Visa pour le pays des songes
Charles Morin met au point des traitements psychologiques pour régler les problèmes de sommeil.
Par Louise Desautels
23 h 30… 23 h 45… Minuit… Ils sont nombreux, ceux qui passent une partie de leur nuit à regarder les chiffres du cadran se succéder sans pouvoir dormir. Une personne sur trois vit des épisodes d’insomnie de temps à autre et une sur dix éprouve ce problème plusieurs fois par semaine, pendant des années.
Il existe des moyens efficaces pour se débarrasser de l’insomnie chronique, estime Charles Morin. Expérience clinique et scientifique à l’appui, ce professeur de l’École de psychologie et président de la Société canadienne du sommeil s’emploie à évaluer, raffiner et faire connaître les traitements psychologiques, assortis ou non d’une prise de somnifères.
Le chercheur essaie également de mieux comprendre ce curieux phénomène qu’est l’insomnie. Pour y parvenir, il vient de recevoir un bon coup de pouce: 200 000$ par an pendant sept ans pour sa toute nouvelle Chaire du Canada en troubles du sommeil. «La Chaire se greffe à notre Centre d’études sur les troubles du sommeil, qui est déjà très actif », signale M. Morin.
L’équipe du Centre a déjà établi que la thérapie comportementale peut aider de façon durable la majorité des mauvais dormeurs. Du moins ceux dont l’insomnie n’est pas causée par une maladie physique ou mentale. «La plupart des gens qui vivent une période de stress ont du mal à dormir, mais le sommeil revient lorsque le stress disparaît; dans le cas contraire, certains conditionnements entretiennent le problème d’insomnie.»
Ces conditionnements, que cible une thérapie brève, comprennent les croyances bien ancrées (par exemple, les sacro-saintes huit heures de sommeil par nuit), les mauvaises habitudes (dormir sur le divan en milieu de soirée) et les attitudes négatives (se mettre de plus en plus de pression en pensant à la journée catastrophique qui suivra toute une nuit blanche).
Adieu somnifères!
Entre 70% et 80% des insomniaques qui suivent ce genre de thérapie retrouvent le chemin du repos nocturne. À long terme, elle se révèle plus efficace que la prise de médicaments. Une expérience menée récemment par l’équipe de M. Morin auprès de 76 personnes souffrant d’insomnie depuis une vingtaine d’années a même prouvé l’efficacité de combiner sevrage de somnifères et traitement psychologique: 85% des personnes ayant bénéficié de ce programme de 10 semaines ont cessé de prendre la petite pilule qui les faisait (parfois) dormir et ont amélioré la durée et la qualité de leur sommeil.
«Après le traitement, certains ont recommencé à prendre des somnifères, mais seulement à l’occasion, tel que recommandé afin de maintenir l’efficacité de ces drogues», précise M. Morin. De nouvelles études sont en cours pour évaluer la pertinence de diverses séquences de thérapies médicamenteuses et psychologiques pour les insomniaques qui résistent aux traitements.
Mais pour avoir un effet, encore faut-il que les traitements soient connus et accessibles. «Les personnes souffrant d’insomnie attendent en moyenne 10 ans avant de consulter un professionnel», rapporte M. Morin. Elles commencent par essayer diverses astuces (lecture, relaxation), prennent parfois de mauvaises habitudes (alcool), ou vont du côté des tisanes et autres produits naturels dont l’efficacité en la matière n’a pas été scientifiquement démontrée. Finalement, elles consultent un médecin.
Très peu se tournent vers un psychologue, dont les services ne sont pas gratuits et qui ne disposent que depuis peu d’outils pour aider leurs patients insomniaques. Charles Morin vient d’ailleurs de recevoir le prix Noël-Mailloux de l’Ordre des psychologues du Québec pour son apport à ce chapitre.
Qui dort se régénère
Si les gens négligent de consulter un médecin ou un psychologue, c’est probablement parce que la société banalise les conséquences de l’insomnie, déplore le chercheur. On sait déjà que mal dormir, nuit après nuit, entraîne fatigue constante, difficulté d’attention, perturbations de l’humeur et parfois, dépression. On soupçonne même une baisse d’efficacité du système immunitaire.
C’est que le sommeil joue un rôle majeur dans nos vies. Au cours de la nuit, alternent des phases de sommeil léger, de sommeil profond (au cours duquel il y a régénération des tissus, restauration des fonctions physiques et stimulation du système immunitaire) et de sommeil paradoxal (pendant lequel la majorité des rêves surviennent et qui est associé à la consolidation des apprentissages). Sans cette vie nocturne, le corps et l’esprit se détraquent.
Et pourtant… «Nous ne connaissons pas grand-chose sur ce qui rend une personne plus vulnérable à l’insomnie, ni sur les conséquences de cette insomnie sur sa santé», remarque Charles Morin. Le chercheur et son équipe veulent donc obtenir un portrait plus juste des insomniaques.
