Impressions d'architecture
Publié le 12 mars 2013 | Par Martin Dubois
Pourquoi se priver de la beauté?
En cette ère où la commission Charbonneau captive les Québécois et où la chasse aux voleurs de fonds publics est ouverte, il est bien vu de la part des politiciens et des gestionnaires de sabrer dans les dépenses et de couper dans le gras. Dans ce contexte, la beauté des bâtiments et des infrastructures est souvent considérée comme du gaspillage, un luxe superflu auquel on ne veut pas être associé. Cela augure mal pour nos villes si le côté esthétique des choses est évacué, déjà que nos paysages urbains ne sont pas très choyés à cet égard…
Ceci m’amène à vous parler de cette fâcheuse habitude, de plus en plus courante, d’opposer la qualité architecturale d’un projet et les coûts de construction, comme si un immeuble (ou une structure) bien conçu et esthétiquement intéressant coûtait nécessairement plus cher qu’un bâtiment ordinaire, sans intérêt. L’histoire de l’architecture a démontré que les meilleurs projets architecturaux ne sont pas toujours les plus onéreux. Pensons notamment à Habitat 67, à Montréal, un ensemble résidentiel des plus novateurs construit avec des modules de béton préfabriqués. Les coûts relativement peu élevés de construction de ce complexe résidentiel, initialement destiné à du logement locatif abordable, n’ont rien à voir avec les prix faramineux des condos de prestige qu’on y trouve aujourd’hui.
À l’inverse, les énormes résidences que nous érigeons dans les banlieues sur des terrains trop petits et qui empruntent des éléments architecturaux aux manoirs et aux châteaux d’une autre époque dans le but d’épater la galerie coûtent souvent très cher. Que de gaspillage d’espaces et de ressources (énormes toitures inhabitées, décors tape-à-l’œil, pièces surdimensionnées coûteuses à chauffer), alors qu’une maison plus petite et mieux conçue, selon des principes écologiques, et dotée d’une architecture reflétant davantage notre époque peut être tellement plus économique, autant à construire qu’à exploiter à long terme.
Tout repose donc sur une conception judicieuse pour que l’architecture réponde aux besoins fonctionnels, dure dans le temps et ait une apparence harmonieuse. Même si la qualité architecturale a un coût qu’on ne peut nier, un projet d’architecture ne se résume pas qu’à son budget!
Deux cas: l’amphithéâtre et le pont Champlain
Dernièrement, 2 cas m’ont interpellé en lien avec ce sujet: le nouvel amphithéâtre de Québec et le nouveau pont Champlain à Montréal. Dans le premier cas, le maire de Québec, Régis Labeaume, déclarait, avant même que les architectes aient esquissé les plans du nouveau complexe multifonctionnel, qu’il ne voulait pas gagner de prix d’architecture. Par cette affirmation faite pour dire qu’il n’y aurait pas de dépassements de coûts, l’impétueux maire laissait entendre que la qualité architecturale était secondaire. Il baissait ainsi les bras et manquait une belle occasion d’ajouter une signature architecturale forte à la capitale. C’était également un peu méprisant envers les architectes du projet qui, malgré qu’ils soient des créateurs de talent, répondent avant tout à une commande où le premier critère de design se limite aux coûts. Je ne dis pas que le budget d’un projet n’est pas important, mais accordons aux architectes et aux designers une certaine liberté de création à l’intérieur d’un cadre budgétaire donné plutôt que de laisser aux politiciens la décision, par exemple, d’exclure d’emblée le bois par crainte que ce soit trop cher.
Dans le deuxième cas, un article de La Presse du 7 février 2013 titrait «Pont Champlain: la sécurité et le prix avant l’esthétisme» en paraphrasant le ministre fédéral Denis Lebel à propos du futur pont Champlain à Montréal. Une fois de plus, on oppose le coût d’un projet à son esthétisme comme si un beau pont coûte nécessairement plus cher qu’une structure banale. Je trouve qu’on jette ici l’éponge avant même d’analyser différents types de structures. Une recherche rapide sur Internet permet de constater combien on peut innover dans ce domaine et comment un simple pont peut devenir une véritable image de marque d’une ville. Lorsqu’on investit 5 milliards de dollars en argent public, peut-on au moins s’attendre à ce qu’un tel équipement ne défigure par la ville de Montréal pour les 50 prochaines années?
La beauté, ce n’est pas du crémage ou des «gugusses» qu’on ajoute à la fin d’un projet et qu’on peut couper tout bonnement. En architecture, le design est avant tout une question d’équilibre des formes, de proportion des volumes, de choix judicieux de matériaux, d’épuration des lignes, d’expression de la structure, etc. L’utilité, la solidité et la beauté, les 3 qualités d’un bon design architectural, sont indissociables les unes des autres et se conçoivent de façon intégrée.
