Droit, entreprise et citoyen
Publié le 7 février 2020 | Par Ivan Tchotourian
Président du CA: rôle et légitimité
Drôle d’élément d’actualité relayé par la presse québécoise en décembre dernier. Par la voie de plusieurs journaux, j’apprenais qu’à l’occasion d’une séance publique tenue le 12 décembre 2019, la présidente du conseil d’administration (CA) d’exo, Josée Bérubé, aurait tenu des propos sur les travaux du Réseau express métropolitain (REM) qui ont déstabilisé une partie du public présent1.
Alors que le transport des voyageurs de la ligne de train Montréal/Deux-Montagnes va être bouleversé par la fermeture du tunnel sous le mont Royal (certains des 15 000 usagers de la ligne mettront deux fois plus de temps, voire davantage, pour se rendre au centre-ville de Montréal), la présidente du CA a invité ces voyageurs à réfléchir à ce qu’ils pouvaient faire eux-mêmes pour affronter les inconvénients qui devraient s’échelonner sur quelques années:
«Moi, comme architecte, généralement, quand il y a des contraintes, c’est source de créativité, c’est source d’invention. Alors j’ai l’impression qu’on va devoir un peu tous se mettre les mains à la pâte», a-t-elle dit, avant d’inviter les usagers à réfléchir à la question pendant la période des fêtes.
«On peut demander à nos employeurs d’un peu modifier l’horaire de travail. On peut demander à nos employeurs, peut-être, d’avoir une place pour avoir les enfants au travail quand on ne peut pas les mettre à la garderie», a-t-elle avancé.
«On peut peut-être embaucher quelqu’un qui n’a pas de travail et demander de faire des repas à l’avance. […] On peut penser à des étudiants, des étudiantes qui pourraient prolonger les heures de garderie si faire se peut». [Extrait de l’article de Radio-Canada2]
Du point de vue du spécialiste de gouvernance d’entreprise que je suis, que penser de tels propos surtout venant d’une personne qui préside un CA? Faut-il partager le sentiment de révolte des usagers du train? Ce billet est l’occasion de revenir sur ce qu’est et ce que fait un président de CA… tout en s’interrogeant sur les conséquences de l’attitude adoptée par Mme Bérubé dans cette réunion publique.
Rationaliser le transport collectif
Dressons d’abord un bref portrait d’exo. Cette jeune organisation, née le 23 mai 2018, est la nouvelle identité du Réseau de transport métropolitain (RTM) qui allie l’expertise en transport collectif des conseils intermunicipaux de transport (CIT) et celle de l’Agence métropolitaine de transport (AMT). Exo exploite, sur son territoire, les services de transport collectif réguliers par autobus et trains, ainsi que le transport adapté. Personne morale de droit public selon l’article 1 de la Loi sur le réseau de transport métropolitain, exo est juridiquement un organisme public de transport en commun qui a commencé ses activités le 1er juin 2017.
Il faut constater une chose: le président d’un CA fait l’objet de peu d’intérêt dans les lois. Il en va ainsi de la Loi sur le réseau de transport métropolitain. Selon cette loi, ce président:
- Est indépendant;
- Est désigné par la Communauté métropolitaine de Montréal;
- Est élu pour cinq ans maximum pour deux mandats tout au plus;
- Ne peut avoir un intérêt direct ou indirect dans un organisme, une entreprise ou une association qui met en conflit son intérêt personnel et celui du Réseau;
- Certifie éventuellement les procès-verbaux du CA.
Peu de chose en fin de compte, non?
Les devoirs d’un président de CA
Il ne faut pas être étonné que cette loi comporte peu de précisions à l’endroit des personnes à la tête des CA, car il en va de même pour le droit applicable aux sociétés par actions (petites ou grandes, voire même cotées sur le marché canadien TSX).
Ce faible intérêt du législateur contraste avec ce qu’écrivent les experts en matière de gouvernance: ces derniers soulignent au contraire le rôle essentiel et multiple que joue le président d’un CA. Cette vision me paraît juste, quelle que soit l’organisation dont il est question: personne morale de droit public comme exo, société d’État, société par actions traditionnelle. «Sa crédibilité auprès des membres du conseil et du PDG constitue un incontournable d’une gouvernance efficace», note, à propos d’un président de CA, le président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), Yvan Allaire3.
