Propos de bâtisseurs
L'École d'architecture fête ses 40 ans de rattachement à l'Université Laval.
Par Serge Beaucher
Ils ont dessiné des bâtiments prestigieux, ont représenté le Canada à l’étranger et ont remporté des kyrielles de prix et de concours. Ce sont des diplômés de l’École d’architecture. Et leur histoire se mêle à celle de l’Institution, qui fête cette année ses 40 ans d’affiliation à l’Université Laval.
«Depuis quatre décennies, l’École s’est distinguée de différentes façons, notamment en fournissant sa large part d’architectes de renom», fait valoir le directeur de l’Institution, Émilien Vachon, qui connaît bien l’établissement pour y avoir obtenu son diplôme en 1965.
Plusieurs diplômés figurent d’ailleurs parmi les leaders qui font évoluer le monde québécois de l’architecture et du design urbain. Et certains ont même acquis une notoriété internationale.
Des noms
Tout d’abord, Gilles Saucier et André Perrotte, deux diplômés de la promotion 1982, associés depuis 1988, qui ont fondé une agence à Montréal et à Toronto. Leur firme est l’une des plus en vue au pays et elle se positionne très bien à l’échelle internationale. Parmi ses plus récents faits d’armes, elle se retrouve finaliste au concours international pour la réalisation du Musée canadien des droits de la personne, à Winnipeg, et représente le Canada, cet automne, à la prestigieuse Biennale de Venise, la plus grande exposition d’architecture au monde.
Pour Gilles Saucier, l’École a su conserver ses racines tout en évoluant et en restant d’avant-garde. Cela se reflète bien, selon lui, dans le fait que l’établissement a emménagé en 1988 au centre-ville de Québec, dans les locaux du Vieux-Séminaire.
«C’est là un milieu naturel à l’architecture, dit-il, avec des assises fondamentalement historiques, qui peut aider les étudiants à faire le lien entre le futur et le passé… à condition de toujours conserver un œil critique et un esprit tourné vers le contemporain!»
Éric Gauthier figure aussi parmi les architectes reconnus. Issu de la promotion 1983, l’architecte garde l’excellent souvenir d’une école stimulant: «Il régnait dans les ateliers une atmosphère d’émulation créative incroyable! Cela ressemblait un peu à un capharnaüm, mais quelle belle énergie circulait entre ces murs!» Dès le début de sa carrière, il a obtenu la direction de projets de nature culturelle. Un domaine dans lequel il excelle et pour lequel il s’impose à Montréal comme un des chefs de file.
La Biosphère, le Théâtre Espace Go, le réaménagement des bureaux, de l’hébergement et des ateliers du Cirque de Soleil et un prix de l’Institut de design de Montréal (IDM) pour le siège social de la Caisse de dépôt et placement du Québec ne sont que quelques uns des jalons de sa fructueuse carrière. Son secret? «Nul doute que la solide formation de base acquise à l’École y est pour beaucoup. Mais aussi la possibilité que nous avons eu, en ces lieux, de construire notre propre identité…»
Une identité qui est aussi devenue une marque d’excellence pour l’architecte Louis-T. Lemay. Diplômé en 1984, après avoir étudié en Génie civil à l’Université McGill, il dirige la firme Lemay et Associés dont les réalisations sont autant de cartes d’affaires de prestige.
Depuis 1991, année durant laquelle il a été chargé de l’agrandissement du Musée des Beaux-Arts et jusqu’à la toute récente rénovation de l’Hôtel W dans le Quartier international de Montréal, Louis-T. Lemay laisse la trace de son génie dans le paysage de la métropole montréalaise avec le Centre Bell, le Complexe les Ailes-Édifice Eaton, Le 1000 de la Gauchetière, etc.
Toujours des noms
Quant à Michel Gallienne, diplômé en 1967, il fait partie de ceux qui ont connu l’École avant son rattachement à l’Université. En 1970, avec ses associés Belzile, Brassard et Pinault, il fonde son premier Groupe d’architecture BBGL qui deviendra plus tard Gallienne-Moisan. Tout au long de sa carrière nationale et internationale, il s’est associé à des collègues pour mener à bien des projets d’envergure tels que le Musée de la civilisation du Québec, le Palais de la culture à Alger, la salle de concert du Domaine Forget, la nouvelle ambassade du Canada à Port-au-Prince en Haïti, pour ne nommer que ceux-là.
De l’École, l’architecte Gallienne garde encore le souvenir de la présence enrichissante des professeurs étrangers émérites qui se succédaient chaque semestre, ouvrant les fenêtres du monde aux étudiants. Celui qui a sillonné le globe par le biais de missions pour le compte de l’Agence canadienne de développement international ou de SNC-Lavalin international souligne combien «l’expérience à l’étranger est cruciale pour le développement de notre expertise».
