Attention tête fragile!
La commotion cérébrale est souvent considérée comme un événement anodin par les sportifs. Les chercheurs, eux, la prennent au sérieux.
Par Gilles Drouin
Un esprit sain dans un corps sain. Telle est la devise de ceux qui préconisent l’équilibre entre l’activité intellectuelle et l’exercice physique. Sauf que, parfois, le sport devient moins sain et les corps s’entrechoquent trop violemment. L’esprit s’embrouille, la commotion cérébrale est là.
Elle est longue la liste des athlètes professionnels et amateurs qui ont subi au moins une commotion cérébrale. Et elle serait interminable s’il fallait y ajouter tous les sportifs qui ont, un jour ou l’autre, vu quelques étoiles sans y accorder trop d’attention. «La plus grande partie des commotions cérébrales sont négligées, surtout chez les sportifs qui ne jouent pas à un niveau compétitif», estime Philippe Fait, qui termine un doctorat en médecine expérimentale. «Il est probable que beaucoup de ceux qui ont déjà pratiqué un sport ont subi une commotion un jour ou l’autre, souvent sans s’en rendre compte», renchérit son directeur de thèse, Bradford McFadyen, professeur au Département de réadaptation.
La commotion cérébrale n’est pourtant pas un événement anodin, mais bien un réel traumatisme crânien cérébral (TCC). D’ailleurs, Philippe Fait préfère utiliser ce terme, surtout dans son travail de thérapeute du sport. C’est lui qui était au chevet de Mikaël Tam, le jeune hockeyeur qui a subi plus qu’une commotion après un coup de coude médiatisé, l’hiver dernier. «Le nom scientifique montre davantage le sérieux de la situation», plaide le doctorant.
«Une commotion cérébrale est un traumatisme cérébral crânien léger», précise Pierre Frémont, médecin du sport et professeur au Département de réadaptation. Elle est provoquée par l’application directe ou indirecte d’une force contre la boîte crânienne. La force directe, c’est le coup de coude ou le coup de poing à la tête. La force indirecte, c’est le balancement brusque de la tête, qu’on appelle souvent coup de fouet, lors d’une collision entre deux automobiles. Dans les deux cas, le cerveau bouge dans la boîte crânienne, comme le jello dans un bol qu’on secoue.
Lors de TCC modérés ou graves, il y aura une ou des lésions, des saignements ou des œdèmes. Avec la commotion cérébrale, le choc ne laissera pas de trace, mais il aura pour effet de perturber le fonctionnement du cerveau. «On ne comprend pas encore en détail ce qui se passe alors, avoue Pierre Frémont. Nous savons cependant qu’à l’échelle cellulaire, le choc induit des perturbations dans la transmission des influx nerveux.» Seules des techniques d’imagerie médicale sophistiquée, comme la résonance magnétique fonctionnelle, permettent de visualiser ce brouillage des ondes.
Heureusement, il n’est pas absolument nécessaire de recourir à ces outils de pointe pour diagnostiquer la commotion cérébrale. On en connaît les symptômes: perte de conscience, étourdissements, trous de mémoire, nausées plus ou moins fortes, maux de tête, difficultés à maintenir la concentration, fatigue et défaillances cognitives sont parmi les symptômes les plus fréquents à prendre place dans les minutes, les heures et les jours qui suivent l’accident. «Ces symptômes doivent être en lien avec un choc direct ou indirect à la tête, précise le Dr Frémont, car plusieurs d’entre eux sont aussi associés à d’autres problèmes.»
Retour trop rapide?
Si la répétition des commotions peut parfois avoir des conséquences à long terme, les effets d’une seule commotion s’estompent assez rapidement la plupart du temps. «Il suffit souvent de prendre du repos », conseille Pierre Frémont. Toutefois, la durée de ce repos varie d’un individu à l’autre, d’où l’importance d’un suivi personnalisé.
Au hockey professionnel, lorsque survient une commotion, le feu vert pour un retour au jeu est actuellement accordé après une série de tests d’intensité progressive. Dans les jours suivants la commotion, l’équipe médicale demandera au joueur blessé s’il ressent encore des symptômes. Dans la négative, le hockeyeur recommencera à s’entraîner légèrement: bicyclette stationnaire, patinage, pratique sans contact, puis pratique avec contact. Pour passer d’une étape à l’autre, le joueur ne doit ressentir aucun symptôme. Au terme de cette démarche, qui dure en moyenne de 5 à 10 jours, il pourra retourner au jeu.
L’approche se peaufine constamment. Au cours des derniers mois, Philippe Fait y a ajouté son grain de sel. Il a soumis des athlètes ayant subi une commotion cérébrale à un test qui consiste à marcher le long d’un parcours ponctué d’obstacles relativement simples à franchir. En cours de route, les sujets devaient identifier la couleur d’un mot projeté à l’écran, exercice qui ajoutait de la complexité à la tâche. Résultat: les commotionnés commettaient plus d’erreurs et prenaient plus de temps à effectuer le parcours que les sujets sains. Le test se passait 30 jours après la commotion, ce qui laisse entendre que le délai traditionnel de 5 à 10 jours avant le retour au jeu n’est pas toujours suffisant.
