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L’organisation juridique de l’entreprise sociale (1 de 2)

Un mouvement général en pleine croissance. C’est ainsi que le Forum économique mondial qualifie l’entreprise sociale: «[…] social entrepreneurship is a growing global movement»1. Économiquement, ces entreprises s’inscrivent dans une logique de marché, et une part significative de leurs ressources provient de la vente des biens ou des services qu’ils produisent. Mais, elles se définissent surtout par la finalité sociale, sociétale ou environnementale de leur action, ainsi que par un principe de recherche limitée de profit. Ces entreprises vont d’organismes de bienfaisance aux commerces soucieux de leur incidence sociale, en passant par les coopératives.

entreprise

Au Canada et au Québec, l’entreprise sociale suscite de l’intérêt. En 2013, par exemple, Industrie Canada a consacré dans sa réflexion sur les réformes futures de la Loi canadienne sur les sociétés par actions un chapitre entier à la «structure de constitution en société pour les entreprises socialement responsables». Au Québec, la Loi sur l’économie sociale, adoptée le 10 octobre 2013, a reconnu la contribution de l’économie sociale au développement socioéconomique du Québec et a affirmé promouvoir et soutenir le développement de l’économie sociale. Quelques mois plus tard, le Gouvernement provincial a publié son Plan d’action gouvernementale en économie sociale 2015-2020.

Pour les juristes, l’entreprise sociale (et la finance sociale à laquelle elle est génétiquement liée) est une notion qui interpelle. Il s’agit d’un concept émergent (mais incontournable) du droit des affaires sur lequel on leur demande de réfléchir activement pour en faciliter le développement. L’économie sociale constitue aussi une manifestation supplémentaire de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans l’économique, manifestation que le droit est loin d’ignorer!

Ce billet en 2 parties désire apporter un éclairage sur l’entreprise sociale avec l’interrogation suivante en toile de fond: quel choix le droit offre-t-il aux entrepreneurs désireux d’œuvrer au bénéfice de l’environnement, de leur communauté ou de la société en général?

La question du choix offert aux entrepreneurs sociaux est d’autant plus importante que la finance sociale (qualifiée d’«investissement d’impact» au Canada) prend de l’ampleur, comme l’illustre l’évolution des revenus du secteur non lucratif de 1997 à 20072 (voir le tableau ci-dessous).

tableau

Pour présenter le choix qui s’offre aux entrepreneurs, je partirai de 3 affirmations complémentaires:

  1. Dans les faits, l’entreprise sociale est connue dans les économies canadiennes et québécoises;
  2. Il n’y a pas, à ce jour, de définition juridique de l’entreprise sociale;
  3. Il existe un vaste choix d’organisations possibles.

Éventail des organisations actuelles au Canada3

organisations

Dans ce billet, l’accent sera mis sur plusieurs de ces organisations en soulignant leurs caractéristiques et leurs limites quand elles sont utilisées pour une activité de nature sociale. Dans cette 1re partie, je présenterai des formes d’entreprise sociale bien ancrées dans les paysages canadien et québécois: les organismes de bienfaisance (1), les OBNL (2) et les coopératives (3). Dans la seconde partie de ce billet, je traiterai d’un nouveau type d’entrepreneuriat (les entreprises hybrides) et des entreprises commerciales traditionnelles, dont le modèle d’affaires se transforme.

1. Organisme de bienfaisance

De quoi s’agit-il?
Sous-ensemble des organismes à but non lucratif, un organisme de bienfaisance est:

  • enregistré en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu;
  • exempté du paiement de l’impôt;
  • un donataire reconnu au sens de cette même loi.

Afin de conserver son statut spécial, un organisme de bienfaisance enregistré doit se conformer aux exigences de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Au Québec, un régime d’enregistrement parallèle est en place et ses exigences correspondent à celles en vigueur au palier fédéral.

Quelles sont ses caractéristiques?
Un organisme de bienfaisance enregistré est une œuvre de bienfaisance, une fondation publique ou une fondation privée qui est créée et établie au Canada. En plus de démontrer qu’il offre un «bienfait d’intérêt public»4, l’organisme doit consacrer toutes ses ressources (argent, biens, employés et bénévoles) à des activités de bienfaisance et avoir des fins de bienfaisance qui visent l’une ou plusieurs des catégories suivantes: le soulagement de la pauvreté, l’avancement de l’éducation, l’avancement de la religion ou d’autres fins profitant à la collectivité. Tous les organismes de bienfaisance enregistrés doivent être «exclusivement à des fins de bienfaisance», tant par leur mandat qu’en réalité. Mais, en vertu de la doctrine fiscale, ces organismes (sauf les fondations privées) peuvent s’engager dans une activité commerciale si celle-ci est «directement liée aux buts de l’organisme de bienfaisance et sert à l’avancement de ses fins»5. L’ARC considère qu’il y a 2 genres d’activités commerciales complémentaires qui peuvent être menées par des organismes de bienfaisance enregistrés:

  • les activités commerciales qui sont réalisées en grande partie par des bénévoles;
  • les activités commerciales qui sont liées au but d’un organisme de bienfaisance et subordonnées à ce but.

Quelles sont ses limites?
Les objectifs d’un organisme de bienfaisance doivent être exclusivement «caritatifs». Les limites à la poursuite d’une activité commerciale ne permettent pas à un organisme de bienfaisance d’exploiter une entreprise sociale. Aussi, un tel organisme doit-il limiter ses activités commerciales à celles qui sont complémentaires à sa mission ou constituer une filiale sous forme de société par actions qui va assurer lesdites activités commerciales (formule qui peut se révéler complexe!). 

