Féminisation encore plus forte du travail de bureau

Les employés de bureau constituent, juste après les ouvriers, la strate sociale dont les effectifs ont le moins augmenté en 40 ans et dont le poids relatif dans l’ensemble de la société a diminué. Leur part est ainsi passée de 17,1% de l’ensemble en 1971 à 11,5% en 2011, parmi les 10 strates distinguées dans mes analyses de la stratification sociale.

C’est là une observation quelque peu surprenante, mais qui témoigne de la profonde mutation du travail de bureau qui s’est largement informatisé. Par ailleurs, une partie du travail de secrétariat d’hier est maintenant effectuée par des techniciens, comme je l’ai mentionné dans le billet du 22 février 2016, ce qui illustre bien le processus de qualification qui est observé dans ce domaine. Enfin, même dans la strate des employés de bureau, il y a moins de secrétaires et davantage de nouveaux postes qualifiés.

Diminution du nombre de secrétaires
Le fait marquant au sein de cette grande catégorie d’emplois est sans contredit la forte diminution du nombre de secrétaires et d’adjoints administratifs observée à partir du début des années 1990, notamment la baisse du nombre de «secrétaires dactylos», un titre d’emploi presque disparu. Trois chiffres illustrent ce changement assez radical. Il y avait, au Québec, 81 305 secrétaires en 1971, et ce nombre a grimpé à 170 250 en 1991 avant de redescendre à 125 755 en 2011. Les ordinateurs ont massivement envahi les bureaux des administrations, ce qui explique en bonne partie cette diminution, mais il faut aussi souligner que la nature du travail de bureau a connu une grande mutation qui a affecté le travail de secrétaire au quotidien.

Le secrétariat est une catégorie socioprofessionnelle presque entièrement féminine (96,9%).

De nouvelles catégories d’employés de bureau en progression
La catégorie des employés de bureau qualifiés est, quant à elle, en croissance. Elle comprend des agents préposés aux statistiques, des agents préposés à la comptabilité, des agents de prêts, des estimateurs, des agents d’immigration ou des préposés à l’assurance-emploi, par exemple. De nouveaux types d’emploi ont en effet été créés au sein des organisations à mesure que celles-ci ont pris de l’importance dans les sociétés développées. La bureaucratie est plus étendue et diversifiée. Les entreprises sont plus complexes à gérer, et il en va de même pour les grandes organisations (collèges et universités, grandes associations, ministères des gouvernements, municipalités, etc.) qui ont créé de nouveaux types d’emplois.

Ces emplois de bureau qualifiés représentaient 15,9% du travail de bureau en 1971, et cette part est montée à 28,1% en 2011, parallèlement à la diminution du nombre de secrétaires.

La bureaucratisation et la qualification au sein des bureaux est illustrée par une autre tendance. La catégorie des commis –qui comprend les téléphonistes, les messagers, les commis de bureau, les réceptionnistes, etc.– est en effet restée stable en nombre pendant la période que nous examinons, ce qui implique que son importance relative a diminué, passant de 53,6% du total à 39,5%.

Cette fois encore, les femmes sont majoritaires dans ces titres d’emplois qualifiés, et le taux de présence féminine s’est largement accru, passant de 54% à environ 80% en 40 ans.

L’encadrement se féminise
L’encadrement du travail de bureau s’est profondément transformé. Il y a moins de contremaîtres et de superviseurs dans cette grande catégorie d’employés. Les responsables de l’encadrement du personnel de secrétariat au sens large ne représentent plus que 4,2% du total des employés de bureau en 2011 contre 5,5% en 1971.

Les secrétaires, les agents et les commis ne sont plus tenus de «pointer au travail» comme autrefois, et les organisations ont modifié leurs approches normatives dans la gestion des horaires et des temps de travail, donnant généralement plus d’autonomie à leurs employés. Pour décrire ce changement important dans la gestion quotidienne, le sociologue français Alain Ehrenberg parle «d’intériorisation des contraintes liées au travail» dans son ouvrage Le culte de la performance (1991). Les employés ont des tâches à effectuer et des horaires à respecter, mais la surveillance autoritaire s’est estompée, sans toutefois disparaître.

Une autre tendance mérite d’être soulignée, soit la forte féminisation des postes d’encadrement du travail de bureau, qui sont passés de 25% à 50% de 1971 à 2011. Même si elle a augmenté, la part des femmes dans les postes d’autorité au sein des secrétariats n’atteint pas les 74,9% qu’elle représente dans l’ensemble des employés de bureau.

Féminisation encore plus poussée des emplois de bureau
Nous avons distingué plus haut 4 grandes catégories d’emplois pour décrire le travail de bureau (secrétaires, agents qualifiés, commis et personnel d’encadrement). Si nous considérons l’ensemble du travail de bureau, il apparaît nettement que la féminisation de ce grand secteur de travail a grandement progressé en 40 ans. La présence des femmes y est en effet passée de 56% en 1971 à 75% en 2011, soit une progression considérable. Les femmes ont largement dominé les postes de secrétaires depuis nombre d’années au sein des petites et des grandes entreprises, et cette domination n’a pas changé dans le temps. Elles ont, par ailleurs, augmenté leur présence dans les nouvelles catégories d’emploi qui se sont développées dans les organisations au fil des années.

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Ce billet est le 5e d’une série sur la mutation sociale du Québec de 1971 à 2011. Pour lire les autres billets:

1. 1971-2011: la mutation sociale radicale du Québec

2. Structure sociale: place aux femmes

3. Pourquoi si peu de femmes chez les cadres supérieurs?

4. Les techniciens, au coeur des classes moyennes

6. Vente et services: 2 secteurs typiques de la société de consommation

7. Déclin et mutation de la classe ouvrière

8. Professionnels: plus de diversité et plus de femmes

9. Les professions intermédiaires, un monde de femmes