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Fonderie Horne et arsenic: une insoutenable légèreté – 2e partie

Dans mon précédent billet, je discutais du taux très élevé de pollution émis par la Fonderie Horne, précisant que ces excès ne peuvent être légalement justifiés par l’argument des droits acquis, tel qu’avancé par le gouvernement.

Le coût social de cette pollution (qui, à terme, sera assumé par la province et ses contribuables) et les inquiétudes multiples créées par la situation appellent une réponse et un signal fort qui devra être envoyé à la communauté et aux entreprises. Dans ce contexte, est-il possible d’accorder les activités de l’entreprise aux normes provinciales sur la protection de l’environnement et, si oui, comment? À cet effet, je crois que plusieurs solutions sont envisageables.

Des avenues réalistes?
D’aucuns ont avancé que fermer la fonderie serait la voie à suivre. Mais cette option ne me semble pas plausible. Elle oppose directement la logique environnementale à la logique économique, alors qu’il convient de les faire travailler ensemble. La fermeture de l’usine aurait des conséquences dévastatrices sur le plan de l’économie, il ne faut pas se le cacher.

Tabler sur des mesures punitives à l’endroit de la fonderie n’est pas plus vraisemblable. En effet, par son laxisme, le ministère s’avère le principal responsable du niveau de pollution émis par l’entreprise qui, elle, ne fait que profiter d’une grande tolérance à son égard.

En outre, certains ont lancé l’idée d’établir une zone tampon autour de l’entreprise; d’autres ont proposé des mesures sanitaires de base à respecter pour les gens demeurant dans le quartier concerné1. Non seulement ces avenues sont contraignantes pour les citoyens, mais leur portée demeure à court terme et ne règle pas le problème de fond, soit le niveau de rejet des contaminants dans l’air.

Aussi, il apparaît impératif de resserrer la norme à laquelle doit se conformer la Fonderie Horne, tout en mettant en place des incitatifs pour la soutenir dans la recherche d’une solution environnementale.

La responsabilité de l’État
Par ailleurs, que penser d’un recours judiciaire qui ne serait pas engagé contre la Fonderie Horne, puisque celle-ci manœuvre dans la tolérance qui lui est octroyée sans franchir la ligne de l’illégalité, mais bien contre l’État?

S’il est vrai, comme l’avance le ministre québécois de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charrette, que la fonderie respecte le protocole établi en 2011 par le ministère et qu’elle serait même en avance sur son échéancier2, la question n’est-elle pas plutôt de savoir si les chiffres négociés étaient adéquats? Le ministère de l’Environnement avait alors prévu pour l’usine une norme de 200 ng/m3 d’arsenic dans l’air par année, à resserrer à 100 ng/m3 en 2021. Ceci, malgré un avis de 2004 préparé par le ministère de l’Environnement et d’autres ministères recommandant une concentration de 10 ng/m3 au bout de 18 mois et, finalement, de 3 ng/m3.

Que penser du comportement de l’État? Ne caractérise-t-il pas une faute commise, une irrationalité, une déraisonnabilité ou une insouciance grave? Ces mots, je ne les choisis pas par hasard, dans le sens qu’ils ont des conséquences juridiques. Et contrairement à une croyance répandue, l’État québécois ne bénéficie pas d’une irresponsabilité. La fameuse maxime «The king can do no wrong» est dépassée.

La Cour suprême l’a clairement rappelé lors d’un jugement rendu en 2011 contre l’industrie du tabac: «Il importe que les organismes publics soient responsables en général de leur négligence compte tenu du grand rôle qu’ils jouent dans tous les aspects de la vie en société. Soustraire les gouvernements à toute responsabilité pour leurs actes entraînerait des conséquences inacceptables3

Ce que dit la loi
Il faut savoir que, du point de vue juridique, l’État québécois a tout d’abord une responsabilité civile extracontractuelle (qui ne résulte pas d’un contrat) directe4. Avec l’adoption en 1994 du Code civil du Québec, une nouvelle dimension (l’article 1376) a été ajoutée quant à l’assujettissement de l’État au droit commun de la responsabilité civile. Pour tout recours dirigé contre le gouvernement, le droit québécois assimile purement et simplement ce dernier à une personne physique «majeure et capable».

En revanche, l’État québécois peut également répondre de la faute de son «préposé» en vertu des articles 1463 et suivants du Code civil du Québec5. Avec ces articles, le législateur cherche à écarter la possibilité pour l’État de se défendre en arguant que son «préposé» aurait agi en dehors de l’exercice de ses fonctions et que, pour ce motif, l’État n’aurait pas à répondre de sa faute.

Toutefois, la chose est subtile. En effet, le niveau de responsabilité de l’État québécois dépend de la nature de la décision prise. Il convient de distinguer entre les décisions relevant du «politique» et celles relevant de «l’opérationnel»6. L’acte politique échappe la plupart du temps à la sanction des tribunaux et conduit à une immunité (sauf s’il y a mauvaise foi, irrationalité ou insouciance grave). Par contre, l’acte de gestion peut donner lieu à une action en responsabilité s’il a été accompli fautivement (une faute simple) et que cette faute a causé un dommage.

L’État en faute?
À quelle catégorie d’acte appartiennent les chiffres négociés par le gouvernement en 2011? À ce sujet, la loi nous dit qu’il est «(…) illusoire de vouloir établir un critère absolu qui donnerait rapidement et infailliblement une réponse à l’égard de toute décision parmi la gamme infinie de celles que peuvent prendre les acteurs gouvernementaux7.» L’appréciation se fait de manière contextuelle en tenant compte des caractéristiques des pouvoirs que la loi confère ainsi que des devoirs qu’elle impose à l’officier public chargé de l’appliquer8.