Niveler par le bas
Ne pas se soucier de la qualité architecturale des projets ou, pire, la sacrifier, c’est malheureusement niveler par le bas, favoriser la médiocrité et dégrader nos paysages bâtis. Cela s’ajoute au sacro-saint principe du plus bas soumissionnaire dans le domaine de la construction qui est loin de favoriser le talent, l’excellence et l’innovation et, par le fait même, la beauté de nos villes. Comme je le dis souvent, on a les paysages qu’on mérite…
Pour finir sur une note plus positive, il me vient tout de même à l’esprit de belles réalisations où l’on peut saluer la qualité du design architectural et urbain. Je pense à la promenade Samuel-de-Champlain à Québec ou à l’édifice de la Caisse de dépôt et placement à Montréal qui font l’unanimité en termes de design auprès des usagers et de la population même s’ils ont nécessité d’importants investissements. À ce titre, les projets que la Commission de la capitale nationale du Québec a menés sont habituellement d’une qualité supérieure et répondent bien à l’une de ses missions qui est d’embellir la capitale. Il faut toutefois faire attention de ne pas tomber dans l’autre extrême et éviter de faire des opérations cosmétiques où la beauté est recherchée à tout prix, au détriment de la fonctionnalité urbaine et de la pérennité. Tout est donc une question d’équilibre…
Haut de page
Publié le 2 mai 2013 | Par Marco Burelle
@M. M. Dubois: Bravo et merci de partager ainsi vos réflexions.
Publié le 18 mars 2013 | Par Martin Dubois
Il est vrai qu'à la Ville de Québec, la réglementation en termes d'affichage est souvent sévère, notamment dans les secteurs historiques et patrimoniaux comme le Vieux-Québec par exemple où les contraintes sont assez importantes. Toutefois, cette réglementation a sa raison d'être pour contrôler cet aspect lié aux activités commerciales où certains commerçants voudraient toujours avoir des enseignes plus grosses, plus voyantes, plus attirantes... On a tous en tête des villes ou des secteurs moins réglementés où on a tout à fait perdu le contrôle à cet égard et où l'affichage anarchique et disproportionné compromet toute forme de mise en valeur de l'architecture et du paysage urbain. Je suis d'accord avec vous sur le fait que nous sommes bien sages à Québec en matière de design d'enseignes commerciales, mais je ne crois pas que ce soit simplement pour des raisons réglementaires. J'ai siégé durant quelques années à la Commission d'urbanisme et de conservation de la Ville de Québec où des projets d'enseignes étaient proposés chaque semaine. Je peux vous dire que la réglementation avait surtout pour but de dissuader des «délinquants» et que lorsque des enseignes intéressantes qui sortaient de l'ordinaire étaient présentées, c'est avec enthousiasme que nous les acceptions. Donc, il y a de la place pour oser plus et faire preuve d'originalité, tout en s'intégrant harmonieusement au milieu et à l'architecture et en respectant la réglementation actuelle.
Publié le 18 mars 2013 | Par Martin Dubois
Ce billet avait pour but de faire ressortir que les architectes ne sont pas là que pour leur efficacité et le respect des budgets. Bien sûr, cela fait partie de leurs responsabilités et de leurs défis, qu'ils relèvent d'ailleurs généralement très bien dans des contextes budgétaires souvent difficiles, mais ils sont aussi des créateurs. Leur talent et leur créativité est essentielle pour améliorer notre cadre bâti et mettre un peu de beauté dans nos villes. Il est donc important de leur faire confiance à cet égard et non pas réduire leur rôle qu'à de simples estimateurs et vérificateurs de coûts de projets!
Publié le 18 mars 2013 | Par Phil Belanger
Publié le 15 mars 2013 | Par Simon Veilleux
J'aimerais avoir votre avis concernant les règlements d'affichage de la Ville de Québec qui propose d'harmoniser la signalisation, l'affichage et/ou toute nouvelle construction avec les bâtiments existants. Restreindre les formats d'affichage pour diminuer l'impact visuel. Interdire une affichage combinant l'orientation, la signalisation et l'information. Opter pour des couleurs sobres plutôt que vives.
De mon point de vue, je trouve (pour reprendre vos mots) que nous nivelons par le bas. Le design architectural ne devrait-il pas être utile à la société et remplir son rôle en termes d'efficacité? Le design ne devrait-il pas améliorer ce qui existe et non s'y agencer...
C'est triste de voir tout ce qui se fait de bien à l'international... triste que nous ne puissions faire autant, sinon mieux!
(N'est-ce pas merveilleux? http://www.burnstudio.co.za/blog/parking-spaces/)
Simon
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet