Regards sur la société
Publié le 12 mai 2014 | Par Simon Langlois
Emplois hommes-femmes: le cas du Québec –2e partie
Comme je l’ai exposé dans la première partie de ce billet, au Québec, la situation des emplois supérieurs décrite par l’économiste Alison Wolf est avérée. Par contre, je ne partage pas sa thèse sur la séparation des sexes dans les «autres 4/5» des emplois.
Les femmes au cœur des classes moyennes
La ségrégation selon le sexe est fort présente dans les classes moyennes, mais pas aussi globale que Mme Wolf le prétend. En fait, les femmes ont largement envahi ce qu’on pourrait appeler les occupations et les emplois typiques de ces classes, soit les professions intermédiaires (enseignantes, infirmières, positions dans les services sociaux spécialisés, etc.) et les différents types d’emplois de techniciens (en administration, en santé, en communication, en technologie, etc.).
Les femmes et les hommes sont fortement représentés dans tous les emplois qui exigent un diplôme de cégep ou de 1er cycle universitaire, soit presque 1M de personnes (pour être précis, 912 500 selon le recensement de la population de 20061). La forte progression de l’emploi féminin dans ce secteur intermédiaire a fortement contribué à la croissance des classes moyennes, notamment grâce au double revenu dans les ménages.
Voyons quelques chiffres. En 2006, il y avait 286 030 techniciennes et 296 975 techniciens, donc presque l’égalité entre les femmes et les hommes dans ces secteurs qui ont pour la plupart émergé dans la seconde moitié du 20e siècle. Plus de femmes se trouvent par contre dans les professions intermédiaires, soit dans les secteurs de l’éducation et de la santé: 239 400 femmes et 89 980 hommes.
Cependant, il faut noter des «poches de résistance» ou des secteurs particuliers de cette classe moyenne où les stéréotypes continuent de dominer et où persistent des déséquilibres entre les sexes dans des emplois spécifiques. C’est le cas des emplois d’infirmières ou d’enseignantes au primaire, phénomène connu. Les positions de techniciens en santé et en services sociaux sont elles aussi majoritairement occupées par les femmes (115 235 femmes et 15 675 hommes) et c’est l’inverse en sciences (17 500 femmes et 57 535 hommes) ainsi qu’en technologie et informatique (31 265 femmes et 82 160 hommes).
En fait, on peut estimer qu’environ la moitié des emplois au sein de cette classe moyenne supérieure sont également occupés par des femmes ou des hommes. Mais l’autre moitié est caractérisée de son côté par le maintien de stéréotypes: les secteurs de l’éducation et des services sociaux sont féminisés alors que les secteurs scientifiques et informatiques sont dominés par les hommes. Cependant, ces emplois qui caractérisent le cœur des classes moyennes ont en commun d’exiger une certification des connaissances dispensée par les établissements d’enseignement postsecondaire. Il n’y a pas formellement d’interdits dans l’accès à ces grands domaines, mais les rôles sociaux traditionnels restent déterminants dans les choix faits par les individus.
Emplois exigeant peu de formation: 2 mondes séparés
La thèse de Wolf se confirme par ailleurs –mais encore là, partiellement– lorsqu’on examine les emplois au bas de la hiérarchie sociale, qui exigent une formation scolaire moindre. L’univers ouvrier et l’univers des bureaux se démarquent encore très largement du point de vue de la répartition des emplois selon le sexe. Le nombre d’emplois dans ces 2 secteurs d’activité est élevé: un peu plus de 1 500 000 personnes. Au total, environ 40% de la main-d’œuvre travaille dans ces 2 secteurs d’emplois fortement marqués par la ségrégation entre les sexes. Des centaines de milliers de femmes et d’hommes œuvrent dans des mondes du travail complètement séparés.
Les chiffres le démontrent. Toujours en 2006, il y avait, au Québec, 763 815 ouvriers et autres employés dans les domaines de la construction et du transport pour seulement 126 560 femmes. Les emplois de bureau sont de leur côté caractérisés par une forte séparation en fonction du sexe: 478 860 femmes contre 149 740 hommes. L’emploi de secrétaire, pour ne citer qu’un exemple, est encore largement féminisé (113 660 femmes et 2 180 hommes).
Une exception: la vente et les services personnels
Deux grands secteurs d’emploi échappent à la ségrégation sexuelle: ceux de la vente et des services personnels.
Le secteur de la vente –en progression dans la société de consommation élargie– est très égalitaire du point de vue de la composition de la main-d’œuvre, avec 195 010 femmes et 228 310 hommes qui y travaillent. Bien entendu, les femmes s’occupent de vendre la lingerie féminine et les hommes sont conseillers pour la vente de complets et de cravates, mais dans la majorité des cas, les femmes et les hommes travaillent ensemble. De plus, le personnel qui les encadre (superviseurs et contremaîtres) se partage également entre les femmes et les hommes.
Le secteur des services aux personnes est composé de son côté de 317 050 femmes et de 228 310 hommes. La surreprésentation des femmes s’explique par leur forte présence dans les services en santé (préposées aux bénéficiaires, par exemple) alors qu’il y a une plus grande parité dans la répartition des emplois selon le sexe dans les autres types de services aux personnes (alimentation, services personnels divers).
Les hommes sont fortement présents dans le grand secteur des services. C’est là une observation importante, car elle signifie que la présence accrue de femmes aux échelons supérieurs de la hiérarchie des emplois et au sein des classes moyennes n’a pas impliqué que seules (ou principalement) d’autres femmes se mettent à leur service dans des emplois moins qualifiés (garde des enfants, nettoyages, préposés aux soins, etc.). Bon nombre de ces emplois dans les services aux personnes sont aussi occupés par des hommes.
Alison Wolf soutient que 4 femmes travaillent de fait au service de chaque femme ayant eu accès aux classes sociales supérieures. Cette thèse doit être nuancée, car un grand nombre d’hommes œuvrent aussi dans tous les nouveaux emplois créés par l’entrée massive des femmes aux plus hauts échelons et dans les classes moyennes (préparation d’aliments transformés, soins des personnes, entretien, etc.) du marché du travail.
Vers la fin de la division du travail selon le sexe?
La division du travail selon le sexe est en mutation, mais il est trop tôt pour conclure à sa disparition. Il est clair que le sommet de la hiérarchie socioprofessionnelle a évolué vers une plus grande égalité d’accès –la médecine, le droit ou l’administration sont là pour en témoigner–, mais les secteurs du travail de bureau et le monde ouvrier sont restés marqués par la division sexuelle du travail. Cependant, comme ces 2 secteurs sont eux-mêmes en diminution (c’est une tendance structurelle, pour employer le jargon de la sociologie), il s’ensuit que les types d’emploi marqués par une division sexuelle du travail sont en régression. Une exception se dessine cependant nettement: tout le secteur de la santé se féminise rapidement, des préposés aux soins jusqu’aux médecins.
1 Date des dernières données disponibles sur le site de Statistique Canada: http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2006/index-fra.cfm ↩
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