Regards sur la société
Publié le 16 décembre 2013 | Par Simon Langlois
La nouvelle polarisation gauche-droite
Pendant des décennies, la polarisation entre fédéralistes et souverainistes a dominé l’espace public au Québec. La voilà maintenant remplacée par une polarisation entre gauche et droite politique. Les débats portant sur l’avenir constitutionnel du Québec n’ont pas disparu, loin de là, mais les fédéralistes tout comme les souverainistes sont eux-mêmes divisés entre des partisans qui se situent à gauche et à droite, d’où la multiplication des partis. Pourquoi cette nouvelle polarisation gauche-droite s’impose-t-elle et qui sont ceux qui penchent à gauche ou à droite?
Je propose dans ce billet quelques observations sur cette nouvelle polarisation gauche-droite, tirées de l’enquête sur le sentiment de justice et les inégalités sociales.
Le rôle de l’État
Tout d’abord, pourquoi cette opposition gauche-droite –qui a toujours été sous-jacente dans les débats publics– s’amène-t-elle dans le décor avec plus de force que par le passé? La crise du modèle fordiste et la hausse des inégalités y sont pour beaucoup, certes, mais c’est autour du rôle de l’État –tant au Canada qu’au Québec– que le débat idéologique est marqué.
Les Québécois francophones ont généralement donné un appui marqué aux interventions de l’État dans l’économie, depuis la Révolution tranquille et dans les décennies qui l’ont suivie. Les grandes institutions que sont la Caisse de dépôts et placements, Hydro-Québec ou encore la SAAQ ont emporté –et emportent encore– leur adhésion. Elles ont assuré ce que le sociologue Hubert Guindon a appelé, dans les années 1960, «la mobilité collective des Québécois». Il en va de même pour les grandes réalisations dans les domaines culturel et social (lois de francisation, développement du système d’enseignement supérieur, garderies, institutions en santé, lois régissant le travail, etc.).
La nouvelle polarisation gauche-droite au Québec porte principalement sur le rôle que l’État doit jouer dans la société et dans l’économie, sur la redistribution des revenus et sur la réduction des inégalités bien davantage que sur les questions morales ou que sur les questions sociales touchant la vie quotidienne comme l’euthanasie, le contrôle des armes à feu, la sévérité des peines envers les criminels, la légalisation de la marijuana, etc. Les Québécois sont plus ouverts à des changements sur les questions de morale ou sur les grandes questions sociales qui risquent de les toucher personnellement que les Canadiens anglophones –d’après un sondage fait en mai dernier au Québec par le Centre Manning1, donc presqu’au même moment que notre propre enquête–, mais ils se rapprochent de ces derniers lorsque vient le temps de se prononcer sur la place de l’État dans la société et quant aux inégalités socioéconomiques.
Les réalisations de l’État québécois ont favorisé la fin de l’infériorité économique des Canadiens français, la grande question sociale qui se posait dans les années 1950 et 1960. Cinquante ans plus tard, l’intervention de l’État n’est plus commandée par l’impératif de rattrapage qui était en fait lié à la question nationale. Cette intervention a maintenant une connotation endogène et le débat implique la recherche de nouveaux équilibres au sein même de la société québécoise. Comment assurer les coûts croissants des programmes sociaux? Jusqu’où doit aller la redistribution et le financement collectif de ces programmes fort nombreux mis en place au fil des ans? Le débat actuel sur les régimes de retraite et la question des droits de scolarité à l’université en 2012 illustrent bien la nécessité de revoir certains choix faits par le passé. Autre exemple qui alimente la polarisation gauche-droite: la grande question de l’écologie et de l’environnement. L’État aura à arbitrer entre les intérêts collectifs et ceux des sociétés qui exploitent les ressources. Sur toutes ces grandes questions, les points de vue de gauche et de droite ne pourront que s’affronter.
Vers un nouveau clivage entre classes socioéconomiques?
Il n’est plus possible d’avancer que «les Québécois seraient collectivement plus à gauche que les Canadiens anglais». Au contraire, les Québécois sont eux-mêmes aussi divisés que les Canadiens des autres provinces sur la place de l’État dans la société ou encore sur les grands enjeux, avec cependant un certain nombre de caractéristiques qui les distinguent.
D’après les données de notre enquête, il existe une réelle remise en cause de l’intervention de l’État dans l’économie et dans la réduction des inégalités socioéconomiques. Cette critique est plus marquée à mesure que le revenu familial augmente et elle est aussi plus prononcée chez les diplômés universitaires et au sein des professions en haut de la hiérarchie socioprofessionnelle. Ces 3 caractéristiques (revenu, diplôme et catégorie socioprofesionnelle) sont étroitement liées et donnent à penser que les mieux nantis sont maintenant plus critiques du rôle de l’État dans notre société. Il en va de même pour les anglophones québécois et les personnes de langue maternelle tierce nées en dehors du Canada, qui sont nettement moins favorables à l’intervention de l’État en matière économique.
Il serait tentant d’attribuer à la poursuite des intérêts de leur classe sociale cette montée des idées de droite dans les milieux les plus favorisés. La poursuite de tels intérêts existe bel et bien, il ne faut pas le nier, mais il ne faudrait pas non plus exclure l’émergence d’une nouvelle volonté de faire les choses différemment.
Les femmes
Au Québec, les femmes sont nettement plus progressistes que les hommes d’après les données de notre enquête. Elles sont plus sensibles au fait que les besoins de base ne sont pas assurés à chacun, au fait que les gens ordinaires ne reçoivent pas leur juste part de la richesse collective ou encore à l’importance de réduire les inégalités de revenus. Elles valorisent aussi davantage l’intervention de l’État dans l’économie que les hommes.
Plusieurs raisons expliquent ces différences entre les femmes et les hommes. Ainsi, les Québécoises ont bénéficié de nombreuses interventions étatiques sur le plan législatif qui ont corrigé des iniquités passées. Elles ont par ailleurs trouvé de nombreux emplois dans les appareils de l’État et en ayant accès à l’enseignement supérieur. Sont-elles aussi plus sensibles aux inégalités de par les rôles dits traditionnels qu’elles sont encore nombreuses à exercer (santé, éducation, bien-être, soins des personnes, etc.)? Il est permis de le penser.
Redéfinir la gauche et la droite
La signification à donner à la gauche et à la droite est sans doute assez différente de nos jours, comparée à ce qu’elle était au moment de la révolution industrielle d’il y a un siècle. Il faudrait sortir d’un certain manichéisme –le monde est blanc ou noir– ou encore ne pas voir le monde d’aujourd’hui avec la grille idéologique d’hier. La troisième voie2 mise de l’avant par le sociologue Anthony Giddens et d’autres il y a presque 20 ans invitait à sortir de cette opposition.
La question nationale est toujours en suspens au Québec. S’y ajoute maintenant la question sociale qui se pose à peu près dans les mêmes termes dans les sociétés développées comparables. Les vocables «gauche» et «droite» sont là pour rester dans le paysage politique québécois des années à venir.
2 GIDDENS, Anthony. La troisième voie: le renouveau de la social-démocratie, Éditions du Seuil, 2002. ↩
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