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Photo de Martin Dubois

Le Phare: la folie des hauteurs

Le projet Le Phare dévoilé le 18 février dernier a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il en ressort un clivage assez marqué entre l’opinion plutôt favorable du grand public et le rejet quasi unanime du projet par le milieu professionnel de l’architecture et de l’aménagement. Bien que certains boudent ou ridiculisent les propos des regroupements d’architectes qui se sont prononcés contre cet ensemble immobilier qui atteint 65 étages, je joins ma voix aux professionnels et aux journalistes qui croient que ce serait une mauvaise idée de permettre à ce projet de se réaliser.

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Voici, en 5 points, mes impressions sur ce phare qui tente de nous éblouir.

1. Repose sur des idées de grandeur

Il existe 2 grandes raisons pour justifier un édifice d’une telle hauteur.

La 1re en est une de nécessité, soit par manque d’espace dans des villes très denses ou surpeuplées, soit parce qu’en raison du prix tellement élevé du terrain (rareté, spéculation), le seul moyen de le rentabiliser est de construire à la verticale. Ce n’est certainement pas le cas ici. Nous ne sommes ni à New York ni à Tokyo, et les mers de stationnements ainsi que la faible densité qu’on trouve sur le boulevard Laurier ne justifient en rien une tour de 65 étages.

La 2e raison est la volonté de laisser une signature dans le paysage urbain, de démontrer sa suprématie ou de fracasser un record de hauteur. Nous sommes clairement ici dans cette volonté de créer un nouvel emblème pour Québec, de marquer les valeurs familiales et corporatives du promoteur, d’ériger le plus haut immeuble à l’est de Toronto. Mais pourquoi? Il me semble que l’époque de mon-gratte-ciel-est-plus-haut-que-le-tien est un peu révolue. Ne devrait-on pas miser davantage sur la qualité que sur la quantité? Plusieurs projets de dimensions raisonnables, mais avec une architecture plus actuelle et audacieuse seraient à mon avis tellement plus structurants pour le boulevard Laurier. Par ailleurs, les œuvres philanthropiques du Groupe Dallaire, notamment à la Maison Dauphine et sur les propriétés des Sœurs de la Charité à la place D’Youville et à Beauport, sont, selon moi, des gestes qui portent davantage les valeurs du promoteur et qui auront une empreinte plus pérenne qu’un phare créant un déséquilibre important dans le paysage bâti de l’ouest de la ville et qu’on risque de regretter, dixit François Cardinal dans La Presse.

2. Sans respect pour un plan d’urbanisme qui faisait consensus

Un important processus démocratique a conduit, il y a 2 ans, à l’adoption d’un Plan particulier d’urbanisme (PPU) pour le secteur du plateau centre de Sainte-Foy comprenant le boulevard Laurier, la route de l’Église et la tête des ponts. Cet important exercice de planification urbaine qui devait guider les actions de la Ville pour les 20 prochaines années avait pour but d’encadrer la densification urbaine selon une vision claire et d’arrêter le développement à la pièce pour créer un milieu cohérent et harmonieux. Le PPU accordait notamment aux développeurs la possibilité d’atteindre une hauteur maximale de 29 étages (110 mètres) sur certaines parties bien précises du territoire, notamment au nord du boulevard Laurier, afin de limiter les inconvénients pour les quartiers résidentiels environnants. À son entrée en vigueur en janvier 2013, la Ville se disait fière de ce nouveau plan qui, après de nombreuses consultations publiques, reflétait un consensus de tous les intervenants du milieu, dont les citoyens du quartier. Mais voilà qu’au premier projet déposé qui va bien au-delà de la hauteur maximale, avec ses 65 étages et ses 250 mètres, le maire de Québec est prêt à déroger du PPU nouvellement adopté. Les élus sont décidément difficiles à suivre dans ce dossier. On peut comprendre le cynisme des électeurs et la déception des citoyens de Sainte-Foy qui croyaient à cette démarche démocratique. Et qui affirmera que les promoteurs n’ont pas des pouvoirs importants sur la destinée de la ville après cela?

