «Bien sûr, dit-elle, ces propriétés ne font pas toutes partie d’immenses domaines conventuels comme on en voit à Beauport ou sur les hauteurs de la falaise à Sillery, mais elles n’en façonnent pas moins la morphologie de la ville.» Martin Dubois, lui, est chargé de cours à l’École d’architecture et président de la firme Patri-Arch. À la demande de la Ville de Québec, il a récemment évalué 56 ensembles conventuels offrant un potentiel patrimonial ou des possibilités de développement s’ils sont vendus.
En majorité, ces bâtiments datent de la fin XIXe début XXe siècles. Ils sont en maçonnerie ou en béton armé (pour les plus récents), souvent avec charpente en bois, entourés de grands terrains qui comportent parfois constructions secondaires, jardins et vergers. Comme partout au Québec, la plupart ont été érigés à l’extérieur du noyau urbain, qui les a toutefois rejoints par la suite. Ils sont en général le résultat de plusieurs phases de construction, et ont connu beaucoup de transformations au fil des ans.
«Une caractéristique commune à tous ces édifices est qu’ils ont été très bien construits, toujours avec un souci de durabilité», relate François Dufaux, chercheur et chargé d’enseignement à l’École d’architecture. Tout aussi remarquable est leur excellent état actuel, a constaté Martin Dubois dans son évaluation: «Ces bâtisses ont été entretenues de façon exemplaire; il serait difficile de faire mieux!»
Le problème est que ces couvents, toujours habités, ne sont pas conformes aux normes modernes: escaliers trop étroits, sorties de secours insuffisantes, protection déficiente contre les incendies, infirmeries désuètes… Dans certains cas, le coût d’une mise aux normes peut atteindre les millions de dollars, selon M. Dubois. Et les travaux peuvent être obligatoires même si la propriété ne change pas de mains.
La Régie du bâtiment, qui se montrait encore tolérante à l’égard de ces carences il y a une dizaine d’années, est aujourd’hui beaucoup plus stricte. Cela a d’ailleurs forcé plusieurs communautés à se départir de leurs bâtiments plus vite que prévu, se voyant incapables d’amortir l’investissement nécessaire sur le nombre d’années qu’elles croyaient pouvoir encore y demeurer.
Pour une bouchée de pain
Est-ce pour cette raison que les propriétés des congrégations se sont vendues pour une bouchée de pain jusqu’à maintenant? Difficile à dire. Chose certaine, les municipalités sous-évaluent largement ces propriétés. «Dans une étude, nous avons calculé que certains terrains et bâtiments appartenant à des
communautés religieuses à Sillery avaient une évaluation municipale correspondant au quart de la valeur de propriétés résidentielles comparables dans le même quartier», révèle Tania Martin.
Puisque les propriétés religieuses jouissent d’une exemption de taxes municipales, les villes n’ont pas d’incitatif à en augmenter la valeur foncière, explique François Dufaux. Or, lorsque ces domaines passent à des intérêts privés, les nouveaux propriétaires ne bénéficient pas de l’exemption fiscale municipale. De plus, à cause de la faible évaluation foncière, ils ont de la difficulté à emprunter les sommes qu’il faudrait pour rénover ou transformer. «À court terme, c’est donc plus payant pour eux de tout raser pour construire des condos à la place.»
Le développement immobilier qui se pratique aujourd’hui n’est pas propice au recyclage d’édifices, selon Mme Martin: «Il y a un biais dans les façons de calculer qui favorise la démolition. Prend-on en considération la valeur réelle de l’édifice qu’on s’apprête à démolir? Tient-on compte de la qualité de sa construction? Considère-t-on le fait qu’il n’y aura pas d’excavation à faire puisque la structure est déjà en place? Dans le calcul, inclut-on les coûts de la démolition à entreprendre et de l’élimination des résidus? A-t-on pensé aux coûts environnementaux et sociaux? Et aux coûts d’entretien du nouvel immeuble?»
Par ailleurs, le zonage rigide actuel et le Code du bâtiment n’encouragent en rien les réhabilitations novatrices de bâtiments religieux, estiment les deux architectes. Sur la question de la mise aux normes, par exemple, ne pourrait-il pas y avoir une certaine marge de manœuvre entre l’esprit et la lettre de l’objectif visé? «Il y a peut-être d’autres moyens d’assurer la protection des occupants que d’imposer des sorties de secours de telle ou telle facture qui défigurent les édifices», suggère Tania Martin.
Il se fait des choses
N’empêche. Les propriétés religieuses ne sont pas toutes passées sous le pic des démolisseurs après avoir changé de mains. Plusieurs ont été recyclées en condos ou en copropriétés, en coopératives d’habitation, en bibliothèques, en centres communautaires ou même en hôtels de ville dans certains villages. Il y a eu des adaptations plutôt malheureuses lorsqu’on ne respectait pas la logique du bâtiment, par exemple en scindant de grands espaces intérieurs en petites pièces, note Mme Martin. Pour François Dufaux, plus sévère, «une bonne partie de ce qui s’est fait l’a été dans un esprit de braderie, sans beaucoup d’intelligence».
Mais plusieurs transformations sont aussi dignes de mention. Martin Dubois cite le cas du couvent des Sœurs du Bon-Pasteur sur la colline parlementaire: tout un quadrilatère d’édifices construits entre 1850 et 1930, occupés auparavant par la communauté et qui, depuis 1980, ont été transformés en sept coopératives d’habitation pour différents types de clientèle. Peu de changements ont été apportés aux façades des édifices, tandis qu’on a adapté les intérieurs aux nouvelles fonctions, mais en conservant l’organisation de base des lieux: petits appartements distribués de part et d’autre de corridors centraux.
