Impressions d'architecture
Publié le 4 novembre 2014 | Par Martin Dubois
Enseignes: le néon en voie d’extinction
J’ignore si c’est par nostalgie ou par souci patrimonial, mais je suis triste de voir que si peu d’enseignes lumineuses au néon des années 40 à 60 subsistent dans le paysage urbain de la ville de Québec qui en comptait autrefois quelques centaines. Comme partout en Amérique du Nord, ces enseignes clinquantes et franchement tape-à-l’œil, souvent kitsch, ont proliféré après la Seconde Guerre mondiale. Avec leurs couleurs voyantes et leur design tapageur, elles étaient à leur meilleur durant la nuit, notamment grâce à leur effet clignotant ou dansant. Ces nombreuses enseignes ont disparu une à une, victimes de la fermeture de commerces, des effets de mode ou de la réglementation municipale sur l’affichage, si bien qu’il n’en reste qu’une poignée aujourd’hui qui sont dans un état inquiétant. Devrait-on protéger et mettre en valeur ces dernières enseignes de l’âge d’or du néon?
Une invention lumineuse
Commercialisées à partir de 1911 en France à la suite du brevet déposé par Claude Georges, les enseignes au néon sont faites de tubes de verre fluorescents. En plus du gaz néon, on trouve de l’argon, du mercure et du phosphore dans ces tubes pour créer, à partir d’un courant électrique, une gamme de couleurs et d’intensités variées. Façonnés en forme de lettres attachées les unes aux autres, ces tubes peuvent former un mot désignant un lieu (café, restaurant, casino) ou une forme associée à une image de marque. Ces tubes soufflés ont été rapidement industrialisés aux États-Unis et ont pris la forme de flamants roses, de verres de cocktail, de cowboys avec lasso ou de danseuses exotiques. Grâce à cette nouvelle technique, la communication graphique est devenue lumineuse. Les néons clignotants permettaient de faire danser les lettres ou les objets, créant des animations dans la nuit. Des plus simples aux plus compliqués, tous les motifs étaient possibles comme l’ont démontré certaines villes, telles Las Vegas ou Tokyo, qui ont forgé leur image de marque à partir du néon.
Dans notre culture, les enseignes lumineuses sont très associées au rêve américain, aux road trips et au divertissement. D’ailleurs, le néon est surtout lié à des commerces typiquement nord-américains dans les domaines de l’amusement, des loisirs nocturnes et de l’automobile: théâtres, cinémas et ciné-parcs, restaurants rapides, bars, motels, stations-service… Dans les villes asiatiques, le néon est omniprésent dans toutes les sphères commerciales. C’est pourquoi tous les chinatowns du monde foisonnent de ce genre d’enseignes. Certaines architectures sont aussi plus propices à ce type d’affichage. Pensons notamment aux édifices de style Art déco qui intègrent à merveille les tubes au néon, que ce soit les bâtiments de couleur pastel de Miami Beach ou les dinners newyorkais en inox aux lignes streamline.
Une disparition progressive
Le propre des commerces étant de se renouveler, de se mettre au goût du jour et d’innover, il reste bien peu de place à la préservation d’enseignes archaïques, témoins d’un passé révolu. De plus, les commerces changent rapidement et rares sont ceux qui durent plus de 60 ans… Et la réglementation municipale en matière d’affichage rend difficilement conciliable la conservation de ce type d’enseignes, souvent trop grandes et trop criardes pour cadrer dans des règlements visant l’harmonie, l’intégration ou l’uniformité. Les rares enseignes de plus de 50 ans qui ont survécu le doivent à certains droits acquis ou au hasard, car habituellement, quand un commerce ferme, son remplaçant doit se conformer à la réglementation en vigueur. Alors, exit les anciennes enseignes trop volumineuses et tape-à-l’œil qui animaient autrefois certaines artères commerciales de Québec.
Les enseignes au néon, par leur grand nombre, ont souvent été considérées comme de la pollution visuelle. La consultation de photographies d’archives de rues commerciales démontre en effet combien ces enseignes étaient présentes et bigarrées dans le paysage urbain. C’est à cause de leur rareté qu’on porte aujourd’hui un plus grand intérêt à ces reliques d’un passé qui glorifiait l’utilisation excessive des néons.
En parcourant les routes du Québec, on peut encore découvrir çà et là quelques merveilleuses enseignes de motels au design exubérant. D’ailleurs, dans son livre publié en 2006 et intitulé Motel Univers1, l’auteure Olga Duhamel-Noyer relevait bon nombre de ces enseignes au néon toutes plus délirantes les unes que les autres, bien que déjà difficiles à trouver. Je serais curieux de voir combien de celles qui y figuraient existent toujours moins d’une décennie plus tard. Ces créations scintillantes étaient imaginées et fabriquées par des compagnies qui démontraient ainsi leur savoir-faire et qui n’avait pas peur du ridicule. Bien sûr, le néon est encore utilisé de nos jours dans l’affichage de certaines catégories de commerces, comme les stations-service et les établissements de restauration rapide, mais sans le design propre aux années 50 et 60.