3. Contraire au développement durable

De nos jours, les projets d’importance se doivent de respecter le plus possible les principes de développement durable qui s’appuient sur une vision à long terme prenant en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement. Le Phare de Québec a quelques lacunes à cet effet. Il a d’abord été démontré par plusieurs experts que l’édifice en hauteur créera des nuisances non négligeables sur son milieu immédiat en raison des turbulences de vent et des importants ombrages occasionnés. Ce secteur de la ville est plutôt hostile pour les piétons et malgré l’annonce d’un service rapide par bus (SRB) prévu dans au mieux une dizaine d’années –nous n’en sommes pas au premier report ni au premier volte-face dans le plan de mobilité durable–, la plupart des milliers d’usagers de cet immeuble s’y rendront en voiture, causant par le fait même une congestion accrue dans un secteur qui l’est déjà passablement. La mixité des fonctions (bureaux, commerces, hôtel et résidences) est louable; il serait toutefois étonnant que de jeunes familles avec enfants ou des ménages à faible revenu, nécessaires pour une véritable mixité sociale, viennent s’y établir, et que la majorité des travailleurs de ces tours de bureaux résident sur place. Ce n’est pas tout le monde qui aime vivre dans un gratte-ciel et qui en a les moyens. Par ailleurs, en concentrant à ce seul endroit tant d’espaces de bureaux et de condos, on peut se questionner sur la viabilité économique d’autres projets dans d’autres secteurs de la ville. Il vaut souvent mieux de plus petits projets structurants ayant moins d’incidences négatives dans plusieurs secteurs (centre-ville, Lebourgneuf, D’Estimauville, Sainte-Foy, etc.) qu’un mégaprojet démesuré. Enfin, l’acceptation sociale du projet est loin d’être acquise. Les citoyens du quartier, les premiers affectés par le projet, se mobilisent actuellement contre Le Phare et ses nombreuses nuisances pour leur qualité de vie.

4. Peu susceptible de devenir un emblème architectural

Ce projet est en grande partie vendu pour son audace et la marque qu’il laissera au-delà des frontières. Quand on regarde ce qui se fait ailleurs dans le monde en termes de tours et de gratte-ciel, je suis sceptique quant à la capacité du Phare à devenir un emblème architectural. À part l’audace de sa hauteur, il s’agit d’une architecture comparable à ce qui se faisait dans les années 1980 ou 1990 qui nous laisse plutôt froid, tout comme l’inspiration maritime, cette référence au passé de Québec. Une fois de plus, les concepteurs n’ont pu résister à ce réflexe propre à Québec de toujours intégrer un référent historique pour faire plaisir à on ne sait qui au lieu d’affirmer pleinement leur contemporanéité. À bien des endroits, un projet de cette envergure passerait assurément par un concours d’architecture national, voire international pour trouver le meilleur concept possible. Le boulevard Laurier est à mon avis un bon endroit à Québec pour construire des tours de hauteur raisonnable. Miser davantage sur la qualité du design que sur l’aspect vertical serait une meilleure façon de se démarquer. Les prix d’architecture et la diffusion du projet aux quatre coins du monde pour son audace et sa créativité constituent la meilleure façon de traverser les frontières.

5. Déçoit les experts dans le domaine

Les architectes font rarement front commun pour dénoncer sur la place publique des situations ou des projets qu’ils jugent inopportuns. Inquiets des répercussions du gratte-ciel Le Phare sur le tissu urbain, quelques 325 jeunes architectes, stagiaires et étudiants en architecture ont signé une pétition demandant la révision du projet «parachuté et non réfléchi». Appuyés par plusieurs experts du domaine, dont des spécialistes en architecture bioclimatique et d’autres collègues seniors, les jeunes architectes peu éblouis par Le Phare militent pour une ville à échelle humaine et pour une meilleure intégration des édifices au contexte urbain. L’avis du milieu de l’architecture, qui était plutôt constructif, a été vu par certains comme un rabaissement et comme de la jalousie envers leurs collègues. Je ne crois pas que, dans d’autres domaines, l’avis de professionnels et d’experts du milieu aurait si peu été écouté, voire ridiculisé.

Selon moi, les meilleurs projets architecturaux ou urbains sont ceux qui rallient à la fois le grand public et le milieu de l’architecture, comme un bon film qui est à la fois un succès critique et d’auditoire. La promenade Samuel-De Champlain, les bibliothèques Paul-Aimé-Paiement (Charlesbourg) ou Monique-Corriveau (Sainte-Foy) ainsi que le siège social de La Capitale groupe financier sur la colline Parlementaire sont des projets qui ont fait l’unanimité, qui ont remporté de nombreux prix et qui peuvent faire la fierté de Québec. De la même manière qu’un édifice qui ne serait apprécié que par les architectes et les urbanistes sans plaire à monsieur et à madame tout le monde, un immeuble comme Le Phare qui n’emballe pas du tout les professionnels de l’architecture n’aura jamais le succès espéré.

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  1. Publié le 31 mars 2015 | Par Pierrette Faucher

    Je suis totalement en accord avec vous et je joins ma voix à tous ceux qui s'opposent à ce projet.

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