Ainsi, si on s’inspire de ce qui s’écrit en matière de sociétés par actions, vision applicable, à mon sens, à une organisation telle qu’exo, la mission d’un président de CA est aussi variée que4:
- Jouer le rôle d’un véritable chef du CA et en assurer la surveillance pour qu’il remplisse ses fonctions essentielles;
- S’assurer de la qualité des membres du CA et établir clairement ce qui est attendu de chaque membre;
- Établir avec le directeur général une relation de travail harmonieuse, mais jamais complice;
- S’assurer de partager la même vision explicite de l’organisation et de son avenir que la direction et vérifier qu’un processus est en place pour y arriver;
- Préparer les réunions et, en particulier, les ordres du jour avec la direction;
- Assurer le suivi des décisions prises par le CA ou le comité auprès de la direction;
- Veiller à la cohésion des réunions du CA;
- Mener la réunion sans dominer les discussions et, à l’occasion, imposer un tour de table;
- S’assurer de tirer le plein potentiel de chaque membre et de faire porter les discussions sur les enjeux stratégiques;
- S’assurer de mettre à contribution tous les membres du CA en leur confiant des tâches précises;
- Éviter un climat toxique au sein du CA;
- Communiquer à la direction des commentaires et des suggestions des membres du CA et, inversement, communiquer aux membres du CA des commentaires de la direction sur l’amélioration de la prestation des administrateurs;
- Discuter avec certains membres, avant la réunion du CA, de sujets faisant appel à leur expérience particulière;
- Être responsable de la démarche d’évaluation du CA et des membres;
- S’assurer du respect des principes d’éthique et de déontologie par les autres membres du conseil d’administration et discipliner les membres coupables de manquements;
- S’assurer qu’un programme d’intégration des nouveaux membres est en place et demander à un membre du conseil d’agir comme coach pour un nouveau membre pendant un certain temps;
- Établir la forme et la fréquence des activités du CA hors des réunions formelles.
Lorsqu’il est administrateur, le président du CA a souvent les mêmes pouvoirs qu’un administrateur ordinaire et, contrairement au président d’une assemblée, ne dispose pas d’une voix prépondérante. Cela dit, il en va parfois différemment, comme il est prévu dans la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État et certaines lois constitutives de sociétés d’État.
On s’en rend compte: bien que peu visible aux yeux de la loi, la liste des fonctions associées au rôle d’un président de CA est longue pour asurer la bonne gouvernance d’un CA! Bon nombre des pouvoirs d’un président de CA sont finalement de nature «interne» et concernent avant tout le bon fonctionnement du CA comme organe central d’une saine gouvernance de toute organisation.
Par ailleurs, le président d’un CA est loin de n’être qu’un simple fonctionnaire-organisateur des travaux d’un CA. Son rôle va bien au-delà. Il est aussi, et surtout, un personnage charismatique, un leader, une personne respectée détenant une grande expérience. Pour peser de tout son poids, il doit en effet être crédible et légitime, qualités indispensables pour que l’autorité et le pouvoir d’une organisation soient respectés sans besoin d’une contrainte. En 2007, Yvan Allaire s’exprimait en des termes qui me semblent encore justes: «Le président du conseil est au premier chef le gardien de la légitimité et de la crédibilité de la société auprès de ses commettants et parties prenantes. Il ou elle assume un rôle subtil qui va bien au-delà des prescriptions normatives et des listes de bonnes manières autour d’une table de conseil5.»
Une question de crédibilité
Dans l’affaire que je commente ici – et sans discuter des compétences actuelles de la présidente du CA d’exo –, la sortie publique et les mots employés par Mme Bérubé (en regardant la vidéo, je m’interroge encore sur la manière d’y trouver une tournure sérieuse) ont des conséquences sur sa crédibilité et sur sa légitimité en tant que présidente. Plus gênant: au-delà de la personne même, c’est toute une organisation en tant que structure et que symbole qui, à la suite de tels propos, se trouve devant la difficulté d’y faire face, jusqu’à assumer des coûts imprévus (ne serait-ce que pour redresser la situation).
- Sous l’angle du CA d’exo, on peut s’interroger sur la conduite réelle de sa mission. Selon le rapport annuel 2017 d’exo, à la p. 29, «[d]ans l’exécution de ses fonctions, le CA est responsable de promouvoir le succès à long terme du RTM. Ainsi, le CA a la responsabilité de prendre des décisions avec loyauté et honnêteté, dans le meilleur intérêt du RTM.» Avec une telle déclaration publique de la part de Mme Bérubé, on peut avoir des doutes sur le fait que le CA «piloté» par cette présidente réussisse à atteindre ces objectifs. Or, qu’on le veuille ou non, ce doute est gênant. Succès à long terme et meilleur intérêt d’exo peuvent-ils réellement être des objectifs atteignables en ne considérant que bien peu une partie prenante «primaire», «essentielle», «fondamentale» d’exo: ses usagers? N’oublions pas que le CA d’exo a un devoir fiduciaire que le Code civil (applicable à exo en vertu de l’article 300 al. 2 de ce code) définit expressément à l’article 322.
- Sous l’angle de l’entreprise Exo, on peut se questionner sur la recherche d’une crédibilité et d’une légitimité qui sont porteuses de valeurs pour toute organisation. Cette crédibilité et cette légitimité me paraissent encore plus affectées lorsqu’une organisation vante, à la p. 24 de son rapport annuel 2017, l’adoption d’«une approche axée client» selon laquelle elle affirme travailler à simplifier la vie des gens dans leurs déplacements. Avec un tel engagement, on s’attendrait à ce qu’exo – et non les usagers – s’investisse dans la recherche d’une solution pour que les travaux ne nuisent que minimalement à sa clientèle.