Pour ce faire, ils ont entrepris depuis trois ans de constituer un groupe de 1 200 Québécois, bons et mauvais dormeurs choisis au hasard. Grâce à des questionnaires gérés sur une base régulière, ainsi qu’à un accès aux dossiers du Régime d’assurance maladie du Québec, plusieurs hypothèses sont testées. La capacité à gérer le stress met-elle à l’abri de l’insomnie? Un insomniaque est-il plus souvent malade qu’un bon dormeur? A-t-il une qualité de vie comparable? «On pourrait par exemple supposer qu’une personne âgée qui ne dort pas bien et qui prend des somnifères sera davantage sujette à perdre l’équilibre et à subir une fracture», avance M. Morin.
S’équiper pour mieux comprendre
Avec la nouvelle du financement lié à la Chaire, M. Morin compte élargir cette cohorte pour y inclure des personnes de tout le Canada, et se doter d’instruments mobiles de suivi du sommeil. Le Centre d’études sur les troubles du sommeil s’équipera également d’un stimulateur de conduite automobile permettant de mesurer la vigilance d’un conducteur en déficit de sommeil.
Le Centre, qui possède cinq chambres à coucher et plusieurs instruments d’évaluation du sommeil, accueille régulièrement des participants à diverses études sur l’insomnie. Mais pour l’insomniaque en quête d’une évaluation et d’une thérapie psychologique, il n’existe pas de clinique publique.
«C’est frustrant d’avoir des résultats concrets et de ne pas les voir appliqués, faute de ressources largement accessibles à la population», se désole Charles Morin. Le chercheur se fait cependant un point d’honneur de publier ses résultats dans les revues médicales, afin que les omnipraticiens connaissent l’existence d’autres solutions que les somnifères et qu’ils incitent leurs patients à consulter un psychologue de pratique privée. La dépense n’est pas vaine… puisqu’il y a mieux à faire, la nuit, que de compter les moutons!
***
PORTRAIT D’UN INSOMNIAQUE
Une enquête téléphonique menée par le Centre d’études sur les troubles du sommeil auprès de 2000 adultes du Québec révèle que 16,9% d’entre eux éprouvent des difficultés à s’endormir ou à rester endormis, au moins trois nuits par semaine, et que 9,5% souffrent d’un réel syndrome d’insomnie. Chez ces derniers, comme on le remarque dans d’autres pays industrialisés, les femmes sont davantage représentées, ainsi que les personnes âgées, malades ou d’un naturel anxieux.
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Il existe des moyens efficaces pour se débarrasser de l’insomnie chronique, estime Charles Morin. Expérience clinique et scientifique à l’appui, ce professeur de l’École de psychologie et président de la Société canadienne du sommeil s’emploie à évaluer, raffiner et faire connaître les traitements psychologiques, assortis ou non d’une prise de somnifères.
Le chercheur essaie également de mieux comprendre ce curieux phénomène qu’est l’insomnie. Pour y parvenir, il vient de recevoir un bon coup de pouce: 200 000$ par an pendant sept ans pour sa toute nouvelle Chaire du Canada en troubles du sommeil. «La Chaire se greffe à notre Centre d’études sur les troubles du sommeil, qui est déjà très actif », signale M. Morin.
L’équipe du Centre a déjà établi que la thérapie comportementale peut aider de façon durable la majorité des mauvais dormeurs. Du moins ceux dont l’insomnie n’est pas causée par une maladie physique ou mentale. «La plupart des gens qui vivent une période de stress ont du mal à dormir, mais le sommeil revient lorsque le stress disparaît; dans le cas contraire, certains conditionnements entretiennent le problème d’insomnie.»
Ces conditionnements, que cible une thérapie brève, comprennent les croyances bien ancrées (par exemple, les sacro-saintes huit heures de sommeil par nuit), les mauvaises habitudes (dormir sur le divan en milieu de soirée) et les attitudes négatives (se mettre de plus en plus de pression en pensant à la journée catastrophique qui suivra toute une nuit blanche).
Adieu somnifères!
Entre 70% et 80% des insomniaques qui suivent ce genre de thérapie retrouvent le chemin du repos nocturne. À long terme, elle se révèle plus efficace que la prise de médicaments. Une expérience menée récemment par l’équipe de M. Morin auprès de 76 personnes souffrant d’insomnie depuis une vingtaine d’années a même prouvé l’efficacité de combiner sevrage de somnifères et traitement psychologique: 85% des personnes ayant bénéficié de ce programme de 10 semaines ont cessé de prendre la petite pilule qui les faisait (parfois) dormir et ont amélioré la durée et la qualité de leur sommeil.
