Regards sur la société
Publié le 7 mars 2013 | Par Simon Langlois
Le travail salarié des femmes change la société
L’un des changements majeurs qui a marqué la condition féminine ces dernières décennies est sans conteste la forte implication des femmes sur le marché du travail. Majeures sont aussi les conséquences de cette implication, notamment sur l’orientation de la société québécoise.
Il y a maintenant 1,8 million de femmes actives contre 2,1 millions d’hommes au Québec. Le nombre de femmes sur le marché du travail a été multiplié par 3 depuis 1971 et le nombre d’hommes, seulement par 1,6. Le monde du travail s’est donc largement féminisé et l’économie québécoise –tout comme celle des pays développés– ne pourrait tout simplement plus fonctionner sans le travail salarié des femmes. En l’espace de 40 ans, soit à peu près la durée de la vie active d’une personne, c’est toute la société québécoise qui a été bouleversée par l’arrivée des femmes sur le marché du travail.
Entre 1971 et 2006 (dernière année du recensement disponible), les différences entre les sexes se sont largement amenuisées dans les différents secteurs d’emploi, une donnée peu souvent signalée dans les analyses qui ont tendance à souligner les inégalités qui persistent bien davantage que les avancées assez spectaculaires qui ont eu cours. Les femmes ne sont plus seulement infirmières, secrétaires, vendeuses, enseignantes, préposées au soin des personnes ou encore, ouvrières dans les manufactures.
Les femmes sont maintenant mieux réparties entre les différents types d’emplois et leur place sur le marché du travail tend à ressembler à celle occupée par les hommes. La profession de médecin en est le meilleur exemple. Bien entendu, des différences persistent encore: les hommes dominent largement l’industrie de la construction et les femmes monopolisent l’enseignement au primaire. Mis à part certains domaines d’emplois bien précis, c’est plutôt la tendance au rapprochement qui prévaut.
Je vous propose un portrait de la distribution des femmes dans les différents types d’emplois ou les divers types d’activités professionnelles qu’elles exercent actuellement. Je soulignerai au passage les différences qui séparent encore femmes et hommes.
Les femmes cadres
Les médias ont souligné avec justesse la faible représentation des femmes dans les conseils d’administration des grandes sociétés. Mais qu’en est-il dans la haute administration et dans les emplois de cadres au sens large? Globalement, la présence des femmes est en nette hausse. Il n’y avait que 8 750 femmes cadres supérieures et intermédiaires en 1971 au Québec, contre presque 70 000 en 2006. La croissance a été forte, mais l’écart avec les hommes reste important, ces derniers étant plus de 110 000 dans ce groupe. Au total, 3,1% des femmes sont cadres, contre 5,6% des hommes.
Les femmes occupent une part grandissante des emplois de cadres qui ont été traditionnellement la chasse gardée des hommes, mais elles ont cependant de la difficulté à atteindre les plus hauts échelons pour un ensemble de raisons bien cernées par la sociologie, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à la théorie du plafond de verre, une explication plus proche de la vertu dormitive de l’opium que de la réalité sociale. Ainsi, les femmes sont moins présentes dans les old boys networks, elles assument encore la double tâche (famille et travail) et les membres influents des conseils d’administration ont encore des préjugés envers les femmes cadres dans bien des secteurs d’activité, entre autres facteurs.
En explosion dans les professions
Le nombre de femmes exerçant une profession libérale ou d’autres types de professions (notamment en sciences sociales et dans le secteur de la santé et des services sociaux) a été multiplié par 10 en 40 ans alors que le nombre d’hommes a simplement doublé dans ce type d’activité professionnelle. Mis à part le secteur des sciences pures et appliquées, elles dominent largement la majorité des emplois professionnels, notamment parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses à fréquenter l’université. Les femmes et les hommes que l’on peut qualifier de professionnels au sens nord-américain du terme sont à peu près dans la même proportion (6,9% et 6,8%) au sein de la structure sociale québécoise.
Majoritaires dans les emplois de la classe moyenne
Les emplois les plus typiques de la classe moyenne sont maintenant dominés par les femmes. Les professions intermédiaires (dans l’enseignement, la santé, l’éducation et les services sociaux notamment), les emplois de techniciens (en santé, en administration, en éducation) et les emplois de bureau sont occupés majoritairement par des femmes qui surpassent nettement en nombre les hommes, sauf dans des secteurs bien précis comme les techniques informatiques ou les techniques policières.
