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Les techniciens, au cœur des classes moyennes

L’un des changements les plus spectaculaires des dernières décennies, dans la stratification sociale de la société québécoise, est sans conteste la montée des techniciens dans différents secteurs d’activité: la santé, l’informatique, les communications, le travail de bureau et l’administration, sans oublier le secteur industriel. Parmi les 10 strates sociales que nous avons distinguées dans le premier billet, les techniciens représentent maintenant la seconde strate la plus importante dans la société québécoise (16,9% du total) après celle des ouvriers, et le nombre de ses membres a été multiplié par 4 depuis 1971.

techniciens

Ces techniciens sont majoritairement formés dans les cégeps. Leur avènement dans notre société a contribué à transformer les classes moyennes, dont ils forment désormais le cœur de la strate supérieure. La distinction en 6 grandes catégories d’emploi au sein de cette strate sociale fera apparaître de fortes différences entre les femmes et les hommes.

1. Les techniciens de l’administration
L’administration et la gestion constituent les domaines d’activité dominants au sein de la strate des techniciens, avec près de 190 000 individus en 2011 ou 28,8% du total. La hausse de leur nombre s’explique par la profonde transformation du travail de secrétariat et par l’avènement de nouveaux types d’emploi qui nécessitent la maîtrise d’outils informatiques. Ainsi, les secrétaires d’autrefois ont été remplacées en partie par des agentes de bureau et des techniciennes en administration. Dans l’université où j’enseigne depuis 40 ans, le nombre de secrétaires et de dactylos a constamment diminué alors qu’augmentait celui des techniciens dans les domaines les plus variés: agents de personnel, agents d’administration des programmes d’études, sans oublier tout le personnel en informatique et en nouvelles technologies des communications (soutien à l’enseignement à distance, etc.).

La croissance des emplois de techniciens en gestion et en administration est liée à l’extension du mode organisationnel dans nos sociétés développées. Plus nombreuses, les grandes organisations requièrent toutes une main-d’œuvre spécialisée dans leur gestion quotidienne. Pensons aux ministères et aux services municipaux, mais aussi aux sociétés privées de toutes tailles: le modèle organisationnel demande une expertise technique au quotidien.

L’avènement de la société de consommation marchande a aussi nécessité le recours à nombre de techniciens impliqués dans la circulation des marchandises et la vente: préposés aux achats, techniciens en comptabilité, etc.

Les femmes comptent pour les 2/3 des personnes travaillant au sein de cette 1re catégorie de techniciens.

2. Les techniciens en santé et en services sociaux
Le secteur de la santé est caractérisé par le recours croissant à la technique. Les médecins ne se fient plus à leurs seules connaissances et à leur bon jugement comme autrefois, mais ils comptent plutôt sur une multitude de nouvelles technologies pour établir leurs diagnostics et pour intervenir auprès des malades. Pensons aux divers appareils auxquels ils ont désormais recours quotidiennement ou encore à la possibilité d’effectuer nombre de tests médicaux élaborés. La pratique de la médecine moderne requiert des techniciens pour installer, entretenir et faire fonctionner ces appareils et pour accompagner les médecins dans leurs tâches (faire passer les tests, etc.), sans parler des techniciens assurant la gestion de leurs bureaux, la comptabilité, etc.

Le secteur de la santé comprend par ailleurs un grand nombre d’emplois techniques qui n’existaient pas ou peu il y a 40 ans: technologues en radiation, hygiénistes, personnel paramédical, etc. Ces techniciens offrent maintenant toute une gamme de services paramédicaux. Se trouvent dans cette catégorie les infirmières auxiliaires, alors que les infirmières seront incluses dans la strate des professionnels intermédiaires, qui sera analysée dans un autre billet.

De son côté, le secteur des services sociaux s’est développé à la suite de l’extension de l’État providence, ce qui a aussi nécessité le recours à un personnel technique spécialisé. C’est le cas pour les 71 335 éducateurs et spécialistes de la petite enfance qui travaillaient au Québec en 2011.

La catégorie socioprofessionnelle des techniciens en santé et en services sociaux touche 23,9% du nombre total dans la grande catégorie des techniciens, et elle est dominée à 88,7% par les femmes.

3. L’omniprésence de l’informatique
L’avènement de l’informatique a provoqué des changements radicaux dans le monde de l’emploi, provoquant la montée assez spectaculaire du nombre de techniciens en informatique et de spécialistes en technologie des communications, qui est passé de 6 500 personnes en 1971 à 110 000 environ en 2011. Cette catégorie comprend un grand nombre de titres d’emplois qui n’existaient tout simplement pas il y a 40 ans: techniciens de réseaux informatiques, spécialistes des logiciels, spécialistes de la câblodistribution, concepteurs de jeux vidéo, etc.