«Mon travail s’inscrit dans une tendance qui cherche à placer les gens dans les situations les plus proches de leurs activités normales afin de déterminer s’ils sont guéris ou non», explique Philippe Fait. De telles études montrent que seuls des tests neuropsychologiques personnalisés permettent de dire quand une personne est apte à reprendre ses activités habituelles après une commotion.
Pour sa part, Bradford McFadyen cherche à concevoir un test plus général, pertinent à tous les individus. Un test qui serait plus facile à appliquer et que les entraîneurs sportifs de tous les niveaux pourraient employer, quitte à diriger les cas plus lourds vers des équipes médicales spécialisées.
Faut-il interdire les coups?
Il ne faut donc pas prendre à la légère les commotions cérébrales. Faudrait-il alors bannir les mises en échec? Ou interdire carrément les sports de contact comme le football? Incidemment, il n’y a pas que les sports où les contacts sont permis, et souhaités, qui présentent des risques. Des études menées par Claude Goulet, du Département d’éducation physique, révèlent que la tête et le cou sont touchés dans un cas sur cinq chez les skieurs alpins et les surfeurs des neiges blessés.
Depuis 1985, le Québec interdit la mise en échec au hockey dans la catégorie pee-wee (11-12 ans) et chez les plus jeunes. À l’époque, la décision s’appuyait, entre autres, sur une étude menée par des chercheurs du Département d’éducation physique, dont Gaston Marcotte, qui avaient démontré que le risque de fractures diverses était 12 fois plus élevé lorsque la mise en échec était permise.
Claude Goulet apporte de l’eau à ce moulin. Une étude épidémiologique qu’il a réalisée avec des collègues montréalais et albertains révèle que la mise en échec est la principale cause de blessure chez 15% des jeunes hockeyeurs de 9 à 16 ans. Une fois sur cinq (18%), cette blessure est une commotion cérébrale. L’étude révèle également que le risque de commotion cérébrale est presque quatre fois plus grand chez les joueurs de niveau pee-wee de l’Alberta, où la mise en échec est permise, que chez ceux du Québec.
Certains observateurs ont craint que les jeunes Québécois, une fois dans les catégories d’âge supérieures où la mise en échec devient permise, soient plus vulnérables puisqu’ils n’ont pas eu l’occasion d’apprendre à encaisser. Une étude, dont les résultats détaillés ne sont pas encore publiés, annonce une réalité bien différente. Claude Goulet et des collègues albertains ont comparé les blessures subies par des hockeyeurs de niveau bantam du Québec et de l’Alberta, où la mise en échec est permise au niveau pee-wee. «Il n’y a pas d’effet protecteur, révèle Claude Goulet. Les Albertains de niveau bantam subissent autant de blessures que les Québécois.» Comme quoi, les jeunes apprennent rapidement à encaisser. Il faut dire qu’ils ont de puissants modèles et qu’il ne faut pas trop craindre la «moumounisation» du hockey!
De son côté, Pierre Frémont a réalisé une étude sur les sports de contact (hockey, football, etc.) et ceux sans contact (ski alpin, ski de fond, etc.) dans les programmes sports-études des écoles secondaires. Ses résultats montrent que les sports de contact n’ont pas d’effet sur le développement cognitif des jeunes. «Sport de contact n’égale donc pas handicap futur, souligne-t-il. Vous ne m’entendrez jamais parler contre les sports de contact, à condition qu’ils soient gérés par des règles pour contrer les gestes de violence gratuite.»
Chose certaine, tous s’entendent pour dire qu’il faut mettre l’accent sur l’enseignement auprès des équipes d’entraîneurs afin que ceux-ci connaissent mieux la commotion cérébrale et surtout ne précipitent pas le retour au jeu. De notre côté, spectateurs, il faudrait peut-être cesser de bondir de nos sièges à chaque fois qu’un joueur de l’équipe locale plante un adversaire!
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JE CONSULTE OU NON?
Si la visite à l’hôpital est une évidence dans le cas des traumatismes modérés et graves, la décision s’impose moins facilement pour une commotion cérébrale. En absence de symptômes graves, comme des vomissements, Pierre Frémont recommande tout de même d’aller voir son médecin de famille, qui pourra préciser le diagnostic et accompagner la victime au cours de la période de rétablissement.
«La majorité des commotions sont des faits isolés dans la vie d’une personne, rappelle-t-il, et tout rentre dans l’ordre après quelques heures ou quelques jours, selon les cas.» La recette de base est de se reposer, ce qui implique de ne pas solliciter son cerveau outre mesure, par des jeux vidéos ou une lecture prolongée, par exemple.
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