Impressions d'architecture
Publié le 4 novembre 2013 | Par Martin Dubois
Gratte-ciel ou les hauteurs de Québec
Faisant suite à mon dernier billet qui portait sur la densification urbaine, j’aborde aujourd’hui la question des immeubles en hauteur. Ce sujet, qui revient périodiquement dans les débats, est actuellement d’actualité alors que la densification est au cœur des préoccupations. S’il est vrai que construire en hauteur est une bonne façon de densifier la ville, ce n’est toutefois pas la seule.
Dans des villes surpeuplées où chaque mètre carré à construire coûte une fortune, ériger des gratte-ciel est économiquement la solution la plus viable. Peut-on en dire autant de Québec? Nous ne sommes ni à New York, ni à Tokyo, ni à Hong Kong. La spéculation immobilière n’est pas forte au point de faire pousser la ville à la verticale. Et, quoiqu’en disent les promoteurs à propos de la rareté des terrains disponibles, les espaces vacants ou sous-utilisés sont encore très nombreux, à commencer par tous ces stationnements à ciel ouvert qui gaspillent du mètre carré et qui contribuent à l’étalement urbain. Je pense que construire des tours et des gratte-ciel à Québec, c’est avant tout un geste politique, corporatif ou symbolique pour affirmer sa présence dans la ville et ainsi participer à la silhouette urbaine. Et ce, hier comme aujourd’hui.
Vous avez dit gratte-ciel?
Certains trouveront abusif d’employer le mot gratte-ciel dans le contexte de Québec. C’est qu’il n’existe pas de définition officielle ni de hauteur minimale à partir de laquelle on peut qualifier un immeuble de gratte-ciel. Cette notion est très relative en fonction de l’époque ou du lieu. Les premiers gratte-ciel tels qu’on les connaît aujourd’hui sont apparus à Chicago et à New York à la fin du 19e siècle avec l’émergence d’une nouvelle approche dans la construction d’immeubles visant à réduire les coûts liés à l’augmentation du prix des terrains. L’avènement des ossatures en acier, solides, faciles et rapides d’assemblage, à l’épreuve du feu, ainsi que l’invention de l’ascenseur mécanique ont contribué à populariser ces immeubles à étages multiples. Les architectes de Chicago ont été les premiers à élaborer un système de structure interne sur laquelle repose tout l’édifice, enlevant ainsi les charges sur les murs extérieurs. Ce système a ensuite fait boule de neige partout en Amérique du Nord.
Si les premiers gratte-ciel ne dépassaient guère 10 à 12 étages, les limites ont vite été repoussées, si bien que l’un des plus célèbres édifices du genre, l’Empire State Building de New York, atteint 381 mètres avec ses 102 étages, en 1931. Le premier gratte-ciel de Québec, l’édifice Price, avec ses 16 étages, avait été inauguré l’année précédente. Ne dépassant que de quelques mètres la tour du Château Frontenac construite quelques années auparavant, cet édifice de style Art déco avait créé un tollé à l’époque à cause de sa hauteur excessive et de sa mauvaise intégration dans le Vieux-Québec, alors essentiellement composé d’immeubles atteignant 3 ou 4 étages. Il avait même été à l’origine d’une réglementation plus stricte en matière de hauteur dans le quartier historique.
Il faut attendre les années 1960 avant de voir apparaître d’autres gratte-ciel à Québec, notamment sur la colline Parlementaire. Autant l’édifice Price avait été érigé comme symbole économique associé à l’empire commercial de la famille Price, barons de l’industrie des pâtes et papiers, autant les nouveaux immeubles de la colline, notamment l’édifice Marie-Guyart (31 étages), symbolisaient l’entrée de la société québécoise dans la modernité. Des immeubles construits sur la partie la plus haute de Québec, comme les hôtels Le Concorde et Hilton et les tours de bureaux Place-Hauteville, Place-de-la-Capitale et l’édifice D’Youville, ont complètement changé la silhouette de la ville.
Ces dernières années, c’est surtout le secteur de Sainte-Foy qui accueille des tours faisant office d’images de marque de grandes sociétés immobilières. Des projets sur le boulevard Laurier et à la tête des ponts, encadrés par le nouveau Programme particulier d’urbanisme (PPU) qui permet la construction d’immeubles allant jusqu’à 29 étages dans certaines zones, annoncent la venue de nouvelles construction en hauteur dans ce coin de la ville au cours des prochaines années.
L’architecture des tours
Comme à toutes les époques, les gratte-ciel sont le reflet des courants architecturaux les plus avant-gardistes. Qui plus est, ils se doivent d’afficher une architecture distinctive et novatrice de la meilleure qualité qui soit en raison de leur grande visibilité et de leur présence dans le paysage urbain. Tout comme l’édifice Price est un digne représentant de l’architecture Art déco des années 1930 et l’édifice Marie-Guyart est tout à fait dans le ton du mouvement brutaliste des années 1960, les gratte-ciel d’aujourd’hui doivent innover et refléter les meilleurs standards de l’architecture contemporaine. Les possibilités sont multiples et plusieurs grandes capitales du monde comme Dubaï, Londres ou Singapour ont fait de leurs gratte-ciel des images de marque grâce à leur design distinctif.
À mon avis, les tours apparues récemment dans le paysage de la Capitale ne sont pas particulièrement réussies à cet égard et manquent cruellement d’audace. On dirait parfois qu’elles ont été construites dans les années 1980 ou 1990 marquées par le postmodernisme. Il y a donc encore place pour l’innovation dans les projets à venir. Et avant d’ériger une tour ou un gratte-ciel, il faut vraiment évaluer leur pertinence, car ils peuvent causer plusieurs nuisances. En effet, les immeubles de grande hauteur créent d’importantes zones d’ombre sur le voisinage et des couloirs de vent souvent désagréables pour les piétons. Il ne faut donc pas densifier n’importe comment, et la construction d’un gratte-ciel commande le plus grand doigté.
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