2. Organisme à but non lucratif (OBNL)

De quoi s’agit-il?
En droit, 2 constats ont été faits quant aux OBNL: leurs règles sont désuètes et ne favorisent pas l’émergence de la finance sociale. Rappelons qu’un OBNL est une personne morale qui n’a pas de capital-actions et qui n’a pas comme objectif de faire des profits.

Quelles sont ses limites?
La possibilité qu’un OBNL puisse mener d’autres activités que celles de nature non lucrative pose problème, même si, dans les faits, un grand nombre d’OBNL exerce des activités dans un souci de profit ou conserve des réserves issues de profits non accessoires. D’une part, l’ARC a indiqué qu’un OBNL pouvait réaliser un profit uniquement si celui-ci est accessoire et qu’il découle d’activités qui appuient ses objectifs non lucratifs. Aucune des fins de l’OBNL ne peut donc être de générer un profit, même si le profit est utilisé pour l’avancement de ses fins de bienfaisance. La sanction est simple: la fin de l’exonération d’impôts aux termes de l’alinéa 149(1)(l) de la Loi de l’impôt sur le revenu. D’autre part, si les OBNL peuvent, avec certaines restrictions, conserver le contrôle d’une société imposable distincte, «[…]jusqu’ici, les lignes directrices de l’ARC manquent de clarté à ce sujet»6. Voilà qui n’est guère encourageant…

3. Coopérative

De quoi s’agit-il?
La coopérative est une personne morale constituée dans le but de mener des activités en coopération afin de satisfaire certains besoins socioéconomiques communs de ses membres. Les coopératives constituent une des structures juridiques contribuant au secteur social. L’Alliance coopérative internationale énonce précisément que l’engagement envers la communauté est un des principes constituant les lignes directrices que les coopératives doivent mettre en valeur. En vertu de ce principe, les coopératives doivent contribuer au développement durable de leurs communautés par l’entremise de politiques approuvées par leurs membres.

Quelle sont ses caractéristiques?
Les membres d’une coopérative sont des propriétaires-usagers. En tant que propriétaires, ils assument les responsabilités liées à la propriété. En tant qu’usagers, ils se procurent des biens et des services ou y trouvent un emploi. À titre de membres, ils participent:

  • À la propriété: les membres sont tous propriétaires à parts égales de l’entreprise, peu importe le nombre de parts sociales qu’ils possèdent ou les montants qu’ils ont investis.
  • Au pouvoir: quel que soit le nombre de parts que détient chaque membre ou le volume d’affaires réalisé avec la coopérative, c’est la règle «un membre, un vote» qui s’applique.
  • Aux résultats: lorsque la coopérative réalise des excédents, ceux-ci sont affectés à la réserve de la coopérative, soit pour consolider sa situation financière, soit à des fins de développement. Les membres peuvent également décider de se répartir équitablement entre eux une partie de ces excédents sous forme de ristournes. Cette attribution est faite au prorata des opérations que chaque membre a effectuées avec l’entreprise. Toutefois, au moins 20% des excédents doit être affecté à l’avoir, jusqu’à concurrence de 40% des dettes de la coopérative.

Au Québec, 5 grandes familles de coopératives sont prévues dans la loi: la coopérative de producteurs, la coopérative de consommateurs, la coopérative de travail, la coopérative de travailleurs actionnaires et la coopérative de solidarité. À cette liste, il faut ajouter les coopératives financières qui sont régies par une loi qui leur est propre, la Loi sur les coopératives financières, en plus de la Loi sur les assurances.

Quelles sont ses limites?
Malgré la place non négligeable des coopératives, plusieurs rapports ont souligné l’imperfection de la situation réglementaire. Alors que les coopératives peuvent mener des activités d’entreprise, les coopératives de services communautaires sont soumises aux mêmes règles que les OBNL (et, notamment, souffrent des restrictions liées à la production d’un excédent et à la capacité de générer des profits), malgré leur souhait de bénéficier de l’exemption fiscale rattachée au statut sans but lucratif.

1 Hilde Schwab et Katherine Milligan, «Explainer: What is a social entrepreneur?», World Economic Forum (18 décembre 2015).

2 Brittany Fritsch, Becky Rossi et Tessa Hebb, «An examination of the tension between business and social mission within social enterprises» (février 2014) Carleton Centre for Community Innovation à la p 7.

3 MaRS Centre for Impact Investing, «La mobilisation de capitaux privés pour le bien collectif: Groupe d’étude canadien sur la finance sociale» (décembre 2010) à la p 6.

4 Pour l’ARC, l’organisme de bienfaisance doit conférer un bénéfice tangible au public dans son ensemble ou à une composante suffisante du public, tel que le détermine la fin de bienfaisance en question, et il ne peut profiter autrement à des particuliers, sauf lorsqu’il est question d’une conséquence mineure et accessoire de la fin de bienfaisance.

5 ARC, Énoncé de politique CPS-019, «Qu’est-ce qu’une activité commerciale complémentaire?» (31 mars 2003).

6 MaRS Centre for Impact Investing, «La mobilisation de capitaux privés pour le bien collectif: Groupe d’étude canadien sur la finance sociale» (décembre 2010) à la p 15.

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