Jacques Plante, un autre grand nom de l’architecture, diplômé en 1979, se souvient du premier stage à l’étranger organisé par l’École en 1977: «Notre professeur turc Aygen Poruner nous a ouvert les yeux sur le monde. Il a été pour moi un personnage marquant qui m’a énormément aidé à prendre confiance en moi». De ses jeunes années d’étudiant, Jacques Plante se souvient aussi de l’extraordinaire milieu de vie que représentait l’École avec ses ateliers «ouverts 24h sur 24 et 7 jours sur 7!» dans lesquels les échanges fusaient entre étudiants.
Réalisateur de maints projets à caractère culturel, patrimonial et paysager, Jacques Plante est tout particulièrement fier de la Caserne Dalhousie à Québec pour le centre de production multimédia de Robert Lepage. En effet, cette réalisation aura été déterminante dans l’orientation de sa carrière d’architecte. Et le prochain Palais Montcalm à Québec transformé en Maison de la musique confirme encore son art de concepteur à vocation culturelle.
Diplômés en 1992, Marie-Chantal Croft et son conjoint, Éric Pelletier, sont de la première génération de bacheliers à avoir fait la totalité de leur cours au Vieux-Séminaire. «C’était très stimulant de travailler dans cet environnement», explique M. Pelletier. Associés depuis 1995, les deux architectes n’ont cessé depuis d’accumuler les succès. C’est leur entreprise qui, en consortium avec deux autres firmes, a remporté en 2001 le concours international pour la construction de la Grande Bibliothèque du Québec, à Montréal.
Éric Pelletier se rappelle aussi que l’enseignement de l’École était très généraliste: «Nous touchions à tout et nous devions mener à fond nos projets sous toutes les facettes, autant artistiques que techniques.»
Pour le directeur, Émilien Vachon, c’est ce côté généraliste qui a permis à l’Institution d’atteindre un équilibre dans son enseignement, entre le design architectural et les aspects techniques de construction. «C’est l’une des caractéristiques de l’École, dit-il, et elle se révèle très importante, car les donneurs d’ouvrage apprécient toujours un bon dosage de ces deux composantes dans tout projet architectural».
Une École d’avant-garde
Depuis toujours, l’École d’architecture a été une institution d’avant-garde, préoccupée par les affaires de la cité. Déjà, dans les années 60, les étudiants n’hésitaient pas à convoquer la presse pour faire connaître leur point de vue dans les dossiers d’actualité. Puis, l’École est devenue un défenseur public de la conservation du patrimoine urbain. Son Symposium international sur le recyclage, la réhabilitation et la restauration d’édifices, en 1974, a influencé de façon non négligeable l’enseignement et la pratique du design architectural au Québec, estime M. Vachon.
Par la suite, les prises de position de l’Institution ont porté sur des projets controversés dans le Vieux-Port-de-Québec, comme la structure tubulaire de Québec 84, le cinéma Imax (finalement construit ailleurs) ou l’actuel terminal des bateaux de croisières. Et pendant toute la décennie 80, les étudiants faisaient un vaste laboratoire du quartier Saint-Roch, en y proposant toutes sortes de projets.
Aujourd’hui, les champs de pratique des étudiants vont vers la banlieue, les centres d’achats, les magasins à grandes surfaces et les grands boulevards qui, selon M. Vachon, constitueront les sites des prochains grands chantiers québécois.
«L’École est en progression constante, toujours précurseur de ce qui se fait en architecture. Et son principal mérite depuis 40 ans a été de pallier le manque de créativité de l’architecture québécoise des années 60», juge Pierre Thibault. Considéré comme un architecte avant-gardiste, doté d’un esprit très créatif, M. Thibault a obtenu son diplôme en 1982. Il a une vingtaine de réalisations de prestige à son actif, surtout des bâtiments à caractère scientifique ou culturel.
Particulièrement reconnu pour le côté artistique de son œuvre, l’ancien étudiant de Laval jouit d’une grande notoriété, notamment en France. Sa gigantesque installation De l’igloo au gratte-ciel présentée au Printemps du Québec à Paris, en 1999, n’est sans doute pas étrangère à cette renommée. Tout comme Jacques Plante, Pierre Thibault est demeuré en contact étroit avec l’École en y enseignant. Pour Jacques Plante, cette activité est essentielle «puisqu’elle permet de transmettre» la flamme de l’architecture qui l’anime depuis 25 ans.
Suzanne Bergeron et Louise Amiot, deux diplômées de 1976 sont, elles aussi, restées disponibles pour l’Institution, à la fois comme chargées de cours, conférencières et critiques des travaux des étudiants. C’est ce qui permet à Suzanne Bergeron d’affirmer qu’une des forces de l’École est d’offrir un enseignement très encadré et branché sur la réalité.
Suzanne Bergeron et Louise Amiot ont été les deux premières femmes au Québec à s’associer pour ouvrir un bureau d’architectes. Dans leur promotion, elles étaient deux des six diplômées sur une trentaine de finissants. À noter qu’en 1970, Christine Vallée fut la première femme à obtenir son diplôme d’architecte alors qu’aujourd’hui, les filles sont majoritaires à l’École d’architecture même si elles demeurent peu nombreuses à ouvrir leur propre bureau.
