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Ontario: une réforme bienvenue

Voici une nouvelle passée relativement inaperçue dans le monde du droit des affaires et des services financiers: le Parlement ontarien a décidé de rendre obligatoire, à compter du 1er janvier 2016, la divulgation de la prise en compte des questions environnementales, sociales et de gouvernance dans les stratégies d’investissement des régimes de retraite professionnels à prestations définies.

ParlementOntario-600

Le texte ontarien est rédigé comme suit:
«… une déclaration indiquant que l’administrateur du régime de retraite doit établir pour le régime un énoncé des politiques et des procédures de placement qui comprend ce qui suit:
            (i) les politiques et les procédures de placement s’appliquant au portefeuille de placements et de prêts du régime
            (ii) des renseignements précisant si des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance sont intégrés dans les politiques et les procédures de placement du régime et, dans l’affirmative, comment ils le sont
».1 

On peut comprendre que cette nouvelle peu relayée dans la presse francophone n’ait pas, de prime abord, suscité un grand enthousiasme (l’ignorance en ce domaine est souvent caractéristique2), mais il me paraît important de revenir sur cette étape franchie par le Parlement de l’Ontario (le projet était en attente de validation depuis 2011) qui est loin d’être négligeable. Si le diable est dans les détails, Dieu pourrait également s’y cacher!

Apportant plus de transparence à la manière dont les gestionnaires des régimes de retraite exercent leur choix d’investissement, cette réforme vient sensibiliser les acteurs de la finance aux enjeux sociétaux et environnementaux de leurs politiques d’investissement, tout en responsabilisant en bout de chaîne les investisseurs eux-mêmes. L’information dorénavant disponible sur le choix ou le non-choix d’un investissement socialement responsable (ISR) contribue au final à l’intégration d’une démarche de responsabilité sociétale dans les entreprises et à la promotion d’une vision à long terme.

L’ISR, des chiffres en hausse
Les différents soubresauts de l’économie et de la finance ont mis en lumière la nécessité de promouvoir une finance plus sociale et plus responsable. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’ISR. De quoi s’agit-il? Un investissement est dit socialement responsable si un investisseur optimise ses choix en matière d’allocation d’actifs, non plus uniquement sur la base de critères financiers, mais en y intégrant aussi des préoccupations sociales, éthiques et environnementales. Loin d’être un mythe ou une lubie de quelques personnes, l’ISR gagne ses lettres de noblesse. Il est en pleine croissance au Canada et au Québec, comme le confirme le portrait de la finance responsable de 2013 établi par CAP finance, l’Institut Karl Polanyi et l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC): on y démontre que la pratique en matière d’ISR était, cette année-là, en croissance et que les actifs relevant de l’ISR progressaient constamment. Pour s’en tenir à un seul chiffre, notons que 33,1% des actifs sous gestion au Québec relevaient de l’ISR, en 2013.

La transparence en renfort
Devant la croissance de l’ISR, quelle est la position du juriste? Relativement discrète, oserais-je dire. Encore faut-il pondérer ce constat en fonction du pays sur lequel on jette un regard3. Pour le Canada, j’avais affirmé ici, l’an dernier, que le droit cultivait une position illisible qui devait être clarifiée. Même si tel n’est pas le résultat de la réforme intervenue en Ontario, toujours est-il que le droit semble aller de l’avant afin de promouvoir l’ISR et de lui donner les moyens de continuer sa croissance.

Jusqu’à récemment, aucune province canadienne n’avait prévu, dans la législation des régimes de retraite, des règles imposant la divulgation de la prise en compte (ou non) des critères sociaux, environnementaux ou de gouvernance dans l’exercice de leur droit de vote et dans la décision d’investissement. Et ce, malgré un projet de loi fédéral en ce sens, le soutien d’acteurs importants du marché et l’existence d’exigences spécifiques concernant les banques, les compagnies d’assurance et les sociétés de prêt.

Que penser de la réforme ontarienne?
Si le dispositif adopté en Ontario est moins ambitieux qu’ailleurs, quoique plus poussé qu’aux États-Unis, il a le mérite d’avoir été mis en place4. Des études empiriques publiées en Angleterre à propos de l’incidence liée à la publication de la politique de vote en matière d’investissement responsable et de l’exercice des droits de vote démontrent qu’une telle réforme sensibilise les gens du secteur à l’ISR en déclenchant un débat public sur l’étude des questions sociales, environnementales et éthiques dans le processus de placement et s’accompagne d’un essor de l’ISR. Il faut simplement que les investisseurs sachent se montrer actifs et utiliser (après l’avoir comprise, bien entendu) l’information qui leur est fournie…

N’oublions pas que la législation ontarienne n’impose pas aux gestionnaires de prendre en compte des critères extrafinanciers et que la Commission des services financiers de l’Ontario n’a pas encore fourni de précisions sur ce qu’elle considère être des critères sociaux, environnementaux et de gouvernance.

Souhaiter un comportement actif et volontaire des investisseurs est-il un vœu pieux? Peut-être… et peut-être pas, dans la mesure où tout investisseur qui se dit sérieux et crédible doit tenir compte aujourd’hui des risques extrafinanciers auxquels s’exposent les entreprises dans lesquelles il veut investir. De plus, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon une étude de la Morgan Stanley Institute for Sustainable Investing, 70% des investisseurs privés expriment aujourd’hui un intérêt à investir avec moralité et conscience. Plus près de nous, les Québécois sont de plus en plus nombreux à adhérer à la philosophie de l’investissement socialement responsable, comme l’exprime l’étude de l’Observatoire ESG UQAM de la consommation responsable intitulée Les Québécois et l’investissement socialement responsable: portrait 2014.

Au Manitoba, en 2012, le choix a été quelque peu différent. Laissant la transparence de côté, le régulateur est venu préciser toute la légitimité des critères non financiers dans les choix d’investissement. Dans l’article 28.1 (2.1) de la Loi sur les prestations de pension, on peut lire que, sauf disposition contraire du régime de retraite, l’administrateur qui utilise des critères de nature non financière pour élaborer une politique de placement ou prendre une décision en matière de placement ne viole ni la présente loi ni ses obligations fiduciaires à 2 conditions: il doit apporter à l’administration du régime et des fonds de la caisse de retraite le soin, la diligence et la compétence qu’une personne d’une prudence normale exercerait relativement à la gestion des biens d’autrui, et il doit placer l’actif de la caisse de retraite et gérer les placements conformément aux règlements et comme le ferait une personne prudente à l’occasion du placement et de la gestion d’un portefeuille de placements d’une caisse de retraite5. Même discret, le message livré est clair.

Paraphrasant l’astronaute Neil Armstrong, la réforme intervenue dans la province de l’Ontario constitue un petit pas pour le droit, mais un grand pas pour l’ISR… Un pas que devraient oser d’autres provinces.

1 Règlement de l’Ontario 235/14 pris en vertu de la Loi sur les régimes de retraite modifiant le Règl. 909 des R.R.O. de 1990 

2 V. Barhat, «L’ignorance qui pèse sur l’ISR», Finance et investissement, 24 juillet 2014.

3 L’Europe (notamment l’Angleterre, la France, l’Allemagne et les pays scandinaves) ainsi que l’Australie ont imposé des considérations éthiques dans les stratégies d’investissement des caisses de retraite.

4 Les réformes proposées récemment en Nouvelle-Écosse, en Alberta et en Colombie-Britannique ont donné lieu à une vive discussion sur ce sujet, sans avoir abouti.

5 Loi sur les prestations de pension 

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