Regards sur la société
Publié le 6 mai 2014 | Par Simon Langlois
Emplois hommes-femmes: le cas du Québec –1re partie
Une profonde mutation se confirme sur le marché du travail: les femmes et les hommes sont de plus en plus égaux au sommet de la hiérarchie socioéconomique, mais ils demeurent profondément séparés à la base, dans les emplois qui requièrent un niveau de scolarité moins élevé. La progression vers l’égalité des conditions entre les femmes et les hommes au sommet est l’une des grandes tendances de la stratification sociale au Québec comme dans toutes les sociétés développées, même si l’égalité réelle (égalité des résultats) n’est pas atteinte.
Dans un livre qui a eu un certain retentissement –The XX Factor. How the Rise of Working Women Has Created a Far Less Equal World (2013)– la professeure d’économie britannique Alison Wolf soutient que la progression des femmes au sommet a créé plus d’inégalités entre les femmes elles-mêmes. Elle soutient que pour chaque femme hautement scolarisée en haut de la hiérarchie des emplois, il y a 4 autres femmes à son service (et au service de son couple, devrions-nous préciser) dans des emplois traditionnellement féminins: éducatrices, employées dans les services, femmes de ménage, etc. Mme Wolf force un peu le trait en avançant que la base de la pyramide des emplois est marquée par une forte ségrégation entre les sexes. «Now take the other four-fifths, the fat middle and base of the pyramid. Here by contrast, women everywhere still live and work, to a surprising degree, in a distinctively female world» (p. 8).
Est-il vrai que les individus des 2 sexes sont égaux au sommet, mais vivent dans des mondes différenciés selon le sexe au milieu et à la base, comme le soutient Alison Wolf? Le cas québécois montre que les choses sont plus complexes et moins tranchées qu’elle ne le prétend. Je poserai d’abord le problème en différenciant l’égalité des conditions et l’égalité des résultats, une distinction courante en sociologie, et décrirai ensuite la situation dans les emplois supérieurs au Québec. Dans la 2e partie de ce billet, je m’attarderai aux autres emplois et aux implications de cette réalité.
Que faut-il comprendre par égalité des conditions?
L’égalité des conditions est entendue au sens donné à ce terme par Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1835). Ainsi, les femmes ont accès aux emplois supérieurs, y compris aux plus hautes fonctions dans les entreprises ou en politique, ce qui ne signifie pas que l’égalité soit atteinte pour autant.
On ne s’étonne plus de voir une femme devenir première ministre ou présidente d’une grande société (Rio Tinto Alcan, Mouvement Desjardins, …). Au contraire, on s’en réjouit et cela est souligné comme une avancée. De même, l’absence de parité entre les sexes dans la formation du dernier conseil des ministres du gouvernement du Québec a été déplorée comme un écart devant la nouvelle norme ou les nouvelles attentes en matière d’égalité. La progression vers l’égalité engendre même une croissance des attentes et une augmentation de la frustration à mesure qu’on progresse vers cet idéal: on devient plus sensible aux inégalités qui demeurent malgré les progrès, autre paradoxe bien connu aussi mis en évidence par de Tocqueville.
Au sommet
Les femmes constituent la majorité des étudiants dans un grand nombre de facultés universitaires, ce qui leur a ouvert les portes des emplois supérieurs dans des secteurs nouveaux ou anciennement dominés par les hommes. Ainsi, selon le recensement de la population de 20061, il y avait 37 815 femmes et 49 240 hommes dans les emplois de cadres intermédiaires et de directeurs, et 1 femme pour 3 hommes chez les cadres supérieurs (où l’égalité progresse moins rapidement), soit 21 240 femmes et 66 185 hommes. La progression des femmes dans les postes de professionnels (professions libérales, professeures d’université, professions en sciences sociales et en sciences pures, etc.) a été remarquable, avec 127 270 femmes et 141 215 hommes.
Ces données vont dans le sens de la thèse de Wolf: de plus en plus de femmes sont au sommet de la hiérarchie des emplois (égalité des conditions) bien qu’elles n’aient pas toujours autant de pouvoir ni des revenus aussi élevés que les hommes (inégalité des résultats). L’égalité est devenue la norme vers laquelle on tend, mais on sait que les normes ne sont pas toujours respectées…
Ces données ont plusieurs implications. Tout d’abord, les femmes et les hommes interagissent les uns avec les autres au sein des mêmes positions professionnelles. Dans l’université où j’enseigne, il est normal pour les professeurs de travailler au quotidien avec des personnes de l’autre sexe et qui exercent les mêmes fonctions qu’eux. Il en va de même dans les bureaux d’avocats, dans les cabinets de médecins ou dans l’agence bancaire au coin de la rue. Cette situation d’égalité des conditions (j’insiste sur ce dernier terme pour éviter les malentendus) caractérise maintenant la grande majorité des emplois supérieurs dans les milieux de travail. Une autre implication de cette tendance importante doit être soulignée: les employés des 2 sexes auront de plus en plus une femme en situation d’autorité (superviseure, présidente, doyenne de faculté, cadre supérieure, etc.).
Je reviendrai la semaine prochaine avec des données sur les emplois de la classe moyenne et sur ceux qui requièrent peu de formation.
1 Date des dernières données disponibles sur le site de Statistique Canada: http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2006/index-fra.cfm ↩
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