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Printemps 2010

Une seule étiquette, 900 réalités

Sous l'étiquette de site du patrimoine mondial, accordée par l'Unesco, se trouvent 900 morceaux d'histoire et autant de façons de les mettre en valeur.

Imaginez la scène. Une famille québécoise part visiter les pyramides d’Égypte, au Caire. Adepte des chemins de traverse et piloté par un guide improvisé, le quatuor tente de parvenir aux tombeaux millénaires par derrière, en s’enfonçant dans un quartier neuf mais déjà délabré. Les pyramides sont bientôt en vue! Impossible cependant d’accéder à ce site du patrimoine mondial, protégé par une haute clôture. Pourchassés par les offres de commerçants de tout acabit, les Québécois rebroussent chemin et parviennent finalement à l’entrée officielle du site où la «vraie» visite peut démarrer.

Cette anecdote témoigne bien des tensions du triangle «authenticité, protection et retombées locales» inhérentes à ce genre d’endroit. De telles tensions associées aux 890 lieux désignés sites du patrimoine mondial par l’Unesco, ainsi que l’utilité de cette désignation, font l’objet d’un colloque international organisé par le Réseau Culture-tourisme-développement de l’Unesco et réunissant chercheurs et gestionnaires. Tenue à Québec du 2 au 4 juin, l’activité coïncide avec le 25e anniversaire de l’obtention de ce label par la Capitale.

Selon Tito Dupret, un des participants à la rencontre, les sites du patrimoine mondial reflètent la diversité humaine. «Cette appellation ouvre 900 portes sur une compréhension de l’humanité», estime le doctorant en histoire à l’Université Laval. Documentariste, réalisateur et journaliste, M. Dupret s’est donné pour mission d’immortaliser plusieurs sites du patrimoine mondial, difficilement accessibles. Au fil de ses visites de sites naturels et archéologiques ou de quartiers historiques, ce globe-trotter d’origine belge a pu constater que l’étiquette de site du patrimoine mondial recouvre des réalités hautement diverses sur les cinq continents.

Site désigné, site convoité
Né en 1972 à l’occasion du sauvetage international du temple égyptien d’Abou Simbel, menacé par la construction du barrage d’Assouan, ce label vise surtout à donner un coup de projecteur sur un site d’une valeur exceptionnelle, qu’il s’agisse d’un bien culturel ou naturel. L’Unesco, qui est une institution de l’Organisation des Nations Unies vouée à l’éducation, ne verse pas d’argent pour assurer la mise en valeur ou la préservation des sites désignés. Cela signifie que chaque pays choisit le montant à investir et, surtout, décide du mode de gestion du lieu.

Si l’Unesco n’impose pas de modèle unique de gestion, elle se réserve cependant le droit de retirer son label lorsqu’une plainte est déposée et s’avère fondée. L’an dernier, la ville allemande de Dresde a perdu son appellation pour avoir laissé construire des bâtiments très modernes dans la partie historique et autorisé la destruction de plusieurs églises patrimoniales. Ailleurs, l’Égypte a eu bien du mal à protéger ses py­ramides de l’appétit des constructeurs de maisons. D’où la mise en place d’une clôture empêchant la ville de s’étendre jusqu’aux portes des tombeaux des pharaons. Pour ce pays très pauvre, les hordes de touristes constituent aussi une importante source de revenus.

Cette tension entre les aléas de la vie moderne et la nécessaire conservation du lieu, on la retrouve sur bien des sites patrimoniaux à travers le monde, surtout ceux où les voyageurs peuvent facilement se rendre. L’entreprise américaine Starbuck a même failli réussir à installer un de ses cafés en plein cœur de la Cité interdite, à Pékin. Et les gestionnaires de Borobudur, en Indonésie, ont beaucoup de mal à dissuader les marchands ambulants de solliciter les clients à chaque coin de ce temple bouddhique du VIIIe siècle.

L’authenticité du site en prend parfois pour son rhume, mais aussi son existence même puisque 35 sites se trouvent actuellement sur la liste des endroits en péril. En Inde, les fondations du Taj Mahal, immense mausolée et chef-d’œuvre de l’art musulman, s’enfoncent sous le poids des 8000 à 10 000 visiteurs quotidiens, rappelle Tito Dupret. Et la multiplication des bateaux à moteur accélère l’ensablement de Venise, visitée chaque année par 21 millions de touristes, souligne Laurent Bourdeau, professeur au Département de management.

Spécialiste en tourisme et coorganisateur du Colloque international sur les sites du patrimoine, M. Bourdeau ajoute un autre exemple des conséquences négatives de l’obtention du label de l’Unesco sur certains lieux : Saint-Louis, au Sénégal, ancienne capitale de l’Afrique occidentale. «Là-bas, les maisons patrimoniales sont de plus en plus achetées par des étrangers et font maintenant l’objet de spéculation, indique-t-il. Et le tourisme sexuel a augmenté.» La nécessité de conserver le site en parfait état peut aussi sembler vaine aux gens qui manquent de tout: entre acheter un sac de plâtre pour colmater les fissures et un sac de riz pour se nourrir, le choix coule de source… Sans compter que la réalité des habitants du lieu n’a pas influencé le type de mise en valeur du patrimoine de Saint-Louis: comme la population est en grande partie analphabète, elle profite peu des panneaux explicatifs installés sur plusieurs demeures historiques.

Cogestion en vue
Pour Laurent Bourdeau, il faut absolument que les communautés locales soient sensibilisées au patrimoine pour qu’un site Unesco ne soit pas dévoré tout cru par l’industrie touristique. D’autant plus que sa gestion relève parfois d’entreprises situées à des milliers de kilomètres. Au surplus, la supervision d’un lieu touristique par des acteurs locaux peut contribuer à préserver non seulement le patrimoine bâti, mais aussi certains métiers et savoir-faire.