C’est dans ce grand secteur des emplois autrefois appelés «de cols blancs» –et constituant le cœur de la classe moyenne– que la présence féminine s’est le plus démarquée dans les dernières décennies. Les femmes dominent dans les professions intermédiaires dans les secteurs de l’enseignement, de la santé (infirmières), des services sociaux et de l’administration où elles sont 3 fois plus nombreuses que les hommes. Elles sont par contre à parité en nombre avec les hommes chez les techniciens, le groupe de métiers ou d’emplois qui a connu la plus forte croissance depuis 40 ans. Les femmes sont cependant impliquées dans des savoirs techniques différents (en administration, santé et services sociaux) de ceux des hommes (informatique, sciences et protection). Autour de 15% des individus actifs se retrouvent maintenant dans les emplois de techniciens.
Un fait mérite d’être noté: le nombre de secrétaires a peu augmenté en 40 ans, car l’univers du travail de bureau s’est radicalement transformé. Les sténodactylos d’autrefois ont en effet été remplacées par des techniciennes et des agentes de bureau aux qualifications nettement plus élevées. Il y avait 78 095 secrétaires en 1971, et ce nombre est passé à 113 660 en 2006, une faible progression si nous prenons en compte le fait que le nombre de femmes actives a été multiplié par 3 au cours de la même période.
Stabilité relative dans la vente et les services personnels
Les secteurs de la vente et des services aux personnes comptaient pour environ le quart des emplois féminins en 1971 et la proportion est restée à peu près la même 40 ans plus tard. En 2006, 10,6% des emplois féminins se retrouvaient dans le secteur de la vente, et 17,2% dans celui des services aux personnes. Les femmes et les hommes sont de nos jours à peu près également présents dans ces 2 secteurs d’emplois, mais ce n’était pas le cas en 1971, alors que les hommes étaient nettement moins représentés dans les services aux personnes (restauration, services de santé, services personnels). La parité entre les femmes et les hommes est venue cette fois de la plus forte présence des hommes dans les emplois de services aux personnes (dans la restauration, par exemple).
Déclin dans le monde ouvrier
La part des emplois associés au monde ouvrier et aux cols bleus a diminué en 40 ans tant chez les femmes (de 14,3% à 6,8%) que chez les hommes (de 44% à 37%). Les différences entre les sexes persistent encore nettement dans ce secteur. Les femmes sont maintenant nettement moins présentes que les hommes au sein de la classe ouvrière au sens classique du terme. Si une certaine parité entre les femmes et les hommes a été atteinte dans les secteurs de la vente et celui des services, ce n’est pas encore le cas dans les emplois manuels. Plus du tiers des hommes travaillent dans le secteur ouvrier et notamment dans celui qui a connu la plus forte progression en quarante ans: le transport (camionneurs et conducteurs). Les femmes ont quitté le monde ouvrier en plus forte proportion que les hommes.
Une observation mérite d’être faite au passage sur les emplois dans le monde agricole, qui ne représentent plus qu’environ 3% de l’ensemble. La présence des femmes dans ce secteur est de nos jours mieux reconnue, les conjointes des agriculteurs n’étant plus seulement identifiées comme mères au foyer à la manière d’autrefois, mais bien plutôt comme productrices ou travailleuses au sens propre.
Une influence sur les orientations sociales
Un nouvel essentialisme égalitaire entre les sexes s’est imposé comme fait établi dans notre société (voir mon billet Égalité entre les sexes: acquis et paradoxes). Dans un récent entretien accordé à la revue Idées, j’ai rappelé les grandes lignes de la mutation de la condition féminine. L’analyse des emplois occupés par les femmes fait apparaître une dimension nouvelle: c’est toute la société qui change sous l’effet de la présence accrue des femmes sur le marché du travail.
La féminisation marquée de la classe moyenne et la forte poussée de la présence féminine dans les professions (libérales et autres), dans l’administration et dans les emplois techniques sont des traits marquants de la mutation de la structure sociale au Québec. Le fait que les femmes soient nettement plus nombreuses à poursuivre des études postsecondaires va contribuer à renforcer les tendances évoquées plus haut.
Par la variété des métiers et des professions qu’elles exercent, les femmes ont été en mesure d’orienter la société québécoise dans de nouvelles directions ces dernières années. Ainsi, le fort appui donné à la présence de l’État providence au Québec n’est sans doute pas étranger à la forte présence des femmes sur le marché de l’emploi. Elles sont impliquées dans un grand nombre d’emplois liés à l’État (enseignement, santé, administration publique) et leur présence sur le marché du travail a exigé aussi la mise en place de politiques publiques nouvelles. Il en va de même dans les sociétés comparables.
L’entrée massive des femmes dans le monde du travail a non seulement eu un impact profond sur la condition féminine, elle a aussi transformé la société tout entière.
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Publié le 5 avril 2013 | Par @scopeck
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