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Photo de Simon Langlois

Professionnels: plus de diversité et plus de femmes

Les médecins, les notaires et les avocats ne sont plus seuls à faire partie de la strate sociale des professionnels, dont ils représentaient les figures emblématiques au 19e et au début du 20e siècles. De nouvelles professions ont émergé: informaticiens, travailleurs sociaux, psychologues, sociologues, économistes, analystes financiers, spécialistes de la gestion, sans oublier les professionnels de la culture et des communications, incluant les journalistes, par exemple. Les femmes constituent maintenant environ la moitié des effectifs chez les professionnels. La diversification des professions et la féminisation rapide de cette grande strate sociale illustrent bien à quel point la structure de la société québécoise a changé1.

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Définir les professions
Dans les analyses sociologiques, 6 grands attributs distinctifs définissent les professions: la certification universitaire des connaissances, la spécialisation, le contrôle corporatif des actes posés, l’autonomie, l’idéal de service et le prestige. Ces attributs ne sont cependant pas toujours présents de la même manière au sein de chaque profession, bien évidemment. La définition embrasse-t-elle trop large? Il y a matière à débats, et j’ai proposé une analyse plus fouillée dans un article sur la question en 20112, qui avait donné lieu au billet Travail professionnel et individualisation. La présente analyse complète et précise celle de 2011.

Au total, nous distinguerons 6 catégories socioprofessionnelles au sein de la strate sociale des professionnels. La première comprend les professions libérales: avocats, notaires, architectes, médecins, pharmaciens, etc. Viennent ensuite les professions du domaine des sciences sociales et humaines (économistes, sociologues, psychologues, travailleurs sociaux, etc.), suivies par les professions des sciences pures et appliquées (ingénieurs, chimistes, physiciens, biologistes, etc.). Puis, les professions dans le domaine de la culture et des communications (écrivains, journalistes, spécialistes des relations publiques, etc.), les professeurs d’université et, enfin, les ministres du culte.

Professionnalisation accrue
Le nombre total de professionnels s’est fortement accru au sein de la société québécoise, notamment avec l’arrivée de nouvelles professions dans la foulée de la certification des connaissances par les universités. Il y avait 316 545 professionnels au Québec en 2011 contre 79 870 en 1971, soit 8,2% de la population active.

Le nombre de professionnels a été multiplié par 4 en l’espace de 40 ans, alors que la population active a doublé. La hausse du nombre de professionnels a par conséquent contribué à la montée d’une partie de la population québécoise en emploi vers le haut de l’échelle sociale. Cette tendance a été décrite dans le 1er billet de cette série 1971-2011: la mutation sociale radicale du Québec, et doit être mise en parallèle avec le fait que la classe ouvrière diminuait en importance relative, comme je l’ai souligné dans le billet Déclin et mutation de la classe ouvrière.

Féminisation des professions
La hausse du nombre de professionnels a été essentiellement alimentée par l’arrivée des femmes, maintenant plus nombreuses à obtenir un diplôme universitaire. La croissance des effectifs féminins dans cette strate sociale a, en effet, été considérable, leur nombre étant multiplié par 14 en 40 ans alors que celui des hommes était multiplié par 2,4.

Il en est résulté une très forte féminisation des professions, plus importante dans certaines professions que dans d’autres, comme nous le verrons plus loin. En 2011, les femmes comptaient pour environ la moitié des professionnels (48,9% plus précisément).

Fait à noter aussi, les femmes et les hommes se distribuent à égalité au sein des professionnels: 8,3% des femmes et 8,0% des hommes en emploi s’y trouvent, une parité qu’on n’observe aussi que dans la strate des cadres intermédiaires déjà examinée dans le billet Structure sociale: place aux femmes.

Voici un examen plus fin des 6 grandes catégories retenues dans cette analyse:

1- Les professions libérales
La part que représentent les professions libérales traditionnelles est restée assez stable depuis les années 1970, soit environ un tiers de l’ensemble des professionnels. Le nombre de personnes travaillant dans le domaine juridique (notaires et avocats) a augmenté presque 2 fois plus vite que le nombre de médecins et de dentistes. Cependant, l’arrivée de nouvelles professions dans le domaine de la santé a redonné un net avantage à ce secteur d’activité au sein de la catégorie des professions libérales.

De leur côté, les professionnels de la gestion et de la finance sont maintenant aussi nombreux que les professionnels de la santé, alors qu’ils l’étaient 2 fois moins il y a 40 ans. Soulignons au passage qu’ils ont été des acteurs centraux dans l’émergence de Québec Inc.

Les femmes sont désormais majoritaires au sein des professions libérales avec 55,7% du total contre 10,8% en 1971. Ce changement est considérable et résulte du fait qu’elles vont davantage à l’université que les hommes.