Qui s’intéresse à un organisme de transport public, me direz-vous? Je vous dirais vous et moi… Peu importe l’organisation, la gouvernance intéresse tout le monde et vise toute organisation: après tout, pourquoi une gouvernance saine et bonne devrait être le privilège des seules, et peu nombreuses, grandes entreprises cotées sur le marché TSX? PME, OBNL, coopératives, entreprises publiques (sociétés d’État…) sont aussi concernés. Peut-être même davantage parce qu’ils se révèlent souvent plus discrets et font l’objet de moins d’attention de la part de leurs membres, de la presse et des médias sociaux. Mais les enjeux sont indéniablement présents. Le bénévolat des membres de CA, parfois donné comme argument pour tolérer un certain flou, ne peut servir d’excuse. Dans le cas d’exo, même si la loi prévoit que la rémunération des membres du CA n’est pas obligatoire, on est loin du bénévolat. Une rémunération est prévue pour le président du CA sous forme d’une somme forfaitaire annuelle et d’une allocation de présence pour chaque séance (je vous invite à parcourir la page 61 du rapport annuel 2018 d’exo).
Quelle attitude adopter?
Comment faire face à cette situation qui implique exo et réagir à la déclaration publique faite à la mi-décembre? D’une part, la présidente du CA se devait d’agir et elle s’est excusée6. On peut toutefois regretter qu’elle ait choisi, pour ce faire, la voie du directeur des communications d’exo plutôt qu’une adresse directe aux médias et aux citoyens. Le CA, lui aussi, se devait d’agir, ce qu’il a fait, utilisant, lui aussi, la voie du directeur des communications d’exo pour affirmer qu’il appuyait sa présidente7. Toutefois, il aurait pu faire plus, car, oserais-je le dire, cette réaction était minimale, voire superficielle.Qui plus est, la solidarité affichée par le CA me laisse songeur. Espérons que certains membres ont au moins débattu de cette déclaration publique. Peut-on sérieusement penser que pas un seul membre du CA n’ait été mal à l’aise de la déclaration publique en se souciant des conséquences possibles pour l’organisation? Il aurait été bon que des membres qui étaient dans le doute le fassent savoir: un administrateur doit toujours avoir un esprit critique.
Enfin, aurait-il fallu que la présidente du CA quitte son poste de présidente, démissionne du CA ou que le CA la révoque? Il n’est pas certain qu’une position aussi extrême soit à encourager. Après tout, une erreur ou une maladresse est toujours possible. Errare humanum est, dit le proverbe latin. Par contre, il faut éviter d’en faire trop en public, qui plus est lorsqu’il y a un risque d’être filmé.
Reste tout de même que le fond des propos tenus par la présidente du CA sèment le doute sur les valeurs profondes qui l’animent et sur la manière dont elle conçoit l’intérêt d’exo et de ses usagers. La ligne de conduite qu’aurait dû suivre Mme Bérubé dans ses déclarations publiques était finalement simple: faire preuve de prudence et modérer ses propos. Tâche peut-être difficile pour le commun des mortels, mais sûrement à la portée d’un président de CA crédible et légitime!
1 François MESSIER, «Ligne Deux-Montagnes: des usagers réclament la tête de la présidente du C.A. d’exo», Radio-Canada, 13 décembre 2019. ↩
2 François MESSIER, «Ligne Deux-Montagnes: des usagers réclament la tête de la présidente du C.A. d’exo», Radio-Canada, 13 décembre 2019. ↩
3 Performance et dynamique des conseils d’administration: un échange avec des administrateurs expérimentés, Yvan ALLAIRE (dir.), Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), juin 2016, à la p.6. ↩
4 Inspiré de: Performance et dynamique des conseils d’administration: un échange avec des administrateurs expérimentés, Yvan ALLAIRE (dir.), Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), juin 2016, aux p. 6 et s.; André LAURIN, L’administrateur de société: questions et réponses, mai 2015, à la p. 36. ↩
5 Yvan ALLAIRE, «Les défis d’un “bon” président de conseil d’administration», Les Affaires, 6 novembre 2007. ↩
6 Propos du directeur des communications externes et affaires publiques d’exo dans: François MESSIER, «Ligne Deux-Montagnes : des usagers réclament la tête de la présidente du C.A. d’exo», Radio-Canada, 13 décembre 2019. ↩
7 Propos du directeur des communications externes et affaires publiques d’exo dans: François MESSIER, «Ligne Deux-Montagnes : des usagers réclament la tête de la présidente du C.A. d’exo», Radio-Canada, 13 décembre 2019. ↩
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