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Valeurs mobilières: un projet fédéral contestable

Par une déclaration remarquée du ministre des Finances fédéral Jim Flaherty en date du 19 septembre 20131, le projet de créer une autorité pancanadienne des valeurs mobilières revient sur la scène médiatique. Alors que l’avis de la Cour suprême du 22 décembre 2011 semblait avoir clos le débat en rejetant ce projet fédéral2, le voici ouvert de nouveau. Ce sujet à forte connotation politique est souvent perçu comme technique et aride. L’est-il vraiment? Je pense tout le contraire et je vais le démontrer dans ce billet.

Jim Flaherty

Jim Flaherty

Cela est d’autant plus important que les enjeux sont considérables: la protection des petits investisseurs canadiens et québécois, rien de moins!

Les valeurs mobilières, qu’est-ce?
Afin de bien comprendre les implications des dernières déclarations du ministre fédéral, revenons aux fondements. Pour se financer, une entreprise peut émettre des actions, les valeurs mobilières, en les vendant sur le marché financier canadien. En contrepartie de l’achat d’actions, l’investisseur obtient des droits, dont celui de percevoir un rendement financier.

Les choses paraissent simples, mais l’émission d’actions sur un marché est encadrée par un jeu de règles, le droit des valeurs mobilières, destiné à préserver la santé économique et à protéger monsieur Tout-le-Monde qui consomme des produits et des services financiers. Or, c’est là que les choses se brouillent, le juriste ayant parfois l’art de compliquer les choses…

De compétence provinciale ET fédérale
En effet, certaines portions de ce jeu de règles proviennent du législateur provincial (comme la Loi sur les sociétés par actions ou la Loi sur les valeurs mobilières du Québec), d’autres du législateur fédéral (comme la Loi canadienne sur les sociétés par actions ou la Loi sur les banques). En vertu des principes constitutionnels, la compétence législative dans le domaine des valeurs mobilières est partagée, même si la réglementation provinciale demeure la clé de voûte du système. Ajoutons à cela qu’il faut tenir compte d’autres règles: celles qui proviennent des autorités provinciales chargées d’appliquer les lois encadrant le marché financier, celles émises par les autorités fédérales chargées d’accroître la coopération entre provinces (tel l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières) ou encore celles émanant des entreprises privées qui gèrent les différentes bourses canadiennes.

Pour faire court, chaque province se trouve donc dotée, actuellement, de ses propres lois et de son organisme chargé d’encadrer les marchés (telle l’Autorité des marchés financiers au Québec), qu’il faut combiner avec ce qui existe à l’échelon fédéral.

Face à cette situation, l’initiative fédérale de Loi sur les valeurs mobilières, en 2010, entendait mettre fin au partage des compétences en concentrant la compétence législative entre les mains du législateur fédéral et en confiant le contrôle de l’application des différentes règles à une seule autorité pancanadienne.

Pour revenir à notre monsieur Tout-le-Monde, une telle concentration des pouvoirs à l’échelon fédéral aurait risqué de lui faire perdre la protection que confèrent des règles locales, bien adaptées à la réalité du marché financier provincial3.

Retour sur l’avis de la Cour suprême
Quand une porte se ferme, une fenêtre s’ouvre. Cette phrase résume l’avis unanime de la Cour suprême du 22 décembre 2011. D’une part, la Cour a considéré que la Loi sur les valeurs mobilières proposée par le gouvernement fédéral n’était pas valide4. Selon les juges, cette loi ne concernait pas une matière d’importance et de portée nationales touchant le commerce dans son ensemble et distincte des enjeux provinciaux. Elle ne pouvait donc relever du pouvoir du Parlement fédéral de légiférer. La Cour a rejeté l’argument selon lequel «le marché des valeurs mobilières [avait] évolué au point que la réglementation courante de tous ses aspects [constituait] […] un enjeu national».

En d’autres termes, la Cour suprême insiste sur la nature locale d’une grande part du secteur des valeurs mobilières au Canada et sur le rôle central des provinces dans l’ensemble de ce secteur.

D’autre part, tout en rejetant la compétence du Parlement fédéral, les juges ont reconnu celle du législateur fédéral dans 2 hypothèses. La première est celle de la gestion des menaces qui affectent la survie du secteur financier canadien dans son ensemble (le fameux risque systémique). La seconde est celle d’une «démarche coopérative qui, tout en reconnaissant la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières, habiliterait le Parlement à traiter des enjeux véritablement nationaux».

Une initiative qui a ses limites
Sur le plan juridique, la volonté du ministre fédéral de créer une autorité unique de type coopératif s’inscrit dans les brèches ouvertes par l’avis de la Cour suprême. Pourtant, la nouvelle initiative fédérale semble avoir ses propres limites5. Quelles sont-elles?

D’un côté, cette initiative est fragile dans son fondement juridique et ne résisterait sans doute pas à un retour devant les tribunaux. Il n’est pas établi que les règles actuellement en vigueur (essentiellement provinciales et dont l’application relève d’une autorité également provinciale) destinées à gérer les événements menaçant la viabilité du marché financier canadien soient insatisfaisantes ou incomplètes. La preuve en est que la crise économico-financière de 2007-2008 a eu peu d’impacts au Canada. Nous sommes loin d’un scénario catastrophe comportant des défaillances en chaîne d’entreprises et d’institutions financières, un effet de panique qui se propage et un effondrement du marché.

D’un autre côté, cette initiative demeure limitée dans sa portée. Elle ne saurait évincer en bout de ligne le droit provincial, notamment le droit québécois des valeurs mobilières.

Une vieille histoire canadienne
Rappelons que si la discussion actuelle trouve ses origines dans le projet de Loi sur les valeurs mobilières de 2010, elle hante le paysage juridique canadien depuis bien plus longtemps. La première proposition en ce domaine remonte en effet à 1935. La question de la réglementation des valeurs mobilières a continué de susciter l’intérêt dans les années 60, 70 et 80. Puis, les appels à la création d’un organisme national se sont intensifiés à compter des années 90, et ce, jusqu’au jugement de la Cour suprême.

Parions que le débat est encore loin d’être terminé! J’oserais même dire qu’il vient seulement de recommencer…

1 Ministère des Finances, «Les ministres des Finances de la Colombie-Britannique, de l’Ontario et du Canada conviennent de mettre sur pied un organisme coopératif en matière de réglementation des marchés de capitaux », 2013-119, Ottawa, 19 septembre 2013, http://www.fin.gc.ca/n13/13-119-fra.asp

2 Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66 (CANLII), http://csc.lexum.org/decisia-scc-csc/scc-csc/scc-csc/fr/item/7984/index.do

3 La Cour suprême a insisté sur les caractéristiques provinciales des marchés en ces termes: «[l]e marché des valeurs mobilières en Colombie?Britannique est composé environ aux deux tiers de titres de sociétés minières tandis que les grandes entreprises financières occupent près de la moitié du marché ontarien. En outre, l’Alberta domine à l’échelle nationale le marché de l’industrie pétrolière et gazière, et environ le quart des titres technologiques est émis au Québec» (par. 127).

4 Voir les avis concordants des tribunaux de l’Alberta (Reference Re Securities Act (Canada), 2011 ABCA 77 (CANLII)) et du Québec (Québec (Procureur général) c. Canada (Procureur général), 2011 QCCA 591 (CANLII)).

5 S. Rousseau, «L’encadrement du secteur des valeurs mobilières par les provinces», Montréal, Les éditions Thémis, 2012, spéc.  p. 230 et 233.

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