Croquis de Russie
Publié le 14 août 2012 | Par Agnès Blais
Sibérie urbaine
J’attends mon vol dans le terminal B de l’aéroport Sheremetievo à Moscou, celui, très éloigné de tout, duquel décollent les vols intérieurs. Je suis la seule étrangère. Il n’y a qu’un bar, un kiosque de Kroshka-Kartoshka (chaîne de restauration qui vend des pommes de terre farcies) et une télé qui présente un péplum. Je m’en vais rejoindre une amie née à Tchita et passer une dizaine de jours dans sa famille. Le père de la famille assise à côté de moi s’est trouvé un compagnon de boisson. La mère décide que ça suffit et le dispute. Le fils aussi. La Russie s’apprécie par les gens; c’est la réponse que j’ai trouvée à la question «pourquoi la Russie», quand Dostoïevski et la richesse de la culture ne contrebalancent que difficilement la dureté de la vie.
À quoi je m’attends? J’ai en tête les images de films documentaires sur la Sibérie, des traversées en pleine nature sauvage, la forêt, Michel Strogoff, et le Transsibérien, bien sûr. Combien de fois ai-je entendu: «Moscou, ce n’est pas la Russie». Eh oui, tout est concentré à Moscou. Et puis, mes amis moscovites, quand je leur ai dit que j’allais à Tchita, m’ont répondu avec le plus grand étonnement: «Mais pourquoi? Là-bas, c’est sauvage! Il n’y a que des Chinois». J’atterris à Tchita, capitale du kraï de Transbaïkalie, à 1000 kilomètres à l’ouest du lac Baïkal. Je n’y arrive pas trop naïve quand même, car j’ai beaucoup lu sur les régions de Russie qui se vident et sont ravagées par l’alcool.
Dans les mémoires, Tchita reste la «ville des exilés», car les décembristes, de jeunes officiers et aristocrates russes qui voulaient instaurer des réformes inspirées des institutions occidentales qu’ils avaient connues en France lors de la défaite de Napoléon (1815), y ont été envoyés après le coup d’État manqué du 14 décembre 1825, à Saint-Pétersbourg, contre le tsar Nicolas 1er.
Tchita choque
J’atterris quelque part entre le Grand Nord québécois et la Chine, dans une sorte de Far West. Dans le quartier où je vis, l’asphalte a disparu. Les routes sont redevenues en terre et sont tellement défoncées que ça prendrait un 4×4 pour y circuler. Les trottoirs du centre-ville, quand il y en a, sont dans un état pitoyable. Dès qu’il pleut, de petits lacs et ruisseaux se forment. Avant, à l’époque soviétique, ce n’était pas comme ça. Les voitures viennent du Japon, d’où le volant à droite, et leurs passages incessants laissent des nuages de poussière. C’est la débrouille et la solidarité familiale pour trouver celui qui a une voiture. La ville est polluée. Il reste quelques belles isbas en bois marron foncé, souvent en ruine, entre les immeubles khroutcheviens et les nouveaux édifices qui poussent de façon anarchique. Ceux-ci abritent les «appartements haut de gamme», mais quand on en sort, que faire?
Tchita compte aujourd’hui 372 000 habitants. Ils vont très souvent en Chine. Ils achètent tout en Mandchourie à moindre coût: matériaux de construction, pantoufles, fruits et légumes, cabines de douches, tout. Les Russes peuvent voyager en Mandchourie sans visa. Des avenues d’hôtels modernes et des centres commerciaux lumineux les attendent.
Dans le quartier excentré où je vis, je revois les photos russes des expositions présentées en Europe. Des enfants qui jouent au milieu de barres d’immeubles –les mêmes que partout en Russie– comme sur un îlot au centre d’un vaste chantier. Ici, le mardi, la vendeuse de lait et de smetana (sorte de crème sûre) passe, comme surgie d’un autre temps, apportant un morceau de campagne dans l’espace urbain. «Lait, crème, tvorog», annonce posément le haut-parleur. Non loin, on aperçoit des maisons de bois dans un piètre état, où vivent ceux qui n’ont pas eu d’appartement lors des privatisations.
À l’époque soviétique, les travailleurs des usines ou des mines recevaient un appartement par l’intermédiaire de leur organisation qui, elle, demandait à l’État que soient construits les appartements nécessaires pour ses travailleurs. Ceux qui travaillaient dans des organisations avec peu de moyens vivaient dans des maisons de bois. Lors de la chute de l’Union soviétique et des privatisations, le gouvernement a transféré les appartements à leurs habitants qui en devenaient ainsi propriétaires. Les autres, plus pauvres et moins chanceux, sont restés dans leurs maisons de bois.
De 1930 jusqu’à la chute du régime soviétique, Tchita était une «ville fermée», donc interdite aux étrangers, et les Russes sans permis de travail spécifique ne pouvaient pas y rester. Jusqu’en 2009, Tchita constituait également un centre militaire très important. Toutes les recrues du territoire de Transbaïkalie y faisaient leur service militaire. C’est aussi à partir de Tchita qu’étaient administrées les nombreuses bases militaires sur la frontière avec la Chine.
La datcha (chalet) n’est jamais loin de la ville. Elle permet de respirer, de se laver dans le bania et de cultiver des légumes. Le riche potager est constitué de salades, concombres, choux, courgettes et surtout, de pommes de terre.
Le bania russe
Le bania est une sorte de sauna russe chauffé au bois, plus humide que le bania finlandais, à cause de l’eau que l’on jette sur les pierres brûlantes. Le bania n’est pas qu’un sauna. Son rôle premier est hygiénique: on s’y lave. Dans les isbas anciennes ou à la datcha, il n’y a pas de salle de bain. On utilise également le bania lorsque l’eau chaude fait défaut dans les appartements à cause des travaux d’entretien saisonniers. Le bania joue aussi un rôle thérapeutique. Idéalement, le bania compte trois pièces: une pour transpirer et éliminer ainsi les toxines, l’autre pour se laver et la troisième pour se refroidir et se changer. Il faut d’abord transpirer et laisser les pores de la peau s’ouvrir. On revêt un chapeau pour ne pas que la tête ait trop chaud. Puis, on sort dans une pièce plus fraîche, on se repose et on boit. Et retour à la pièce chaude. Cette fois, on transpire encore plus, plus rapidement. C’est à ce moment qu’il faut, avec les branches de bouleau, fouetter le corps par petits coups très rapides, un exercice fatigant dans cette chaleur qui fait battre le cœur très vite. Enfin, on peut se laver. Gant de crin très conseillé.
Aux abords des routes, en traversant les villages aux maisons de bois gris foncé, si éloignés de tout, des gens vendent des baies, des champignons, des pommes de terre. J’ai mangé les meilleures confitures de cassis et de framboises de ma vie. Les Sibériens ont un savoir très riche sur les petits fruits et les champignons qui abondent et qu’ils vont cueillir dans les forêts. Ils ont développé une telle science que la traduction de toutes les variétés n’existe pas. Par exemple, séchez les fleurs des perce-neiges qui apparaissent au mois de mars puis faites-les mariner dans de la vodka avec de l’huile: vous aurez un élixir pour soigner les douleurs des articulations. Attention: cette variété de perce-neige ne se trouve qu’en Sibérie, non loin de Tchita!
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