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Photo de Martin Dubois

Le Domaine Joly-De Lotbinière

Pour ce billet d’été, je vous propose une escapade dans l’un des plus beaux sites historiques du Québec. Situé à Sainte-Croix sur la rive sud du Saint-Laurent, le Domaine Joly-De Lotbinière est reconnu pour ses magnifiques jardins, mais aussi pour son patrimoine bâti exceptionnel. Cet ancien domaine seigneurial comprend une bonne douzaine de bâtiments issus du courant pittoresque du 19e siècle, qui a eu une influence certaine sur l’architecture de villégiature. Le magnifique manoir et ses nombreuses dépendances (cottage des serviteurs, remise à voitures, poulailler, abri à bois, kiosque à lecture, laboratoire, etc.) sont ainsi en relation harmonieuse avec la nature qui les entoure, formant un ensemble unique.

Joly

Le mouvement pittoresque
Le mouvement pittoresque prend racine au début du 18e siècle alors qu’on assiste à la révolution du goût qui marque l’art des jardins en Angleterre. En réaction aux jardins classiques «à la française» caractérisés par des compositions ordonnées, symétriques et artificielles, certains jardiniers paysagistes créent des jardins qui s’inspirent davantage de la nature. Lignes plus fluides, sentiers sinueux, bassins et lacs de forme asymétrique ainsi que végétation à l’état sauvage formant des jeux d’ombre et de lumière sont des caractéristiques de ces nouveaux jardins «à l’anglaise» qui tentent de recréer un milieu qui a l’air naturel même s’il est façonné de toutes pièces.

Parallèlement à ce retour au véritable «Ordre de la nature», les peintres paysagistes qui contribuent à stimuler et à façonner le goût pour la «vraie nature» ont aussi la cote. Se développent alors d’étroites analogies entre l’art jardinier et l’art pictural. Les peintres saisissent l’essence de la nature que les jardiniers appliquent dans leurs paysages. C’est dans ce contexte qu’on emploie pour la première fois le terme «pittoresque». Le terme anglais picturesque, dérivé de l’italien pittoresco, qualifie les scènes de la nature qu’on juge propres à fournir des thèmes de tableaux. Ensuite, par extension, on emploie de plus en plus ce terme pour qualifier des paysages à caractère sauvage et dissymétrique dignes de faire de belles toiles. Dans cette époque romantique en Angleterre, le picturesque fait référence à deux catégories d’émotions esthétiques: le sublime et le beau, qui reflètent les valeurs de l’époque.

Au même titre que d’autres disciplines comme la sculpture ou la littérature, ce mouvement pittoresque des jardins influencera aussi l’architecture qui était jusque-là dominée par un classicisme rigide. Dès lors, les bâtiments doivent se fondre plus harmonieusement à leur environnement naturel et peuvent s’inspirer plus librement de divers styles sans souci de symétrie ou de composition précise. Le pittoresque en architecture n’est pas un style en soi, mais plutôt une philosophie, une conception esthétique qui s’adapte à chaque contexte paysager. Au Québec, c’est au 19e siècle, avec la venue des premiers architectes britanniques, que cette architecture arrive en force. Les grands domaines de villégiature qui s’implantent dans des lieux naturels exceptionnels situés en banlieue des villes ou dans les campagnes en sont des bons exemples, comme les villas Bagatelle, du Bois-de-Coulonge ou Cataraqui à Sillery. Le Domaine Joly-De Lotbinière qui apparaît à la même époque s’inscrit dans cette tendance directement liée au mouvement pittoresque.

Une architecture toute en boiseries et en dentelle.

Une architecture tout en boiseries et en dentelles

 

D’abord, le manoir construit en 1851 par Pierre-Gustave Joly possède une implantation typique des aménagements pittoresques. Tourné vers le fleuve, il est situé au bout d’une grande allée bordée d’arbres. L’effet de découverte tant recherché par les paysagistes de l’époque est ici respecté. On ne découvre le bâtiment qu’à la dernière minute, comme s’il se jouait de l’apparat qu’on associe souvent à ces grandes maisons. Le manoir, aussi appelé Maison de Pointe Platon, est pourvu de grandes galeries qui sont des caractéristiques récurrentes du mouvement pittoresque. Ces prolongements des espaces intérieurs vers l’extérieur créent des zones ombragées où il fait bon se prélasser l’été tout en admirant les vues sur le fleuve et les jardins.

Garde-fou

Détail du motif de feuilles d’érable

De plus, les galeries sont ornées d’un motif de feuilles d’érable qui constitue un autre clin d’œil au cadre naturel environnant et qui a valu au bâtiment le nom de Maple House à une certaine époque. Les autres bâtiments du site sont aussi ornés de boiseries et de dentelles de bois qui leur confèrent parfois un air fantaisiste. C’est le cas du poulailler avec son architecture arabisante, objet de curiosité.

L’architecture et la nature font ainsi corps. Tous les bâtiments de cet ensemble présentent une ornementation représentative de l’influence du mouvement pittoresque. Savamment disposés au cœur d’un paysage exceptionnel sur la pointe Platon qui s’avance dans le fleuve, les bâtiments contribuent ainsi, dans une large mesure, à imprimer au Domaine son caractère romantique.

Les défis de la conservation
La conservation d’un tel ensemble représente plusieurs défis. Bien que le lieu soit classé site patrimonial par le gouvernement du Québec et lieu historique national par le gouvernement fédéral, l’ensemble des bâtiments entièrement en bois se dégrade sans cesse et doit être entretenu de façon soutenue. Étant moi-même l’un des administrateurs de la Fondation du Domaine Joly-De Lotbinière, qui est en quelque sorte la gardienne de ce joyau patrimonial, je peux vous dire que la conservation de tels bâtiments historiques est un défi de tous les instants en termes d’entretien et de restauration. Avec un budget limité, nous peinons à maintenir cet ensemble en bon état année après année. Nous sommes constamment en campagne de financement et organisons des corvées bénévoles pour repeindre et réparer certains bâtiments. Les droits d’entrée étant notre principale source de revenus, nous vous invitions donc à venir faire une promenade dans les jardins, à faire un pique-nique au bord d’un étang, à visiter le manoir et ses expositions ou à vous balader au bord du fleuve. Plus la fréquentation du site sera importante, mieux se portera le patrimoine bâti du domaine. Sur ce, bonne vacances!

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