De la fête des blinis au Grand jeûne

«Pour les Slaves, il n’y avait pas de fête plus gaie que Maslenitsa, quand ils s’éloignent de l’hiver, à la rencontre du printemps.»¹

Maslenitsa, la fête très ancienne des blinis (crêpes), a une origine païenne et chrétienne (mélange universel d’ailleurs), cette dernière voulant parfois réprimer la plus ancienne (l’origine païenne) sans jamais parvenir à l’éradiquer puisqu’elle la porte en son sein.

Mardi gras russe
Dans le folklore russe, en cuisinant et en mangeant des blinis, les Slaves marquaient l’éveil de la nature et le retour de la chaleur. La forme et la couleur des blinis rappellent le disque du soleil qui irradie. Fête héliocentrique donc, païenne et chrétienne comme la chandeleur. Elle équivaut aussi à notre mardi gras ou carnaval.

Maslenitsa est toujours célébrée au cours de la semaine qui précède le Grand jeûne, c’est-à-dire le Grand Carême orthodoxe (les sept semaines avant Pâques, les 40 jours que Jésus passa dans le désert). L’année liturgique orthodoxe comprend de nombreux jeûnes associés aux différents interdits alimentaires.

Célébrer Maslenitsa était bien sûr interdit à l’époque soviétique. Cette fête rayonne aujourd’hui. Dans les parcs et sur les places, il y a des danses folkloriques et des groupes de musique. Au parc de Kolomenskoe, à Moscou, l’ambiance est joyeuse. Les nombreux enfants, qu’on voit si rarement d’ordinaire dans la mégapole, s’amusent avec quelques installations. Les gens déambulent tranquillement et s’arrêtent pour boire de la medovoukha (bière au miel), du vin chaud ou du thé dans les tchaïnikas (petites maisons de thé), et pour manger des chachliks (brochettes d’Asie centrale ou du Caucase). Pourtant, la viande est interdite dès le début de la semaine de Maslenitsa, mais puisque c’est fête…

Le dimanche qui marque la fin de cette fête est aussi appelé jour du pardon: les uns et les autres se demandent pardon. Lorsque j’y ai participé, en 2008, on m’a donné une petite poupée de paille symbolique qu’il faut brûler dans le feu qui clôt la soirée. Chacun brûle dame Maslenitsa, l’épouvantail symbolisant l’hiver.

Cette année, Maslenitsa a été célébrée du 20 au 26 février. Nous sommes maintenant en plein Carême. La Pâque orthodoxe aura lieu le 15 avril.

Le retour des rites orthodoxes
Chez Olia, où j’enseignais le français une fois par semaine (2007-2008), quatre petites filles (11 à 13 ans) sont attablées. Deux d’entre elles regardent avec envie les charcuteries. Elles affirment avec une conviction toute religieuse, le ton légèrement dogmatique, qu’elles ne peuvent en manger parce qu’elles jeûnent. Le Grand jeûne, le carême de sept semaines, commence avec Maslenitsa et se termine à Pâques. Aujourd’hui, beaucoup de Russes le respectent. Il est interdit de manger de la viande, des œufs, du lait, «donc pas d’aliments qui contiennent du lait comme le chocolat», me précise Mila, l’une des fillettes. Il est possible de manger du poisson certains jours. La viande est l’interdit le plus important. Mila et Lena ne font pas post (jeûne): «Mes parents ne s’entendent jamais, alors je décide», me dit Mila. Leur père est devenu très croyant et respecte les rites orthodoxes, mais pas leur mère.

-Alors que manger pendant si longtemps?, ai-je demandé à cette dernière.
-Du miel, du miel, et encore du miel, et du pain!, répond-elle d’une façon on ne peut plus russe.

C’est vrai. Le miel est si important et tellement prisé, en Russie. D’ailleurs, Olia a fait tout un trafic pour faire venir par train des abeilles de République tchèque, afin de garnir les nouvelles ruches qu’elle garde à sa datcha (chalet, maison de campagne).

De mon côté, comme je ne jeûne pas, j’ai accepté avec gratitude le saucisson de cheval qu’Elmira, la nounou et cuisinière tatare aux cheveux blonds platine, m’avait rapporté de son village du Tatarstan. Un péché de gourmandise, un régal introuvable à Moscou.