«Peut-être parce qu’aller frapper aux portes pour dire qu’on est les meilleures n’est pas le propre des femmes», risque Suzanne Bergeron. C’est d’ailleurs dans leurs activités de démarchage que les deux associées voient le plus de relents sexistes. Amiot & Bergeron n’en est pas moins une firme très en demande, qui constitue une référence dans le domaine résidentiel. L’entreprise a notamment à son crédit trois maisons Kinsmen, réalisées dans les années 80.
Pour une meilleure reconnaissance
Si les projets liés à l’habitation familiale comptent pour une part importante du travail d’Amiot & Bergeron, c’est loin d’être le cas pour tous les bureaux d’architectes. Peu de propriétaires de maisons, en effet, retiennent les services de professionnels en architecture pour leurs plans. Et les constructeurs, en général, ne sont guère plus nombreux à accorder une grande importance à la création architecturale. Aussi, ce qui rallie tous les anciens de l’École, outre leur passion pour le métier, c’est le désir de voir leur discipline davantage reconnue.
Selon Gilles Saucier, l’architecture québécoise contemporaine atteint un très haut niveau malgré le manque d’intérêt flagrant témoigné à son égard. Et pourtant, note Pierre Thibault, l’architecture fait partie de notre identité culturelle, au même titre que notre langue ou la danse. Les gens ne découvrent que très lentement la valeur ajoutée que représente une belle architecture.
Par ailleurs, les architectes considèrent qu’ils ont autant un rôle à jouer dans cette ouverture souhaitée que l’École d’architecture, notamment en faisant la promotion de la qualité de l’architecture qui se pratique ici. Et pour Michel Gallienne, la préservation de notre environnement fait partie intégrante de la responsabilité des architectes.
En attendant leur heure de gloire et de satisfaction, les 400 étudiants de l’École, soutenus par 18 professeurs et une quinzaine de chargés de cours, continuent de plancher sur des projets d’avant-garde qui montrent déjà ce que sera l’architecture des prochaines décennies.
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LA CONSTRUCTION D’UNE ÉCOLE
Fermer l’École d’architecture de Québec à peine créée pour ne laisser ouvertes que les deux écoles montréalaises? Maintenir en vie l’Institution en l’intégrant à l’Université Laval? Voilà le dilemme auquel ont été confrontés durant deux longues années les membres d’un Comité d’étude sur l’enseignement de l’architecture au Québec. Deux années houleuses qui ont vu la presse locale se ranger derrière l’établissement de Québec et au terme desquelles le Comité a recommandé l’intégration qui s’est concrétisée en 1964.
Au cours de ses quatre premières années d’existence, l’École a été installée à différents endroits du centre-ville. Mais dès son intégration à l’Université, elle a rallié le campus… pour revenir dans le Québec intra-muros 24 ans plus tard. Car depuis 1988, elle occupe fièrement les locaux rafraîchis du Vieux-Séminaire.
Parmi les jalons importants qui ont marqué la vie de l’Institution, il faut mentionner l’instauration, dans les années 80, d’un programme d’études à l’étranger (Mexique, Turquie, Angleterre, France et Italie), son rattachement en 1992 à une faculté, la reconfiguration en 2000 des programmes de formation sur deux cycles, et une récente relance des programmes de stages du Profil international. Une dynamique qui permet ainsi à plus de 60% des étudiants de poursuivre leurs études, pour au moins une session, dans une institution étrangère.
Mais la plus importante transformation a sans doute été l’informatisation des ateliers et de l’enseignement. Depuis 2000, chaque étudiant (à partir de la deuxième session de la première année) est tenu d’acheter son ordinateur et d’utiliser les logiciels requis pour certains cours. Contrairement à ce qui avait été appréhendé au moment où ces mesures ont été implantées, elles se sont avérées un facteur positif de recrutement pour l’École. Les autres établissements d’enseignement et même les bureaux d’architectes viennent constater les possibilités qu’offre ce «tout-informatique».
Quant aux projets d’avenir, l’instauration d’un programme de doctorat d’ici deux ans est envisagée; à moyen terme, le développement d’une Chaire en patrimoine religieux bâti, la mise en place d’un programme de Stage en entreprise crédité et à court terme une réflexion sur l’évolution et l’enseignement de l’architecture à laquelle Émilien Vachon convie la communauté cet automne, pour souligner le 40e anniversaire de l’affiliation de l’Institution à l’Université Laval.
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GRANDS NOMS DE L’ÉCOLE D’ARCHITECTURE 2002
Le titre de «Grand nom de l’École d’architecture» a été décerné pour la première fois par l’École d’architecture en novembre 2002. Les titulaires: Louise Amyot et Suzanne Bergeron, Marie-Chantal Croft et Éric Pelletier, Michel Gallienne, Louis-T. Lemay, Dominique Robitaille, Odile Roy, Pierre Thibault, Christine Vallée, Jacques Plante, Alain Lemay et Viateur Michaud, Serge Viau.
La prochaine édition de ce titre honorifique aura lieu à l’automne 2004.
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