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Photo de Agnès Blais

Le jour de la Victoire: gloire étatique et chaleur humaine

Cette année, pour la répétition de la parade militaire du 9 mai, jour anniversaire de la victoire de la Russie sur l’Allemagne lors de la Grande guerre patriotique (1941-1945), les énormes tanks et lance-missiles de l’armée russe ont défilé par trois fois sur la rue Tverskaïa, l’axe principal de Moscou, en direction de la place Rouge.

Le jour de la Victoire est l’une des fêtes les plus importantes du calendrier russe. Dans toute la ville, des affiches expliquent pourquoi porter le «ruban de Saint-Georges» orange et noir: «expression de notre respect envers les vétérans, hommage à la mémoire de ceux qui sont tombés au front, hommage à tous ceux grâce à qui nous avons remporté la victoire en 1945. Je me souviens! Je suis fier!». Et comment: «à la boutonnière, sur le sac à main, l’antenne de la voiture ou au poignet». Dans les cours intérieures, plusieurs murales du souvenir sont peintes.

 Trois répétitions plus tard et les routes vers le centre de Moscou étant fermées du 6 au 9 mai, la parade a lieu sur la place Rouge. J’ai regardé sa retransmission en direct à la télé, car il faut être invité pour y assister. Quatorze mille soldats sont réunis en bataillons rangés. Le ministre de la Défense fait 5 fois le tour de la place en répétant: «Chers camarades, je vous félicite pour ce 67e anniversaire de la Grande guerre patriotique». Les soldats répondent à l’unisson un lent et posé «Houuurrrra». S’ensuit le défilé des tanks (technologies). Pour moi, ces images évoquent d’emblée les démonstrations coréennes et soviétiques à la gloire de l’État.

Si le jour de la Victoire a ses côtés vertueux, éducatifs, émouvants, chaleureux, festifs et folkloriques, les autres guerres et les temps présents ne sont pas évoqués, de l’Afghanistan (une défaite) à la Tchétchénie (pas une guerre, mais une opération antiterroriste). Exit aussi les violences de masse, le goulag, la suite.

Au parc de la Victoire
Après la retransmission, à l’écart du faste inaccessible de l’État obnubilé par cet événement, quintessence patriotique et glorieuse, je suis les Russes au parc de la Victoire où se trouve le mémorial célébrant la Grande guerre patriotique. C’est un véritable pèlerinage. Les enfants et les jeunes achètent des fleurs, surtout des œillets rouges, vont vers les vétérans, de moins en moins nombreux au fil des ans, et offrent leur présent en les remerciant pour la victoire, en les «félicitant» comme le veut la langue russe, pour cet anniversaire du 9 mai. Certains donnent du chocolat. Ces rencontres sont très émouvantes et touchantes.

J’écoute parler Anatoliï Alekseïevitch Belov. Il était lieutenant dans la 16e division des gardes d’artillerie Karachevskaya. La division a mené, dit-il, deux grandes opérations (1942) sur le Front de l’Ouest: la bataille de Rjevsko-Viazemckoï et celle de Rjevsko-Sytchëvskaïa sur le Front de Kalinine (près de Moscou).1 «J’ai servi dans la deuxième. Tous ceux de la première sont morts au front. Avant, personne n’en parlait. Il existe un film sur ces grandes batailles près de la ville de Rjev.

Un jeune homme vient lui serrer la main et dit:
– Died (grand-père), died! Merci pour la victoire.
– Merci à vous pour la mémoire, répond Anatoliï Alekseïevitch.
– Que Dieu vous donne la santé.
– Oui, je suis en santé pour le moment, seulement je ne vois plus.
– Nous, les jeunes, voyons pour vous.
– Quel âge as-tu?
– 30 ans. J’ai moi-même servi en Afghanistan.
– Es-tu de Moscou?
– Non, je suis de Tachkent.
– Ah! Tachkent, la ville du pain. On l’appelait ainsi2. Comment est la vie là-bas?
– Ça va. Nous vivons pour le moment.

Comme pour plusieurs vétérans, des décorations que porte Anatoliï Alekseïevitch, la plus importante est la première, celle que la division a reçue pour ses batailles au front. «Ma première et plus importante décoration n’est pas une décoration, c’est un insigne à la mémoire de la division. Elle est accrochée quelque part en bas à gauche de ma veste».
Au pied du monument de Saint-Georges terrassant le dragon que domine un obélisque et où s’accumulent encore des fleurs, les portraits de famille se succèdent. Au parc de la Victoire, il y a beaucoup de gens d’Asie centrale. Ce sont les vacances. Certains sont venus du Kirghizistan ou du Tadjikistan, où la fête est aussi très célébrée. D’autres travaillent à Moscou.

Au parc, j’ai aussi rencontré Elena Ivanovna Tarassova. Elle était conductrice dans la 1re armée de blindés sous le commandement du maréchal Kotoukov. Elena Ivanovna a participé à la bataille de Koursk et de Berlin. Ses voisins, qui l’ont accompagnée pour célébrer ce jour sacré, m’offrent du cognac et du chocolat. Nous trinquons, je retrouve la chaleur russe. Elena Ivanovna est staliniste. «Il était bon, il nous a donné les palais des pionniers, des jardins d’enfants et la victoire». Dans l’oubli les morts du goulag…

C’est jour de fête, le folklore vit, par ces jeunes qui dansent sur des valses militaires que tous connaissent, par tous ces gens qui ont revêtu les habits traditionnels des soldats de l’Armée rouge commandés sur Internet ou dans certains magasins, par contacts interposés.

Tatiana, professeure à l’École des cadets Marino, tient à ce que je fasse une photo avec les jeunes cadets de son école (9-10 ans). Elle les élève comme ses enfants, en leur parlant sévèrement, mais avec une grande fierté, pour ne pas qu’ils salissent leur chapeau et se tiennent droits.

Tous ceux qui font partie de l’armée ou d’une école militaire ont revêtu leur uniforme de cérémonie. Sur une corde tendue entre deux bouleaux, des enfants de tout le pays ont accroché le dessin de leurs aïeux et, au verso, ont écrit leur récit de la guerre ou exprimé leur amour filial.

 
Ce billet fait partie de la sélection 2013 des Meilleurs blogues de science en français parue aux Éditions MultiMondes.

1 En novembre 1942, avec le Front de l’Ouest, le Front de Kalinine lança l’opération Mars contre les positions défensives allemandes du saillant de Rjev et Viazma.

2 À l’époque de la grande famine en Russie, à la fin de la guerre civile dans les années 1920, on surnommait ainsi la capitale de la République d’Ouzbékistan.

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