Les blogues Contact

La zone d'échanges entre l'Université Laval,
ses diplômés, ses donateurs et vous

Les blogues de Contact

Photo de Agnès Blais

Récit de voyage en Géorgie (3e de 3)

Mon premier billet sur la Géorgie nous a mené de Moscou à Tbilissi. À la fin de mon second billet, nous logions chez Bebo, en Mingrélie. Voici la suite, et la fin, de notre périple.

La Svanétie, haute montagne, chants et légendes
De la charmante et luxuriante campagne mingrèle, nous sommes montés jusqu’à la petite ville de Mestia, capitale de la Svanétie, en plein cœur du Grand Caucase géorgien. C’est la région habitée la plus élevée d’Europe. Les sommets qui constituent cet écrin grandiose s’élèvent entre 3 000 et 5 000 mètres.

Les villages svanes, construits à l’époque médiévale, possèdent une architecture particulière, austère et magnifique. Aux maisons basses sont adossées des tours de 3 à 5 étages dont l’épaisseur des murs diminue vers le haut, donnant une forme un peu pyramidale, élancée, impressionnante. Dans les habitations svanes, à l’intérieur de bois sombre sculpté, le bétail vivait avec les hommes au rez-de-chaussée. Les tours, véritables forteresses, ont été bâties entre les 9e et 11e siècles. On y accède par une échelle amovible. Si ces tours servaient de défense contre les envahisseurs, elles étaient aussi utilisées contre d’autres familles svanes. Dans les traditions svanes, les crimes d’honneur étaient fréquents en cas de différends entre les familles ou les clans. «La vendetta est encore pratiquée dans la région, me dit notre guide, mais Saakachvili l’a policée». La vendetta s’inscrit dans un système de justice locale complexe que le journaliste Temo Bardzimachvili a décrit1. Afin d’éviter la vengeance dans le sang, un conseil d’anciens tente d’abord de trancher les disputes. L’arrangement des mariages nécessite 3 ou 4 anciens. Des problèmes plus graves, comme le meurtre ou le rapt d’une fille en vue d’un mariage, exigent la réunion de 12 anciens.

Ouchgouli

Outre les maisons et les tours, on trouve de magnifiques églises en Svanétie. La plupart d’entre elles ont été construites entre le 9e et le 12e siècle. Elles abritent des fresques et des icônes magnifiques. Leur rite mélange orthodoxie et paganisme d’influence orientale.

Par les villages qui forment l’agglomération d’Ouchguli, nichée à 2 200 mètres d’altitude au pied du plus haut sommet géorgien, le mont Chkhara, j’ai l’impression époustouflante d’être transportée 100 ans en arrière, en même temps que les traditions, fortes, sont bien vivantes. La langue svane est encore parlée. Les Svanes vivent du tourisme, de produits laitiers et de l’élevage, surtout bovin. Les chants géorgiens sont d’une beauté émouvante. C’est en Svanétie que j’ai entendu les plus belles polyphonies. «Ma copine et son amie chanteront ce soir», m’avait dit notre jeune guide. Sopiko et Tania ont appris pendant 15 ans les chants et les danses traditionnelles géorgiennes. Ce fut magnifique. Écoutez-les chanter cette berceuse mingrèle. 

 

Légendes svanes
tourdelamourVoici une histoire qu’on raconte en Svanétie, «La tour de l’amour». Une jeune femme du village d’Ibari aimait un garçon du village voisin, Kala. Le garçon partit à la chasse et, à l’endroit où s’élève aujourd’hui la tour de l’amour, une avalanche de pierres lui tomba dessus. Il en mourut. La jeune femme, chaque jour, vint pleurer à cet endroit. «Comment pourrait-on te consoler?», lui demandèrent ses parents, à qui elle répondit «En me construisant une koshka (tour)». Elle y vécut le reste de ses jours et y mourut de chagrin. 

Après cette triste histoire, voici une légende. Un géant tomba amoureux d’une jeune fille du village de Kala. Il la demanda en mariage, mais celle-ci refusa. Alors le géant construisit un mur de pierre sur la rivière qui, à cause de ce barrage, noierait le village. Les habitants invoquèrent la déesse Gali. Celle-ci fit descendre les chèvres de montagne qui détruisirent le mur.

Une autre légende veut que les paysans, prenant la route vers Koutaïssi afin de faucher, se firent couper l’herbe sous le pied car les vaches caucasiennes commencèrent à brouter l’herbe. Pour les chasser, un paysan leur lança une pierre qui s’avéra être un diamant. Le diamant, dans sa trajectoire, illumina une icône. Les paysans mirent l’icône sur un char et s’en retournèrent au village. Mais où déposer l’icône? Les paysans décidèrent de fouetter les vaches. La fin de leur course indiquerait l’endroit où bâtir l’église. Les vaches déguerpirent et, d’épuisement, tout en haut du canyon, moururent. Depuis ce temps, il existe une église à cet endroit.

