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Les droits de l’homme et le Parlement européen

Depuis de nombreuses années, l’Union européenne prend le projet de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) au sérieux. Parfois accusées de complexité, d’immobilisme ou de partialité, les instances européennes font avancer le dossier de la RSE, un pas après l’autre. Comment oublier ce fameux Livre vert1 de la Commission européenne, publié dès 2001, qui a lancé un large débat sur la façon dont l’Union européenne (UE) pourrait promouvoir la RSE et qui a fait de la Commission un leader dans l’accomplissement de cette mission?

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Dans ce contexte, il faut mettre en lumière le rôle du colégislateur de l’UE qu’est le Parlement européen. Plusieurs des résolutions adoptées par ce parlement, bien que non contraignantes, démontrent l’intérêt des élus à pousser de l’avant un comportement responsable des entreprises européennes. La dernière résolution en date (25 octobre 2016) malmène le silence ou, plus simplement,  la timidité de certains États lorsqu’il s’agit de faire avancer le droit en matière de RSE, notamment à l’égard des droits de l’homme. Il nous a paru intéressant de jeter un éclairage sur cette dernière résolution qui pourrait inspirer le Canada à en faire encore plus dans le domaine de la RSE : pourrait-on d’ailleurs le lui reprocher?

Un parlement préoccupé par la RSE
Le Parlement européen s’est fait entendre à diverses reprises sur la RSE: le 13 mai 20032, le 13 mars 20073, le 8 juin 20114 et par 2 fois le 6 février 20135. À chaque occasion, il a livré un message clair: «Les entreprises doivent être associées à la résolution des problèmes sociaux exacerbés par la crise économique». Ces mots prennent une résonance particulière dans le contexte mondial chaotique qui est actuellement le nôtre. Dans les 2 résolutions de 2013, le Parlement a d’ailleurs insisté sur le fait que, de nos jours, les entreprises pouvaient être viables seulement dans le cadre d’une économie durable et qu’il n’y avait d’autres solutions que l’adaptation à un futur à faible intensité de carbone.

Le Parlement européen va souvent plus loin. Il tisse régulièrement des liens entre RSE et actualités touchant de près ou de loin le comportement des entreprises: crise économico-financière, scandales de gouvernance d’entreprise, évasion fiscale, violation des droits de l’homme dans les chaînes d’approvisionnement… Il nous a utilement rappelé que la gouvernance des entreprises était un élément clé de leur RSE et que la politique fiscale des entreprises devait être considérée comme faisant partie intégrante de la RSE (un comportement dit socialement responsable ne devrait pas laisser de place aux stratégies d’évasion fiscale, ni à l’exploitation des paradis fiscaux)6. Il a aussi statué que la responsabilité sociale d’une entreprise devrait être évaluée au vu du comportement des entreprises participant à sa chaîne d’approvisionnement et de ses éventuels sous-traitants7.

Depuis 2007, le Parlement européen défend une position offensive sur la RSE au point de vue juridique en ne la laissant pas aux mains des entreprises. Il ne promeut rien de moins qu’un renforcement du droit et, parallèlement, de la responsabilité juridique des entreprises. Il a récemment réaffirmé cette position dans sa résolution sur le comportement responsable et transparent des entreprises en définissant la RSE comme une conciliation entre approche volontaire et approche obligatoire.

Une résolution progressiste
Le 25 octobre 2016, le Parlement européen a de nouveau donné de la voix en matière de RSE dans une résolution remarquée sur la responsabilité des entreprises dans les violations graves des droits de l’homme dans les pays tiers. C’est l’épineux sujet de la violation des droits de l’homme qui a fait réagir le Parlement et l’a amené à adopter à une très large majorité cette résolution (569 pour, 54 contre et 74 abstentions).

Si –encore une fois– le texte n’est pas contraignant, il témoigne d’une volonté politique d’agir en matière de RSE. Qui sont les destinataires de la résolution du 25 octobre 2016 et que leur suggère-t-on?

Les destinataires sont au nombre de 3: les États membres de l’Union européenne, les entreprises et la Commission européenne. Chacun de ces destinataires se voit suggérer un comportement qui se veut fort ambitieux. Il faut oser pour réussir!

Les États devraient:

  1. Jouer un rôle complémentaire à celui des entreprises en matière de protection des droits de l’homme.
  2. Faire respecter les droits de l’homme, notamment contre les violations commises par les entreprises locales, même lorsque ces violations sont commises dans des pays tiers.
  3. Légiférer de manière contraignante afin de remplir leur obligation de prévenir et de punir les violations des droits de l’homme et définir des règles précises énonçant que les entreprises établies sur leur territoire ou placées sous leur juridiction sont tenues de respecter les droits de l’homme dans leurs activités.
  4. Assurer aux victimes l’accès à un recours effectif.
  5. S’attaquer aux obstacles juridiques, procéduraux et pratiques empêchant les autorités chargées des poursuites d’enquêter et de poursuivre des entreprises européennes ou leurs représentants impliqués dans des crimes liés à des violations des droits de l’homme.

Les entreprises devraient:

  1. Respecter les droits de l’homme et les intégrer dans une perspective économique à long terme.
  2. Assumer leurs responsabilités morales et juridiques lorsqu’elles ont causé un tort ou contribué à le faire, et proposer une procédure de recours efficace ou participer à celle-ci.
  3. Faire preuve de la diligence requise et intégrer leurs conclusions dans les politiques et les procédures internes.

La Commission européenne devrait:

  1. Mettre en place un droit cohérent comprenant des règles régissant l’accès à la justice, à la compétence, à la reconnaissance et à l’application des décisions de justice en matière civile et commerciale, et régissant le droit applicable ainsi que l’assistance juridique dans les affaires transfrontalières impliquant des pays tiers.
  2. Établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement graves revêtant une dimension transfrontalière et concernant les violations des droits de l’homme commises par des entreprises locales dans des pays tiers.
  3. Demander que soient systématiquement incluses dans les accords de commerce et d’investissement des règles concernant la responsabilité des entreprises dans les violations des droits de l’homme, applicables au niveau national, ainsi que des références aux principes et aux lignes directrices reconnues au niveau international.

Le programme est écrit, reste donc à le mettre en œuvre dans les temps à venir!

Si les mots évoluent au fil du temps («environnement», «développement durable», «responsabilité sociale des entreprises», «croissance durable et inclusive»), la préoccupation de l’autre n’est pas nouvelle pour l’UE: les premières initiatives remontent à 1962. À l’heure où les droits de l’homme deviennent une réalité juridique pour les entreprises, le droit doit soutenir cette évolution. «La protection des droits de l’homme doit être une priorité pour les États membres et l’Union elle-même», a affirmé le Parlement européen quelques mois auparavant. Dans sa résolution du 25 octobre 2016, il reconnaît l’obligation morale et juridique des entreprises de respecter les droits de l’homme et les invite à en faire rapidement un engagement contractuel à part entière.

Le jeu politique et le lobbying des grandes entreprises au Parlement font parfois oublier à l’Europe les messages (contraignants ou non) de ses élus. Il n’en reste pas moins que ces messages sont lancés et qu’ils constituent l’ordre juridique de l’Union européenne. Reste à espérer que le Canada a reçu le message (même en partie) et que certaines pistes proposées par le Parlement européen vont trouver un écho auprès des Gouvernements fédéraux et provinciaux…

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