La titulaire de la Chaire de recherche mentionne pour sa part le Centre résidentiel et communautaire Jacques-Cartier, un ancien couvent situé au coin Langelier et Charest à Québec. Cet immeuble abrite aujourd’hui le café Tam Tam au rez-de-chaussée et près d’une trentaine de logements abordables pour jeunes à faibles revenus, aux étages supérieurs. Plusieurs activités communautaires d’intégration sociale y sont offertes, ce qui, pour Mme Martin, est une belle façon de conserver l’esprit qui animait jadis cette institution. En outre, la logique interne du bâtiment a été respectée et l’architecte qui a converti l’édifice a travaillé avec les futurs utilisateurs pour répondre à leurs besoins.
Que dire aussi du Vieux-Séminaire de Québec, qui abrite aujourd’hui l’École d’architecture de l’Université Laval! Sa transformation minutieuse a su allier modernisation et conservation des éléments patrimoniaux importants, tout en maintenant la vocation d’enseignement introduite au XVIIe siècle par Mgr de Laval.
Une voie intermédiaire
Reste que «réhabiliter et mettre des édifices en valeur, ça coûte cher», comme le dit François Dufaux. Plusieurs projets de réhabilitation pris en charge par le secteur privé en vue d’en faire de l’habitation, même haut de gamme, n’ont pas été suffisamment profitables pour continuer à intéresser beaucoup de promoteurs. Le gouvernement, de son côté, ne dispose pas de l’argent nécessaire pour prendre entièrement la relève, comme cela se fait en France. Le Fonds du patrimoine religieux créé en 1996 suffit à peine à entretenir et à restaurer les lieux de culte, en parant au plus urgent.
Au cours des prochaines années, l’offre du bâti religieux dépassera donc largement les moyens envisagés pour y répondre. Il y aura des choix à faire, conviennent les trois interlocuteurs de Contact. Et pour éviter que les résultats se soldent par trop de démolitions, il faudra imaginer de nouvelles façons d’aborder la question, trouver des moyens intermédiaires entre l’intervention de l’État et la mainmise du secteur privé.
François Dufaux et Tania Martin s’entendent sur l’importance de préserver la mémoire de ces bâtisses en leur conservant une vocation communautaire. Ils pensent notamment à la création de fiducies, de fondations ou de sociétés sans but lucratif, constituées de laïcs, qui poursuivraient en quelque sorte l’œuvre de solidarité sociale des congrégations.
C’est un peu ce qui se fait à Oka avec l’ancienne abbaye des trappistes. La propriété a été vendue à une société qui est appuyée par la communauté et la municipalité dans son objectif de conservation du patrimoine, assorti d’un plan de développement intégrant tourisme, éducation et culture. Ou cela pourrait ressembler au projet des pères Augustins de l’Assomption qui, par le biais d’une fiducie, seraient prêts à partager leur monastère de Québec avec des ménages de diverses conditions.
Ainsi, les communautés auraient la possibilité de demeurer propriétaires de leurs avoirs tout en poursuivant leur contribution à la collectivité, souligne Mme Martin. Avantage supplémentaire, la création de fiducies ou autres organismes tiers de gestion permettrait d’asseoir autour d’une table tous les acteurs concernés par l’avenir d’un bâtiment (congrégation, promoteurs, futurs usagers…) pour en examiner le potentiel et prendre les meilleures décisions dans l’intérêt de tous. Il s’agirait de trouver les arrimages souhaitables selon l’édifice disponible, l’endroit où il se trouve et les besoins de la population, qu’il s’agisse de densification urbaine, de conservation d’espaces verts ou autres.
François Dufaux, lui, y voit l’application d’un devoir de précaution: «Comme personne n’avait prévu l’abandon massif des pratiques religieuses voilà 50 ans, on ne peut pas savoir ce qui va se passer au cours des prochaines décennies quant à la place qu’occuperont les œuvres communautaires (laïques ou religieuses), ni quels seront les besoins d’utilisation du bâti communautaire. Dans ce contexte, il vaut peut-être mieux ne pas remettre cet actif immobilier dans les mains du marché privé, dont on n’aurait pas l’assurance qu’il saurait défendre les intérêts collectifs et la sauvegarde du patrimoine.»
Quant aux communautés religieuses, il n’est pas question de leur imposer quoi que ce soit puisqu’elles sont propriétaires de leurs domaines, insiste Tania Martin. «Mais elles sont de plus en plus conscientes de la valeur patrimoniale de leurs biens et, surtout, elles ne demandent pas mieux que de voir l’esprit de leur œuvre se perpétuer, d’une façon ou d’une autre».
D’ici à ce que se mette en place cette voie intermédiaire faisant appel à des organismes du milieu, Martin Dubois recommande qu’on pratique au moins une vigilance élémentaire. «Chaque fois qu’on veut construire un équipement culturel quelque part, dit-il, on devrait d’abord vérifier s’il y a un bâtiment religieux inexploité à proximité.» Cela se fait déjà, mais pas systématiquement, selon lui: «J’ai moi-même vu une bibliothèque se construire à côté d’une église désaffectée. Dommage! On aurait pu sauver un élément important du patrimoine tout en aménageant la bibliothèque dans un lieu intéressant.»
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