Koutaïssi, 2e ville de Géorgie
À Koutaïssi, nous sommes reçus par une famille de voleurs. La ville est réputée pour son organisation mafieuse «Vory v zakone», littéralement «voleurs dans la loi». De l’extérieur, la maison ne paye pas de mine. Comme toutes celles de la région, elle a une grille de métal travaillé, pas très élevée, ornée de colombes et d’épis. Dans la cour, il y a des arbres fruitiers et les latrines. Les rues des quartiers sont en terre battue.

Nous entrons. J’aime cet instant de dépaysement qui suspend le temps. Dans un épais silence, l’œil observe intensément, rapidement, la conscience tente de reconstruire ses codes. Les murs, blancs, illuminent la grande salle. Au plafond orné de moulures tarabiscotées pendent des lustres imposants. Des pots d’œillets rouges sont posés ça et là. Au mur du vestibule sont accrochées les photos encadrées d’un jeune homme. Plus tard, quand la chacha (alcool de marc de raisin atteignant 50 degrés) sera sur la table, on comprendra qu’on fait ici une entorse à l’ordre sacré des toasts géorgiens, cette éthique de l’éthylisme, car chaque verre est d’abord levé en mémoire du fils aîné, mort dans un accident de voiture il y a cinq ans.

En entrant dans cette maison, c’est comme si je pénétrais chez le parrain du film de Coppola, dans sa version géorgienne. Notre hôte est amaigri, édenté, à moitié paralysé à la suite d’une attaque cardiaque, mais toujours en autorité dans sa famille et dans son quartier. On ne comprend pas tout ce qu’il dit. Il s’appuie sur le bras de Sosso, un jeune homme de son clan qui s’envolera bientôt pour l’Italie puis la France rejoindre le fils cadet de notre hôte qui est grand-père: la 3e génération est déjà née. Antonio, 2 ans, de parents géorgiens, vit à Rome et semble être une merveille. La femme de notre hôte, très mince et élancée, revêt le noir à vie, comme le veut la tradition géorgienne des femmes endeuillées. Ses cheveux sont noués en un chignon sévère. Elle est belle pourtant. Elle apporte les plats. Nous prenons place à table. En face de moi, l’icône de Saint-Georges terrassant le dragon me rappelle que je suis bien en Géorgie. Mon amie Nana et moi sommes assises à la table parce que nous sommes des invitées. Sinon, les femmes s’assoient en retrait, en périphérie de la table, et ne participent pas du tout à la discussion.

Pour reprendre la métaphore qui est un peu le mythe de création de la grande famille des voleurs, trois ville forment leur trinité: maman Odessa (Ukraine), papa Rostov (Rostov-sur-le-Don, Russie) et le fils, le plus fort aujourd’hui, Koutaïssi (2e ville de Géorgie). La police ne vient jamais chez les voleurs. Et pourquoi viendrait-elle? Tout un système parallèle de loi a été établi et est respecté. Quand je demande aux habitants de le définir, on ne me dit pas: «C’est une mafia», on me répond toujours: «Avant tout, c’est un système de justice». Parfois, on ose la comparaison avec Robin des bois. En quittant Koutaïssi, je me dis que je suis dans une légende; mais non, c’est bien réel. Nous prenons un quidam en stop. Il nous parle d’emblée des voleurs: «Un par rue, tout le monde sait où il vit».

MonastereLasha et Guego m’ont fait visiter Koutaïssi et ses environs comme personne: plusieurs églises, dont le monastère de Guélati –l’un des plus grands centres culturels et spirituels de Géorgie au Moyen Âge, fondé en 1106 par le roi David Agmachenebeli– et la maison où est né le poète Vladimir Maïakovskiï. C’est dans le village de Bagdati, en Imérétie, que j’ai bu le meilleur vin blanc. Lasha tenait à me faire goûter la production familiale dont il prendra le relais. Guego m’emmena d’emblée sur ce mirador, duquel on aperçoit la magnificence émeraude des collines verdoyantes qui entourent Koutaïssi. De là on voit aussi le parlement géorgien, situé à Koutaïssi. Je termine sur une ode aux Géorgiens, à la terre géorgienne, à ce peuple qui ouvre son coeur et qui, fier de ses traditions, les partage avec une générosité infinie, à ce peuple pour qui a la religion a une grande valeur. À ce peuple où celui qui reçoit peut compter sur ses voisins aujourd’hui et travailler demain.

Le Parlement de Géorgie, avec son toit blanc, à Koutaïssi.

Le Parlement de Géorgie, avec son toit blanc, à Koutaïssi.


L’auteure a légèrement modifié ce texte le 16 août 2013.

Haut de page
  1. Publié le 30 octobre 2015 | Par nicolas F

    Trés beau reportage sur ce petit coin du monde modeste et extraordinaire.

    Je suis très nostalgique de mon propre voyage là-bas a l'hiver 2007... de la Kakhetie et de nos hôtes Touches...

    merci
  2. Publié le 4 septembre 2013 | Par Barbara SALY

    Bonjour Agnès,

    Ton blog est très intéressant. Peux-tu me dire quand tu rentres à Québec ? Bises
    Barbara

Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.

commentez ce billet

M’aviser par courriel des autres commentaires sur ce billet