Pour ma part, la décision gouvernementale relève davantage de l’opérationnel que du politique, quoique… Néanmoins, quelle que soit la nature de cet acte, on constate que l’on est proche d’une mise en cause possible de la responsabilité de l’État québécois dans ce dossier. Compte tenu des conséquences graves de l’arsenic sur la santé et du niveau de contaminants admis – sans oublier le manque de fermeté du gouvernement à l’égard de ce problème de pollution –, les hypothèses exceptionnelles de faute mettant au rancart l’immunité, dans le cas des décisions politiques, semblent vérifiées. L’actualité le démontre: la société civile dans toute sa diversité de courants, d’organisations et de mouvements d’opinion n’hésite plus, en matière de changement climatique, à traîner les États et les villes devant les tribunaux. La justice climatique prend corps9!

J’ajoute que la Loi sur la qualité de l’environnement et son chapitre III sur le droit à la qualité de l’environnement et à la sauvegarde des espèces vivantes méritent d’être évoqués ici. Les mots utilisés dans son libellé sont forts de sens: «Toute personne a droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent.» Les articles 19.1 et suivants permettent l’exercice d’un recours en injonction devant la Cour supérieure pour empêcher l’acte. Cependant, il a été observé que ces articles sont difficiles à invoquer en pratique. De plus, le ministère de l’Environnement a autorisé la Fonderie Horne à déroger à la loi.

Faire différemment et mieux
Bref, le cas de la Fonderie Horne démontre que la logique économique imprègne encore aujourd’hui énormément les décisions politiques. À ce propos, que dire du fait qu’un représentant du ministère de l’Économie a été impliqué dans l’étude de biosurveillance sur les enfants du quartier Notre-Dame à Rouyn-Noranda10?

Si l’on admet que la solution ne passe pas par une fermeture de l’usine, il est étonnant de voir que si peu de ressources lui sont proposées pour l’aider à baisser son taux d’émission d’arsenic. Surtout, pourquoi lui avoir initialement accordé un tel droit de polluer, qui plus est, sur un fondement juridique aussi incertain?

L’avenir de la bonne santé des citoyens ne justifie-t-il pas plus d’ambition de la part de l’État québécois? Sa vision ici est malheureusement à courte vue et montre un manque criant de volonté de porter de manière crédible le dossier de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) en lien avec la pollution. En revanche, l’État québécois n’est pas l’unique fautif dans cette affaire. La Fonderie Horne doit mettre en place des moyens pour réduire la pollution aux contaminants qu’elle occasionne. L’absence de technologie adaptée pour ce faire n’est pas un argument. Si cette technologie n’existe pas, il suffit d’innover et de l’inventer. Là est le défi de la RSE après tout: faire différemment et faire mieux.

1 «Les recommandations de la Direction de santé publique pour les gens demeurant dans le quartier Notre-Dame à Rouyn-Noranda, à proximité de la Fonderie, sont d’ailleurs de ne pas ouvrir les fenêtres en période de grands vents. Il est aussi suggéré de ne pas épousseter ou de ne pas passer la balayeuse ou le balai en présence des enfants.» (Piel Côté, «Arsenic dans l’air: la Fonderie Horne continuera de dépasser les normes provinciales», Radio-Canada, 14 mars 2019.)

2 Piel Côté, «Arsenic dans l’air: la Fonderie Horne continuera de dépasser les normes provinciales», Radio-Canada, 14 mars 2019.

3 R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, par. 76, [2011] A.C.S. no 42.

4 «Responsabilité extracontractuelle de l’État», dans JurisClasseur Québec – Droit administratif, fascicule 20, Montréal, LexisNexis, aux par. 51 et s.

5 «Responsabilité extracontractuelle de l’État», dans JurisClasseur Québec – Droit administratif, fascicule 20, Montréal, LexisNexis, aux par. 61 et s.

6 «Responsabilité extracontractuelle de l’État», dans JurisClasseur Québec – Droit administratif, fascicule 20, Montréal, LexisNexis, au par. 71.

7 R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, par. 90, [2011] A.C.S. no 42.

8 «Responsabilité extracontractuelle de l’État», dans JurisClasseur Québec – Droit administratif, fascicule 20, Montréal, LexisNexis, au par. 76.

9 Les fondements de la lutte contre le changement climatique devant la justice (poursuites judiciaires qui se multiplient depuis une année) sont multiples (Myanna Dellinger, «See You in Court : Around the World in Eight Climate Change Lawsuits», Wm. & Mary Envtl. L. & Pol’y Rev., 2018, vol. 42, p. 525), mais le préjudice climatique et le lien de causalité sont peu évidents (Mireille Bacache, «Changement climatique, responsabilité civile et incertitude», Énergie – environnement – infrastructure, 2018, p. 56).

10 Audrey Folliot, «Intervention du ministère de l’Économie dans l’étude de biosurveillance», Énergie, 9 mai 2019.

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  1. Publié le 30 juin 2019 | Par Ivan Tchotourian

    Je partage votre avis sur les problèmes de la zone tampon. Elle n'est pas idéale. Mais, dans l'immédiat, je pose la question : quelle autre solution ? Il en faut une eu égard aux conséquences sanitaires et sociales. Pour la photo, je prends bonne note de votre remarque et je m'en ferais le relais... Au plaisir d'échanger, Ivan
  2. Publié le 30 juin 2019 | Par Charlot

    Tres intéressant (articles 1 et 2). La zone tampon pourrait être une avenue pour la contamination du sol, mais il faudrait déplacer des centaines de familles pour les reloger où? Il y a déjà un manque de logement à Rouyn-Noranda.
    Un bémol, la photo est sensationnaliste et ne représente pas la réalité de la fonderie Horne (du moins, en 2019).

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