Regards sur la société
Publié le 7 mars 2016 | Par Simon Langlois
Vente et services: 2 secteurs typiques de la société de consommation
Je m’attarde maintenant à 2 des 10 strates établies pour ma recherche sur la nouvelle stratification sociale: celle des employés dans les services et celle des employés dans la vente. Toutes 2 regroupent des milliers d’emplois, en grande partie occupés par des femmes, et ont gagné en importance dans notre société depuis 40 ans.
Pourquoi un tel essor?
L’entrée continue des femmes sur le marché du travail dans la seconde moitié du 20e siècle a impliqué la création de milliers d’emplois dans le secteur des services afin de remplacer le travail non salarié qu’elles effectuaient jusque-là au sein des foyers: soins de personnes âgées, garde des enfants en bas âge, cuisine familiale, travaux de couture, entretien ménager, etc. Une partie de ces tâches est maintenant le lot de personnes salariées sur le marché du travail: éducatrices de la petite enfance, préposées aux bénéficiaires, femmes de ménage, serveuses dans les restaurants, employées des traiteurs, etc.
Le déplacement du travail non salarié au sein du ménage vers le travail salarié sur le marché n’explique pas à lui seul la croissance des services aux personnes. L’enrichissement des ménages et la hausse du niveau de vie réel ont été, pour leur part, à la source de la création de nouveaux emplois dans les services. Pensons aux agents de voyage, aux employées dans les services d’esthétique, aux agents-conseils dans les institutions financières, par exemple. Les services rendus par ces employés étaient pratiquement inexistants avant l’avènement du revenu discrétionnaire dans les ménages (soit le revenu disponible une fois satisfaits les besoins de base), et constituent de nouveaux services aux personnes.
Quant à la croissance du secteur de la vente, elle vient de ce que le bien-être des personnes repose de plus en plus sur la consommation de biens matériels typiques de la société de consommation marchande élargie. La vie quotidienne s’appuie en effet sur l’utilisation d’une quantité considérable de biens qui contribuent au confort: appareils électroniques nombreux et diversifiés, équipements de loisir, meubles et équipements ménagers diversifiés, nourriture industrielle préparée en dehors du foyer, gamme étendue de vêtements pour divers usages (sport, détente, loisirs, travail, sorties), etc. Cette consommation élargie de biens durables et non durables se traduit par la hausse d’un grand nombre d’emplois dans le secteur de la vente, la seconde strate sociale considérée dans ce billet.
Les femmes occupent la majorité des emplois liés à la consommation de biens et de services dans notre société, mais nous verrons dans l’examen plus détaillé qui suit que les hommes s’y impliquent aussi davantage.
Les femmes dominent dans la vente
Les employés dans le secteur du commerce sont nombreux au sein de la société de consommation. Comme celle-ci était déjà bien implantée depuis les années 1950, ces employés représentaient, en 1971, 12,9% de l’ensemble des 10 grandes strates sociales distinguées dans mon analyse, et leur part a continué de croître pour atteindre 14,1% de la main-d’œuvre totale en emploi en 2011. Cette strate sociale arrive au 3e rang parmi les 10 que nous avons distinguées, après celle des ouvriers et celle des techniciens, ce qui atteste bien de son importance. Elle compte au total plus d’un demi-million de personnes en emploi (546 000 en 2011).
Environ 15% des femmes exercent une activité rémunérée dans le secteur de la vente, et cette proportion est assez stable sur toute la période examinée ici. Les hommes sont un peu moins présents dans ce domaine d’activité, mais leur implication y est en progression, étant passée de 11,8% à 12,6% entre 1971 et 2011. Il n’y a donc pas un très fort déséquilibre selon le genre dans cette strate sociale.
Cependant, comme les femmes ont fortement accru leur présence sur le marché du travail au cours de ces 40 années, elles sont devenues majoritaires chez les employés dans la vente avec 53,4% du total en 2011 contre 37,8% en 1971.
La nature des emplois dans cette strate sociale nous est familière, car elle comprend les caissiers, les commis-vendeurs, les employés d’épicerie, etc. L’un des aspects qui mérite d’être souligné est la présence accrue des femmes au sein du personnel d’encadrement de la vente (gérantes, superviseures, etc.). Il existe en effet des milliers d’établissements spécialisés dans le commerce, et les femmes sont nettement plus nombreuses dans les postes de supervision de cette activité.