«Après le traitement, certains ont recommencé à prendre des somnifères, mais seulement à l’occasion, tel que recommandé afin de maintenir l’efficacité de ces drogues», précise M. Morin. De nouvelles études sont en cours pour évaluer la pertinence de diverses séquences de thérapies médicamenteuses et psychologiques pour les insomniaques qui résistent aux traitements.
Mais pour avoir un effet, encore faut-il que les traitements soient connus et accessibles. «Les personnes souffrant d’insomnie attendent en moyenne 10 ans avant de consulter un professionnel», rapporte M. Morin. Elles commencent par essayer diverses astuces (lecture, relaxation), prennent parfois de mauvaises habitudes (alcool), ou vont du côté des tisanes et autres produits naturels dont l’efficacité en la matière n’a pas été scientifiquement démontrée. Finalement, elles consultent un médecin.
Très peu se tournent vers un psychologue, dont les services ne sont pas gratuits et qui ne disposent que depuis peu d’outils pour aider leurs patients insomniaques. Charles Morin vient d’ailleurs de recevoir le prix Noël-Mailloux de l’Ordre des psychologues du Québec pour son apport à ce chapitre.
Qui dort se régénère
Si les gens négligent de consulter un médecin ou un psychologue, c’est probablement parce que la société banalise les conséquences de l’insomnie, déplore le chercheur. On sait déjà que mal dormir, nuit après nuit, entraîne fatigue constante, difficulté d’attention, perturbations de l’humeur et parfois, dépression. On soupçonne même une baisse d’efficacité du système immunitaire.
C’est que le sommeil joue un rôle majeur dans nos vies. Au cours de la nuit, alternent des phases de sommeil léger, de sommeil profond (au cours duquel il y a régénération des tissus, restauration des fonctions physiques et stimulation du système immunitaire) et de sommeil paradoxal (pendant lequel la majorité des rêves surviennent et qui est associé à la consolidation des apprentissages). Sans cette vie nocturne, le corps et l’esprit se détraquent.
Et pourtant… «Nous ne connaissons pas grand-chose sur ce qui rend une personne plus vulnérable à l’insomnie, ni sur les conséquences de cette insomnie sur sa santé», remarque Charles Morin. Le chercheur et son équipe veulent donc obtenir un portrait plus juste des insomniaques.
Pour ce faire, ils ont entrepris depuis trois ans de constituer un groupe de 1 200 Québécois, bons et mauvais dormeurs choisis au hasard. Grâce à des questionnaires gérés sur une base régulière, ainsi qu’à un accès aux dossiers du Régime d’assurance maladie du Québec, plusieurs hypothèses sont testées. La capacité à gérer le stress met-elle à l’abri de l’insomnie? Un insomniaque est-il plus souvent malade qu’un bon dormeur? A-t-il une qualité de vie comparable? «On pourrait par exemple supposer qu’une personne âgée qui ne dort pas bien et qui prend des somnifères sera davantage sujette à perdre l’équilibre et à subir une fracture», avance M. Morin.
S’équiper pour mieux comprendre
Avec la nouvelle du financement lié à la Chaire, M. Morin compte élargir cette cohorte pour y inclure des personnes de tout le Canada, et se doter d’instruments mobiles de suivi du sommeil. Le Centre d’études sur les troubles du sommeil s’équipera également d’un stimulateur de conduite automobile permettant de mesurer la vigilance d’un conducteur en déficit de sommeil.
Le Centre, qui possède cinq chambres à coucher et plusieurs instruments d’évaluation du sommeil, accueille régulièrement des participants à diverses études sur l’insomnie. Mais pour l’insomniaque en quête d’une évaluation et d’une thérapie psychologique, il n’existe pas de clinique publique.
«C’est frustrant d’avoir des résultats concrets et de ne pas les voir appliqués, faute de ressources largement accessibles à la population», se désole Charles Morin. Le chercheur se fait cependant un point d’honneur de publier ses résultats dans les revues médicales, afin que les omnipraticiens connaissent l’existence d’autres solutions que les somnifères et qu’ils incitent leurs patients à consulter un psychologue de pratique privée. La dépense n’est pas vaine… puisqu’il y a mieux à faire, la nuit, que de compter les moutons!
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PORTRAIT D’UN INSOMNIAQUE
Une enquête téléphonique menée par le Centre d’études sur les troubles du sommeil auprès de 2000 adultes du Québec révèle que 16,9% d’entre eux éprouvent des difficultés à s’endormir ou à rester endormis, au moins trois nuits par semaine, et que 9,5% souffrent d’un réel syndrome d’insomnie. Chez ces derniers, comme on le remarque dans d’autres pays industrialisés, les femmes sont davantage représentées, ainsi que les personnes âgées, malades ou d’un naturel anxieux.
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