Des exemples de protection
Un débat concernant la conservation d’une enseigne au néon a fait beaucoup de bruit ces dernières années à Montréal: l’enseigne géante Farine Five Roses, un emblème du patrimoine industriel montréalais. L’histoire débute en 2006 alors que l’enseigne située sur le toit d’une minoterie depuis 1948 s’éteint à la suite de la vente du fabricant de farine. C’est alors la consternation dans le milieu patrimonial: l’organisme Héritage Montréal signale sur toutes les tribunes l’importance de l’enseigne dans la culture populaire et lance un appel à la mobilisation. La stratégie fonctionne. Quelques jours plus tard, les nouveaux propriétaires reconnaissent la valeur historique de leur enseigne et la rallument. Depuis, l’entreprise a investi de grandes sommes pour rénover le néon et s’assurer de son entretien et de son bon fonctionnement. Le débat, qui a opposé le beau et le laid, le patrimoine et une source de pollution lumineuse, a permis de sauvegarder un symbole de la métropole.
Ailleurs, des musées font l’apologie de ces enseignes lumineuses d’une autre époque. Le Neon Museum de Las Vegas restaure et présente ces joyaux électriques de casinos démolis. Juste à côté, les enseignes rouillées en attente de mise en valeur sont entreposées en plein air dans un cimetière baptisé The Boneyard qui offre des visites guidées. Cette passion pour les vielles enseignes au néon existe aussi depuis 2005 à Berlin au Buchstabenmuseum (musée des lettres) où des enseignes célèbres du monde entier sont restaurées et présentées au public. À Varsovie, en Pologne, le Neon Muzeum répertorie et trace l’historique des enseignes au néon de l’époque de la Guerre froide. On y trouve des exemples uniques du point de vue artistique.
Bref, bien que les autorités municipales de Québec fassent preuve d’une certaine sensibilité par rapport aux rares enseignes lumineuses au néon qui existent encore afin d’en conserver quelques exemplaires, je parie que celles-ci disparaîtront totalement du paysage d’ici peu dans l’indifférence la plus totale. On préfère aujourd’hui les éclairages architecturaux et l’illumination des immeubles au DEL de toutes les couleurs, pas toujours très élégante d’ailleurs, pour animer la ville le soir venu. Il ne restera que quelques nostalgiques comme moi pour regretter les belles vieilles enseignes au néon.
1 Olga Duhamel-Noyer. Motel Univers: bienvenue au Québec. Montréal, Héliothrope, 2006. ↩
Publié le 12 avril 2016 | Par Nasser
Le tube de néon sans mercure est recyclable; les tubes de néon éclairent sur 360°.
Il faut des années pour maîtriser ce savoir-faire pour façonner ces tubes de verre artisanal.
Plus le diamètre de tube est petit, plus la technique est délicate, mais c'est si beau une fois installé.
Les DEL ne sont pas recyclables malgré leur basse consommation; l'éclairage est différent et diffuse bien souvent en angle de 120°. Celles-ci contiennent des composants toxiques pour l'environnement.
Les dépannages sont fréquents et coûteux car, bien souvent, c'est du jetable.
Très bel article en revanche.
Bonne soirée à tous et à toutes.
Publié le 12 décembre 2014 | Par Benoit Bergeron
J'ai aimé votre article. Mon père était fabricant d'enseignes. Enfant, il m'est arrivé de monter sur la toiture pendant qu'il réparait le Cinéma de Paris. Je me souviens d'une tempête de neige. L'enseigne Provisions, on l'avait également réparée à la fin des années 90. Il avait alors dû souffler le verre... Il me disait que dans les années 60, il gagnait sa vie juste dans le quartier Saint-Roch, à réparer ces enseignes au néon. Je me souviens de la tabagie Jacques Cartier et du cinéma Pigalle sur la rue Saint-Joseph. Du cinéma Charest aussi. Je l'avais aidé à changer les ampoules lumineuses. Je crois qu'il aurait aimé votre article.
Publié le 28 novembre 2014 | Par Raynald Drolet
Une dérogation aux règlements sur l'affichage a été nécessaire.
Publié le 26 novembre 2014 | Par François Crépeault
Publié le 11 novembre 2014 | Par Sylvain Pageau
Publié le 9 novembre 2014 | Par gilles premont
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