Impressions d'architecture
Publié le 2 décembre 2013 | Par Martin Dubois
La genèse d’un hôtel de ville
L’hôtel de ville de Québec se dresse fièrement en face de la basilique-cathédrale Notre-Dame, dans le Vieux-Québec, depuis 1896. Toutefois, peu de gens savent que ce projet de construction ainsi que le choix de son architecte et de son style ont fait l’objet de moult discussions et revirements de situation qui se sont échelonnés sur 5 ans. Ces tribulations ont été relatées lors du récent Tribunal de l’Histoire portant sur le maire Simon-Napoléon Parent, tenu le 25 novembre dernier et orchestré par la Commission de la capitale nationale, où j’étais invité à titre de témoin expert pour parler de l’architecture de cet immeuble remarquable. Ce tribunal spectacle a démontré que le maire Parent souhaitait envers et contre tous, et dès son premier mandat, faire accepter à la population et à son conseil ce projet majeur et coûteux dans le but de projeter sa ville dans le futur. Et il a réussi son pari en imposant sa vision, sans dépassement de coûts et en ralliant les opposants, ce qui était tout un exploit pour l’époque. Toute similitude avec des projets récents n’est que pure coïncidence!
Un début difficile
C’est en 1889, sous l’administration du maire François Langelier, qu’un premier projet d’hôtel de ville voit le jour pour remplacer les locaux désuets et insuffisants, aménagés dans une maison située au coin des rues Saint-Louis et Sainte-Ursule. Il est dès lors décidé que le nouvel édifice sera construit sur le site de l’ancien collège des Jésuites démoli quelques années plus tôt, juste en face de la cathédrale. Pour le choix de l’architecte, un débat fait rage entre les tenants d’une architecture historiciste et les progressistes adeptes de formes plus modernes. Les grands bâtiments érigés lors des deux décennies précédentes, dont l’hôtel du Parlement et le palais de justice, sont de style Second Empire, qui met de l’avant le passé français de Québec. Alors que plusieurs veulent que ce style perdure, d’autres jugent qu’il serait temps d’en explorer d’autres afin d’exprimer davantage notre appartenance nord-américaine.
On organise donc un concours ouvert à tous les architectes de l’Amérique du Nord. Au final, 6 projets sont soumis: 3 du Québec, 1 de l’Ontario et 2 des États-Unis. Malgré le caractère anonyme des projets, les plans américains et ontariens se distinguent énormément des projets québécois. En effet, les 3 projets provenant de l’extérieur du Québec empruntent, à des degrés divers, au style néoroman américain en vogue à cette époque et comportent tous une tour beffroi. Quant à eux, les 3 projets québécois sont plus classiques et réfèrent aux styles européens, dont le Second Empire, dans la plus pure continuité historiciste de la ville.
Les membres du jury, dont fait partie l’architecte Eugène-Étienne Taché, couronne le projet de l’architecte québécois Elzéar Charest qui propose une réplique miniature de l’hôtel du Parlement conçu près de 15 ans plus tôt, dont Taché est l’architecte! Le Conseil municipal sort insatisfait de ce résultat et remet l’impartialité du jury en cause.
De plus, le Conseil juge que le projet ressemble trop à celui de l’hôtel de ville de Montréal, érigé récemment dans le style Second Empire. Il rejette donc le processus et, en 1891, demande à l’architecte Joseph-Ferdinand Peachy –l’un des concurrents du concours mais aussi ancien échevin de la Ville– de dresser un plan définitif qui fera la synthèse des 6 projets soumis en reprenant les meilleurs éléments de chacun. Ce plan met une fois de plus l’accent sur le style Second Empire, mais intègre la tour beffroi proposée dans certains projets. Le résultat est un peu maladroit et ne contente ni les anciens, fervents de l’historicisme, ni les modernes, plus progressistes. Le projet est donc relégué aux oubliettes.
Ce n’est qu’en 1894, lorsque Simon-Napoléon Parent est élu maire, que le projet refait surface. Plutôt progressiste, le nouveau maire approche alors le jeune et prometteur architecte Georges-Émile Tanguay afin qu’il propose un nouveau projet sachant rallier les différentes idéologies.
Une architecture éclectique
En architecture, cette fin de 19e siècle est une période où l’on mélange allègrement plusieurs styles du passé pour créer des compositions monumentales et originales. On tente également d’associer le style des bâtiments avec leur fonction par le symbolisme qu’il évoque. Ainsi, pour un hôtel de ville, on fait référence aux premières structures destinées à l’administration municipale apparues en Europe au Moyen Âge dans les villes franches de l’Italie, des Pays-Bas et de la France. Ces bâtiments prenaient souvent la forme de forteresses de style roman et possédaient le plus souvent une tour, qu’on nomme également un beffroi, dont la cloche servait à convoquer les citoyens sur la place publique. Dans les siècles suivants, la tour a été conservée et est souvent devenue une tour d’horloge.
À la fin du 19e siècle, les hôtels de ville construits en Amérique du Nord emploient beaucoup le style roman qui nous provient du Moyen Âge, mais qui a été réinterprété aux États-Unis par l’architecte Henry Hobson Richardson. Pour celui de Québec, Georges-Émile Tanguay s’inspire grandement de cette architecture américaine et développe un style très personnel, un compromis entre la tradition et la modernité afin de rallier tout le monde.
Il adopte certaines caractéristiques du style néoroman, dont les façades massives en pierre, l’arc cintré pour les principales ouvertures, les colonnes trapues, les frontons triangulaires à la base des toits, les contreforts et la tour beffroi ornée de mâchicoulis issus des forteresses médiévales. Il inclut également quelques références à l’architecture classique française, dont la façade symétrique, l’emploi de la pierre de taille lisse plutôt que la pierre à bossages, la séparation des étages par des bandeaux horizontaux ainsi que les grilles faîtières et les épis au sommet des toits recouverts de cuivre, qui s’inscrivent davantage dans la tradition de Québec.
La modernité de cet édifice ne se résume pas qu’à l’introduction d’un nouveau style dans le paysage bâti de la capitale. Elle se matérialise aussi par la fonctionnalité du plan des étages et par le fait que l’immeuble est à l’épreuve du feu, doté de tout le confort moderne et d’un ascenseur, ce dont peu de bâtiments de Québec peuvent se vanter.
Bref, une belle fusion du style néoroman étatsunien et du classicisme français à partir de laquelle Georges-Émile Tanguay souhaitait créer un nouveau style municipal.
Dans les décennies suivantes, plusieurs immeubles municipaux, dont des postes d’incendie, seront construits dans les différents quartiers de Québec selon le même style pour affirmer le pouvoir municipal partout dans la ville. L’hôtel de ville a donc eu une grande portée, non seulement pour la renommée de son maire et de son architecte, mais aussi pour le symbole qu’il représente en tant que siège de la démocratie municipale.
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