2- Les professions en sciences sociales
Les professions classées sous cette catégorie sont récentes au Québec, et leur croissance a été observable dans foulée de la Révolution tranquille avec le développement du système universitaire québécois. Elles viennent au second rang au sein de la strate des professionnels, représentant 27,5% de l’ensemble ou 87 160 personnes.

Économistes, psychologues, sociologues, travailleurs sociaux, bibliothécaires, agents de recherche, agents de développement, conseillers en main-d’œuvre ou agents de relations publiques sont quelques-unes des professions les plus connues inscrites dans cette catégorie. Elles illustrent bien à quel point les services aux personnes occupent une place importante dans notre société. Ces professions sont aussi caractéristiques de l’avènement d’une société du savoir appliqué dans les organisations de toutes sortes.

Le taux de croissance du nombre de professionnels en sciences sociales et humaines a été 2 fois plus important que celui de l’ensemble des professionnels et plus des 2/3 de ces professions sont occupées par des femmes.

3- Les professions en sciences pures et appliquées
Les professions en sciences pures et appliqués –79 815 personnes en 2011, soit le 1/4 du total– sont plus anciennes. Les ingénieurs dominent parmi celles-ci où se trouvent aussi les chimistes, les physiciens, etc., ainsi que de nouvelles spécialités comme les ingénieurs en aérospatiale ou en informatique. L’importance relative de ces professionnels a régressé en 40 ans parce que la croissance de leur nombre a été moins prononcée que celle des autres types de professionnels. Par contre, la féminisation de ces professions a fait des progrès, le taux de présence féminine passant de seulement 3,6 % en 1971 à 25,2 % en 2011, un progrès indéniable, mais encore loin de la parité souhaitée par plusieurs.

4- Les professions dans le domaine culturel
Viennent ensuite les professions du domaine culturel et des communications (musiciens, acteurs, journalistes, etc.). Cette catégorie est marginale (8,7% du total) et une bonne partie de ses membres a de la difficulté à vivre de son art et de son travail. Ces personnes ont été classées parmi les professionnels à cause du diplôme universitaire ou du statut social acquis au fil des ans. Ce domaine professionnel est composé de 45% de femmes.

5- Les professeurs d’université
Les professeurs d’université identifiés comme tels dans les recensements posaient un problème dans cette étude sur la stratification sociale pour une raison simple. Il est en effet possible que certains universitaires aient choisi de s’identifier à une profession en particulier (ingénieur, avocat, économiste, etc.) alors que d’autres collègues se sont plutôt définis comme professeurs d’université. Ceci dit, leur nombre est suffisamment élevé pour constituer une catégorie à part.

S’y trouvent 40% de femmes, soit le double de la proportion observée 40 ans plus tôt, ce qui reflète la féminisation croissante du milieu de l’enseignement universitaire.

6- Les membres du clergé
Les membres du clergé sont, quant à eux, en forte décroissance et ils ne représentent plus que quelques milliers de personnes3. Ils sont classés parmi les professionnels à cause de leur formation universitaire, alors que les religieux et les religieuses sont classés au sein de la strate sociale des professions intermédiaires, qui sera l’objet d’un prochain billet.

Le statut et la fonction des professionnels changent
La professionnalisation a contribué au changement dans la stratification sociale québécoise en gonflant les rangs du haut de la hiérarchie sociale. Le système de production, le système politique, le système social et l’État providence, sans oublier le secteur associatif, fonctionnent sous le mode bureaucratique. Le modèle organisationnel est omniprésent, et les professionnels sont des rouages clés au sein des organisations, qui ne sauraient exister sans leur expertise.

Leur implication dans les organisations change cependant leur statut et la nature même de leur travail. Les professionnels d’hier étaient presque tous des personnes exerçant à leur compte, dont le travail était contrôlé par leurs pairs et par leur corporation professionnelle; ils étaient animés par l’idéal de service public et jouissaient d’un prestige élevé dans la société. Une partie de ces attributs leur échappe désormais ou, du moins, est modulée par leur appartenance aux organisations qui les embauchent.

***

Ce billet est le 8e d’une série sur la mutation sociale du Québec de 1971 à 2011. Pour lire les autres billets:

1. 1971-2011: la mutation sociale radicale du Québec

2. Structure sociale: place aux femmes

3. Pourquoi si peu de femmes chez les cadres supérieurs?

4. Les techniciens, au coeur des classes moyennes

5. Féminisation encore plus forte du travail de bureau

6. Vente et services: 2 secteurs typiques de la société de consommation

7. Déclin et mutation de la classe ouvrière

9. Les professions intermédiaires, un monde de femmes

1 Voir le premier billet de cette série 1971-2011: la mutation sociale radicale du Québec

2 Simon Langlois, «La grande mutation des professions au Québec 1971-2006 », Les Cahiers des Dix, numéro 65, 2011, p. 283-303.

3 Le clergé est vieillissant et plusieurs de ses membres sont probablement classés comme étant retraités dans les données du recensement.

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