Les services attirent davantage d’employés
Considérons maintenant une seconde strate sociale, celle des employés dans les services, soit la 4e en importance parmi les 10 retenues dans l’étude. Nous distinguons dans cette strate 4 catégories socioprofessionnelles: les employés affectés aux différents services personnels (coiffeurs, facteurs, personnel des hôtels, etc.), les travailleurs des services alimentaires (serveurs dans les restaurant, aides-cuisiniers, etc.), le personnel des services de santé (aides-infirmières, préposés aux bénéficiaires, etc.) et le personnel des services en éducation (aides-enseignants, etc.).
Au total, la part que représentent les employés dans les services a augmenté de manière importante au sein de la société québécoise –plus rapidement que la population active–, ce qui traduit bien le déplacement du travail non salarié effectué dans les ménages vers le travail rémunéré à l’extérieur. La strate sociale des employés dans les services représentait en effet 10,5% de l’ensemble en 1971, et cette proportion est montée à 13,6% en 2011.
Plus d’hommes s’impliquent dans cette strate sociale féminisée
Sans surprise, une bonne partie des emplois dans la strate sociale des services est occupé par des femmes (52,6% en 1971 et 58,9% en 2011). Ces emplois correspondent aux rôles traditionnels qu’elles ont exercés au sein des familles: éducatrices de la petite enfance, préposées aux bénéficiaires dans les centres d’accueil et d’hébergement, personnel dans l’alimentation usinée et la restauration, aides-infirmières, etc.
Cependant, et c’est un point important, il faut rappeler que les femmes sont loin de se concentrer comme autrefois dans ces types d’emplois, puisqu’elles ont envahi d’autres strates sociales depuis 40 ans (comme nous l’avons montré dans les billets antérieurs, dont Place aux femmes), ce qui a contribué à réduire la proportion de celles qui sont employées dans les services aux personnes. Au total, 17,3% des femmes travaillaient dans cette strate sociale, et cette part a régressé quelque peu pour atteindre 16,7% en 2011.
Un changement mérite d’être souligné: les hommes sont davantage présents dans la strate sociale des services. Il y avait seulement 7,3% des hommes impliqués dans cette strate sociale en 1971, et cette proportion a grimpé à 10,8% en 2011.
Examinons plus en détail les catégories socioprofessionnelles de cette strate.
1. Les services personnels
Les services personnels sont au cœur de la société de consommation marchande: coiffeurs, aides familiales, concierges, nettoyeurs, etc. L’importance de cette catégorie résulte aussi de la croissance des revenus discrétionnaires dont une partie est désormais affectée à l’entretien et au bien-être physique des individus, ce qui les amène à avoir recours à du personnel spécialisé (esthéticiennes, entraîneurs, agents de voyage, etc.). La catégorie des services personnels domine avec 230 085 personnes, ce qui représente le double du chiffre observé en 1971.
2. Les services dans l’alimentation
Suivent les emplois dans le secteur des services alimentaires, qui ont été multipliés par 4 (ou presque) en 40 ans, passant de 57 000 à presque 200 000. La croissance des personnes employées dans ce domaine a été 2 fois plus élevée que celle de l’ensemble des personnes actives sur le marché du travail, ce qui témoigne bien à quel point la façon de se nourrir a changé en 40 ans. Cuisiniers, serveurs, personnel des cuisines et autres travailleurs assimilés assurent la préparation et le service de la nourriture consommée dans les restaurants et les cantines des institutions (hôpitaux, collèges, garderies, etc.), mais aussi dans les foyers. Les couples actifs sur le marché du travail consomment davantage de mets partiellement ou entièrement préparés dans la sphère marchande.
3. Les services en santé et en éducation
Les employés dans les services non hautement qualifiés en santé et en éducation sont quant à eux moins nombreux (aides-infirmiers, préposés aux bénéficiaires, aides-enseignants, etc.) que ceux qui sont impliqués dans les 2 catégories présentées plus haut, et leur part dans l’ensemble des services est moins élevée.
Les 2 secteurs de la santé et de l’éducation nécessitent plutôt des travailleurs et du personnel hautement qualifié, soit des techniciens, des professionnels et des gestionnaires.
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Ce billet est le 6e d’une série sur la mutation sociale du Québec de 1971 à 2011. Pour lire les autres billets:
1. 1971-2011: la mutation sociale radicale du Québec
2. Structure sociale: place aux femmes
3. Pourquoi si peu de femmes chez les cadres supérieurs?
4. Les techniciens, au coeur des classes moyennes
5. Féminisation encore plus forte du travail de bureau
7. Déclin et mutation de la classe ouvrière
8. Professionnels: plus de diversité et plus de femmes
9. Les professions intermédiaires, un monde de femmes
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