Laurier Turgeon, professeur au Département d’histoire, cite la cogestion par Parcs Canada et la communauté autochtone haïda du site Unesco SGang Gwaay, sur les îles de la Reine-Charlotte, en Colombie-Britannique: «Les autochtones ont décidé de ne pas repeindre les mâts funéraires qui s’y trouvent, de les laisser pourrir selon le cycle de vie naturel. Cela permet d’en produire de nouveaux avec des artisans et de conserver des techniques ancestrale.»

Selon ce spécialiste du patrimoine, il faut élargir les horizons des visiteurs et arrêter de tout ramener aux bâtiments et aux limites exactes du site désigné. M. Turgeon prend l’exemple de l’arrondissement historique du Vieux-Québec, où se concentrent les touristes alors que, plus largement, la ville de Québec a beaucoup à offrir aux visiteurs. «En 2009, j’ai recensé 190 fêtes et festivals dans la ville: ça aussi c’est du patrimoine, explique-t-il. En encourageant les touristes à y participer, nous pourrions désengorger le Vieux-Québec.»

Un sentiment que partage Laurent Bourdeau, excédé du ballet incessant des autocars de touristes effectuant tous les mêmes arrêts dans les quelques rues de l’arrondissement historique. Selon lui, les entreprises touristiques elles-mêmes prennent conscience qu’un tourisme trop lourd peut tuer la ressource. «Certaines ont compris et offrent des tours de Québec sur mesure à des clientèles plus segmentées, en s’intéressant par exemple aux artistes d’aujourd’hui ou à l’histoire des pierres qui lestaient les navires au temps de la Nouvelle-France.»

Du spectaculaire à l’authentique
Désormais, des agences de tourisme signataires de la Charte internationale du tourisme culturel refusent d’envoyer leurs clients sur des sites qui ne se préoccupent pas de développement durable, note Laurier Turgeon. Les voyageurs qui fréquentent les sites du patrimoine mondial recherchent non seulement du spectaculaire, mais aussi de l’authentique. Une notion que Tito Dupret a trouvée dans le Sud de la France où le visiteur découvre les traces de l’histoire romaine, notamment dans les deux sites du patrimoine mondial que sont les villes d’Arles et Orange. «Ce sont des lieux qui restent vivants, sans muséification mortifère, remarque-t-il. Les cœurs de ces villes ont gardé leur population. On n’a pas l’impression d’être embarqué dans un circuit vendu par une agence de voyage lorsqu’on se promène dans les rues.»

Les trois experts s’accordent sur un point: la rencontre avec un résidant fait souvent toute la différence lorsqu’on arpente un site patrimonial. Par exemple, Tito Dupret juge intéressantes les balades en calèche à Québec parce qu’elles donnent l’occasion aux touristes de parler avec le conducteur et d’entendre des anecdotes –même si les habitants du cru peuvent trouver cela «quétaine». Il invite d’ailleurs les Québécois à se réapproprier l’arrondissement historique pour que ce patrimoine fasse vraiment partie d’eux et ne soit pas réservé aux touristes.

Même si le label de l’Unesco caractérise des sites très divers à travers le monde, la recette pour que ces lieux demeurent vivants et authentiques est simple: l’implication de sa population locale.

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FOSSILES PATRIMONIAUX
Le Canada compte 15 sites du patrimoine mondial de l’Unesco, dont deux se trouvent au Québec: l’arrondissement historique du Vieux-Québec et le parc national de Miguasha. La falaise de ce parc gaspésien renferme une quantité inédite de fossiles de plantes, invertébrés et poissons ayant vécu il y a plus de 350 millions d’années. Site de fouilles scientifiques depuis le milieu du XIXe siècle, Miguasha a entre autres livré des clés pour comprendre l’évolution de certains poissons vers des formes terrestres.

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COMME SI VOUS Y ÉTIEZ!

Les sites du patrimoine mondial ont beau appartenir à l’humanité, selon la déclaration de l’Unesco, l’humanité n’y a pas toujours accès. Sans remplacer un contact réel, la panophotographie change la donne. Grâce à plus de 2500 images captées sur place par Tito Dupret et patiemment assemblées, l’internaute peut désormais s’offrir une visite virtuelle à 360º de quelque 250 sites du patrimoine mondial parmi les plus isolés de la planète (www.1001merveilles.org). En promenant sa souris et en utilisant son bouton de défilement, le visiteur peut zoomer sur un détail de l’image, reculer, observer le paysage qui entoure le site…

Mais après plusieurs années à explorer les possibilités du Web, M. Dupret cherche une nouvelle formule. Il vient de prendre congé de son métier de documentariste, le temps d’un doctorat sous la direction de Philippe Dubé, professeur au Département d’histoire et spécialiste de la muséologie. Tito Dupret veut réfléchir à la façon d’offrir au grand public un contact facile et satisfaisant avec la grandeur de ces sites plus grands que nature. Ses essais comportent notamment un recours aux technologies du LAMIC, le Laboratoire de muséologie et d’ingénierie de la culture de l’Université Laval.

«On pourrait projeter les images panophotographiques sur les parois d’un dôme dans lequel pénètre le visiteur et y intégrer des artéfacts, imagine-t-il. Vaut-il mieux numériser ces objets ou aller chercher des collections existantes? Faut-il recourir à un guide animateur? Serait-il intéressant de faire entendre des sons enregistrés sur le site? Pourrait-on présenter le site en plongée, avec un certain recul pour comprendre son contexte topographique? Je ne sais pas encore.»
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