Regards sur la société
Publié le 16 août 2013 | Par Simon Langlois
Inégalités de revenus: le pessimisme règne
Les inégalités de revenus sont moins marquées au Canada qu’aux États-Unis, et moins prononcées au Québec que dans les autres provinces canadiennes. Par contre, les revenus de marché –tirés du travail salarié, du travail autonome et des placements– sont sous forte pression partout et sont caractérisés par une hausse des inégalités depuis au moins 10 ans.
La fiscalité et les paiements de transfert contribuent à réduire les inégalités dans les États ayant adopté des politiques sociales-démocrates, comme c’est le cas au Québec ou en Europe du Nord qui sont parmi les sociétés développées les plus égalitaires. Cependant, les États-providence ont de plus en plus de difficultés à contrer la hausse des inégalités touchant les revenus de marché.
Mais qu’en pensent les Québécois? Comment perçoivent-ils les inégalités en matière de revenus au sein de leur propre société? L’enquête sur la justice que nous menons (voir premier billet de cette série) apporte des éléments de réponse qui ne sont pas sans étonner.
Évaluation négative de la situation
La représentation sociale des inégalités de revenus a été mesurée à partir de l’indicateur suivant: «Au Québec, les différences de revenus sont plus élevées que dans les autres pays développés». Au total, 9% des répondants ont exprimé leur complet accord avec cet énoncé, et 36% étaient plutôt en accord. Autrement dit, 45% des répondants évaluent de manière assez pessimiste la situation présente des inégalités de revenus au sein de leur société, un pessimisme qui tranche avec la situation objective que révèlent les comparaisons internationales, plutôt favorables au Québec.
Comme on pouvait s’y attendre, le pessimisme, c’est-à-dire l’évaluation négative de la situation relative des revenus, est plus prononcé dans les ménages à faibles revenus et à revenus moyens (en bas de la médiane). Dans le contingent des pessimistes, se trouvent aussi les personnes au chômage et celles qui dépendent de l’aide sociale, mais également les employés de bureau, ce qui entraîne un plus grand pessimisme chez les femmes. Par contre, les détenteurs de très hauts revenus (plus de 100 000$ de revenu familial), les diplômés universitaires, les cadres et les professionnels ont une vision moins pessimiste de la situation québécoise. Ces relations statistiques confirment une fois de plus ce qui est observé dans d’autres études du même genre faites ailleurs. La perception à dominante pessimiste est plus marquée chez les personnes rencontrant le plus de difficultés sur le marché du travail (individus peu scolarisés, au chômage ou bénéficiaires de l’aide sociale).
Un certain nombre d’individus ont donc des raisons de penser que la distribution des revenus pose problème au Québec, évaluée du point de vue de leur situation personnelle. On ne peut leur reprocher de ne pas voir que les inégalités sont plus fortes ailleurs dans le monde; ces personnes évaluent leur bien-être et celui de l’ensemble de leurs concitoyens en fonction de ce qu’elles voient dans leur propre société et en fonction des paramètres de leur propre situation.
Fait à noter: 32% des personnes nées à l’extérieur du Canada expriment leur accord avec l’énoncé, soit moins que l’ensemble. Elles ont une représentation sociale moins pessimiste de la situation des inégalités de revenus au sein de leur société d’accueil. Nous pouvons faire l’hypothèse qu’elles comparent la situation qui prévaut au Québec avec celle, le plus souvent moins favorable, de leur pays d’origine, notamment dans le cas de ressortissants des pays les moins développés.
Trajectoire de vie et relations sociales: une réponse?
Notre enquête permet d’explorer d’autres pistes susceptibles d’éclairer la perception des inégalités. La première porte sur les trajectoires de vie. Ainsi, les répondants qui estiment avoir un niveau de vie moins élevé que celui qu’avaient leurs parents au même âge et ceux qui avancent que leur niveau de vie s’est détérioré depuis 10 ans sont nettement plus pessimistes à propos de l’état des inégalités de revenus au Québec.
Par ailleurs, plusieurs questions dans notre enquête portent sur les relations sociales des individus. L’analyse montre que les personnes isolées et celles qui considèrent que leur niveau de vie est inférieur à celui de leurs proches parents, de leurs amis ou de leurs collègues de travail sont aussi plus pessimistes en ce qui concerne l’état des inégalités.
Pas seulement l’intérêt personnel
Nul doute que les corrélations rapportées plus haut montrent avec évidence que les individus les plus pessimistes à propos de la situation des inégalités de revenus sont aussi ceux qui vivent les situations les plus difficiles sur le marché du travail ou ceux qui ont rencontré des difficultés sur les plans de la mobilité et de l’insertion sociales. Toutefois, la représentation sociale des inégalités n’est pas uniquement le reflet des intérêts personnels.
Le constat que les inégalités augmentent est aussi partagé par des individus qui ont «des idées et des sentiments» sur la question –pour parler comme Tocqueville dont le nom est souvent évoqué dans mes billets–, donc par des individus qui se réfèrent aussi à une conception de la justice sociale généreuse qui leur fait déplorer l’état de la situation actuelle des inégalités. L’analyse de la représentation des inquiétudes pour l’avenir le montre.
Inquiétude généralisée pour l’avenir
Les anticipations qui portent sur l’évolution des inégalités sont plus pessimistes que l’évaluation de la situation actuelle dans l’ensemble de la société. Elles ont été caractérisées à l’aide de la question suivante dans l’enquête: «Dans les cinq années qui viennent, pensez-vous que les inégalités de revenus au Québec vont fortement augmenter, vont augmenter un peu, vont rester stables, vont un peu diminuer ou vont fortement diminuer?». Le premier choix de réponse emporte l’adhésion de 27% des répondants et le deuxième, de 43%. Au total, 7 personnes sur 10 estiment que la situation des inégalités va empirer dans l’avenir.
La perception assez négative de l’avenir est largement répandue dans toutes les couches de la société québécoise et dans les différents sous-groupes distingués. Les proportions observées varient peu selon les caractéristiques considérées plus haut (âge, sexe, langue, etc.) et seuls les répondants appartenant à des ménages à très hauts revenus se montrent moins pessimistes face à l’avenir en lien avec cette question, ainsi que les anglophones et les personnes nées à l’extérieur du Canada.
L’apport du sentiment de justice sociale
Comment expliquer cette représentation pessimiste assez répandue de l’avenir? Comment expliquer aussi le pessimisme à propos de la situation actuelle qui caractérise bien des groupes qui, à première vue, n’ont pas de raisons immédiates de déplorer les inégalités par intérêts personnels (chômage, exclusion, etc.)? Il faut chercher l’explication du côté des valeurs et des prises de position idéologiques des individus et, en particulier, du côté du sentiment de justice sociale déjà exploré dans des billets précédents (1, 2, 3, 4, et 5).
Autrement dit –et ce sera à approfondir dans des analyses subséquentes– les individus se réfèrent aussi à leurs idées sur ce qu’est une société juste pour juger de l’état des inégalités et pour évaluer les politiques susceptibles de les contrer ou de les limiter.
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Publié le 22 mars 2015 | Par Marc Denoyer
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