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Le foot, le racisme et l’oligarque

Quand j’ai appris que la Russie avait obtenu le Mondial de foot 2018, j’ai été très surprise. Ceux qui connaissent la Russie savent que les parties de foot rassemblent beaucoup de partisans ultranationalistes. Plusieurs agressions racistes surviennent pendant et après les parties. Pourquoi la Russie a-t-elle obtenu la Coupe du monde 2018 devant les candidatures de l’Angleterre, et des duos Espagne-Portugal et Belgique-Pays-Bas?

«Jamais la Russie ou l’URSS n’avaient eu leur tour. C’est normal pour un pays européen d’obtenir la Coupe», m’a répondu Samir Ghrib, l’entraîneur du club de soccer Rouge et Or de l’Université Laval, avant d’ajouter: «Bien sûr, il y a des critères techniques, économiques, d’infrastructures, un cahier de charges si vous voulez. Après, il y a des raisons politiques». De nombreux scandales au sujet de l’achat de décideurs de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) avaient d’ailleurs éclaté lors de l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022. Les révélations de corruption par le Sunday Times de Londres (exit la candidature de l’Angleterre) avaient provoqué la suspension de Reynald Temarii et d’Amos Adam, tous deux membres du comité exécutif de la FIFA. Experts dans l’organisation de grands événements sportifs (JO de Barcelone en 1996 et Euro 2004 au Portugal), l’Espagne et le Portugal avaient des infrastructures toutes prêtes, mais les sombres perspectives économiques et financières de ces deux pays faisaient tache. La Russie, elle, manque de stades, d’hôtels, de routes, mais l’État russe est prêt à s’investir et est riche en pétrodollars, ou «gazodollars».

Les coûts astronomiques de l’organisation de la Coupe du monde de foot dans les 13 villes regroupées en Russie européenne dépassent ceux des Jeux olympiques de Sotchi en 2014. Malgré son poids financier, l’événement aura un effet structurant sur le pays. Et puis, peut-être contribuera-t-il à diminuer le racisme? «Je crois à cette mission de favoriser l’ouverture pour quelque temps; puis ça passe, comme lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud (2010). Il serait intéressant d’observer a posteriori quelles sont les personnes ou les groupes qui en bénéficient», estime Samir Ghrib.

Le racisme se manifeste souvent lors de parties de foot. En juin 2011, à Samara, le joueur d’origine brésilienne du club Anzhi Makhatchkala (Makhatchkala est la capitale de la République du Daghestan), Roberto Carlos, a reçu des bananes lancées des tribunes. Le 18 mars dernier, le Congolais Christopher Samba, autre joueur d’Anzhi, a reçu lui aussi une banane. Le 7 avril au stade de Moscou, le graffiti suivant a été effacé: vous en voulez encore  –illustré d’une banane et d’une croix gammée. La Russie n’a toutefois pas le triste monopole du racisme. Le phénomène est aussi présent en Italie et le Camerounais Samuel Eto’o a été victime de racisme en France.

Le joueur d’origine camerounaise Samuel Eto’o. –Photo Presse canadienne

Samuel Eto’o et Roberto Carlos au Daghestan
Pourquoi des joueurs célèbres comme Samuel Eto’o ou Roberto Carlos vont-ils jouer dans un club comme celui d’Anhzi Makhatchkala au Daghestan, république russe du Caucase? L’argent. «Ces grands joueurs s’assurent une retraite dorée. Vous avez Anelka, le joueur français, qui est allé en Chine, et Henry à New York. Ils sont en fin de carrière et le font pour l’argent», m’a répondu Samir Ghrib.

De toute évidence, le club Anzhi (la perle, en langue Koumyk) Makhatchkala a les moyens de payer. En janvier 2011, l’oligarque Suleyman Kerimov, dont la fortune s’élève à 7,8 milliards de dollars selon le magazine Forbes, a acheté ce club et recruté Samuel Eto’o à qui il offre alors un salaire annuel de 20 millions d’euros, le plus gros cachet de l’histoire du foot. Ce patron aussi sénateur offre des cadeaux: une Ferrari à Samuel Eto’o, une Bugatti à Roberto Carlos.

Qu’est-ce qu’un oligarque?
Les oligarques sont ceux qui ont accaparé les richesses nationales à un coût minime au lendemain de la chute de l’URSS en 1991 et qui ont accumulé une fortune colossale par les privatisations. À son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine a utilisé l’argument d’une lutte contre ces oligarques qui ont spolié les richesses du pays pour affermir son pouvoir et instaurer sa verticale du pouvoir.

Mais voilà, une fois son pouvoir assuré, entre autres par l’exemple de l’emprisonnement de l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski qui avait eu des velléités d’implication politique, le président Poutine a conservé des amis riches et puissants. Selon Sodaltov et Borogan (2011)1, la situation aurait peu changé depuis les années 1990 et les oligarques, à l’exception de quelques-uns comme Khodorkovski, auraient pour la plupart conservé les positions qu’ils avaient acquises au moment des privatisations.

Suleyman Kerimov en est un exemple. Né au Daghestan, il commence sa carrière comme comptable dans une fabrique de téléviseurs. Après la chute de l’URSS, il fuit la guerre qui sévit dans le Caucase et s’établit à Moscou. Il place son argent dans des moyennes entreprises par l’entremise de la Fedprombank, une banque d’investissement qu’il rachète en 1993. Six ans plus tard, il prend le contrôle de la société pétrolière Nafta-Moskva. En 2010, il acquiert et fusionne les prospères producteurs de potasse russe Uralkali et Silvinit. En coopérant avec l’entreprise biélorusse Belaruskali, il permettrait aux 3 sociétés de contrôler jusqu’à 45% du marché international de la potasse –cogéré par le Canada.

Suleyman Kerimov est proche de Vladimir Poutine et membre de son parti politique Russie unie. En 1999, il entre à la Douma (le Parlement). En 2007, une loi interdit aux milliardaires de siéger à la chambre basse. Il passe alors au Sénat.

Le Daghestan est actuellement en proie à une guerre civile qui oppose les forces de l’ordre et la guérilla islamiste. La violence sévit quotidiennement et la corruption est oppressante. Au cours des neuf premiers mois de 2011, 315 personnes sont mortes dans des attentats. Pour des raisons de sécurité, les stars du club de foot d’Anzhi vivent à Moscou, à 1600 km au nord de Makhatchkala.

1 LE HUÉROU A., 2011, «Interview with Andreï Soldatov and Irina Borogan, editors of www.agentura.ru, authors of The new Nobility: the restoration of Russia’s Security state and the enduring legacy of the KGB» (in French), consulté sur le site Internet Understanding Violence in Russia (http://russiaviolence.hypotheses.org/1249), le 30 octobre 2011.

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