Cette catégorie, la 3e en importance dans notre étude, représente 16,6% du total contre 4% seulement en 1971. Cette fois, les femmes sont nettement sous-représentées dans ce groupe (22% du total).

4. Les techniciens en sciences
Le développement considérable des sciences pures et appliquées et des divers types de génie a requis un très grand nombre de techniciens dans plusieurs domaines (génie industriel, génie civil, dessin industriel, biologie, chimie, etc.). Pas moins de 81 085 individus travaillaient comme techniciens en 2011, un nombre multiplié par 4 en 40 ans. Là encore, les femmes sont largement en minorité (22% en 2011).

5. Les policiers et les membres des forces armées
Les officiers de police et les membres des forces armées ont été classés dans cette catégorie de techniciens et leurs effectifs sont passés de 45 875 à 68 275 en 40 ans. La féminisation de cette catégorie est notable, la part des femmes étant passée de 4,3% à 22% entre 1971 et 2011, mais la parité entre les sexes est loin d’avoir été atteinte.

6. Les pratiques artistiques
Le dernier secteur dans cette strate sociale, celui des techniciens dans les arts et la culture, n’est pas en reste et on y trouve les dessinateurs, les employés des musées, les artisans de la scène, les graphistes, etc. Bien que ses effectifs aient doublé en 40 ans, la place relative de cette catégorie socioprofessionnelle a régressé (de 13,8% à 7,9% dans l’ensemble des techniciens) et elle comporte autant de femmes que d’hommes.

Féminisation contrastée
La strate des techniciens est devenue la première en importance chez les femmes dans l’ensemble des 10 grandes strates sociales que nous avons distinguées (18,3% du total) et la seconde en importance chez les hommes (15,6% du total), comme on l’a vu dans le premier billet.

Le taux de féminisation est cependant fortement contrasté au sein de cette strate sociale lorsqu’on examine les diverses catégories socioprofessionnelles qui la compose. Trois catégories comptent au moins 50% de femmes (administration, santé et services sociaux ainsi que arts et culture) et les 3 autres, un peu plus de 20%.

Une forte division sexuelle du travail caractérise le travail des techniciens dans notre société. Le travail technique au sens large est devenu important sur le marché du travail autant pour les femmes que pour les hommes, mais leur implication dans ces activités porte largement la marque des rôles traditionnels: l’administration, la santé, les services sociaux et les arts attirent largement les femmes alors que les hommes se sont tournés vers l’informatique, les nouvelles technologies de la communication et les techniques scientifiques.

Les nouvelles classes moyennes
Les techniciens forment maintenant le cœur de ce qu’on pourrait appeler la fraction supérieure des classes moyennes. Les emplois qu’ils occupent sont généralement bien rémunérés, même s’il existe des disparités entre certains secteurs (il y a une plus grande précarité dans le secteur des arts que dans celui de l’informatique, par exemple). Les classes moyennes ne sont plus principalement formées par «les ouvriers de l’abondance», selon le mot du sociologue britannique John Goldthorpe, comme c’était le cas dans les années d’après-guerre de 1945, ni par les cols blancs étudiés par C. Wright Mills dans les années 1950, aux États-Unis. L’arrivée de nouvelles catégories socioprofessionnelles comme celles qui composent la strate des techniciens a modifié la composition des classes moyennes, devenues une constellation fortement diversifiée.

La montée des techniciens dans notre société illustre l’importance accrue de l’éducation et de la certification des connaissances. Les statistiques que nous analysons prennent en effet comme point de départ l’année 1971, soit 3 ans après la création du réseau des cégeps au Québec. Depuis cette date, le secteur technique des collèges s’est largement développé, et ses diplômés ont contribué à changer le portrait de la stratification sociale dans la société québécoise. Pierre Moreau, le nouveau ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec (nommé en février 2016), a déjà prôné l’abolition des cégeps, mais il devra y réfléchir à 2 fois avant de relancer cette idée, les collèges ayant livré la marchandise attendue lors de leur création. Ces derniers ont favorisé la mobilité sociale de bon nombre de Québécois, et en particulier celle des femmes.

***

Ce billet est le 4e d’une série sur la mutation sociale du Québec de 1971 à 2011. Pour lire les autres billets:

1. 1971-2011: la mutation sociale radicale du Québec

2. Structure sociale: place aux femmes

3. Pourquoi si peu de femmes chez les cadres supérieurs?

5. Féminisation encore plus forte du travail de bureau

6. Vente et services: 2 secteurs typiques de la société de consommation

7. Déclin et mutation de la classe ouvrière

8. Professionnels: plus de diversité et plus de femmes

9. Les professions intermédiaires, un monde de femmes

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