Impressions d'architecture
Publié le 23 septembre 2013 | Par Martin Dubois
Dessine-moi un jardin
Le jardin de Saint-Roch a 20 ans. On s’imagine mal aujourd’hui le quartier Saint-Roch de Québec sans ce parc public qui semble toujours avoir été là tellement il est aujourd’hui bien intégré à la trame urbaine et bordé d’immeubles sur tout son pourtour. Pourtant, lorsque ce parc-jardin a été conçu et aménagé en plein milieu d’un no man’s land en 1993, bien peu de personnes pouvaient prévoir qu’il serait un véritable catalyseur pour la revitalisation de ce quartier mal famé que l’on surnommait alors «Plywood City». N’eut été de la vision et de l’audace du maire de l’époque, Jean-Paul L’Allier, probablement que la destinée de ce quartier serait tout autre. Comme quoi des gestes urbains forts et bien pensés peuvent souvent rapporter gros.
D’enjeu électoral à revitalisation urbaine
La campagne électorale municipale de 1989, où s’affrontaient à la mairie deux nouveaux venus, Jean-François Bertrand de l’équipe du maire sortant Jean Pelletier, et Jean-Paul L’Allier, chef du Rassemblement populaire, est houleuse. L’un des thèmes de la campagne est l’avenir du quartier Saint-Roch qui, autrefois centre-ville prospère avec son milieu des affaires et ses grands magasins de la rue Saint-Joseph, est devenu l’ombre de lui-même avec le déclin de ses activités commerciales et l’exode de ses résidents vers la banlieue. Des démolitions massives pour la construction d’autoroutes menant au centre-ville, la décrépitude de son bâti et la montée de la criminalité liée à la prostitution et à la drogue donnent mauvaise mine et très mauvaise réputation à ce quartier devenu plus repoussant qu’attrayant.
D’un côté, l’administration du maire Pelletier appuie un promoteur qui propose le projet de la Grande Place comprenant deux tours de bureaux de 30 étages au-dessus d’une galerie marchande et d’un stationnement étagé pour faire concurrence aux centres commerciaux des villes de banlieue. De son côté, l’équipe de Jean-Paul L’Allier propose plutôt de panser la plaie urbaine – laissée par la démolition de plusieurs pâtés de maisons pour faire place à l’autoroute de la Falaise qui n’a finalement jamais été construite – en aménageant une place publique au pied de la côte d’Abraham. Il fait le pari que l’ère des mégaprojets immobiliers est révolue au centre-ville, qu’il faut redonner la place aux piétons et revitaliser ce qui fait l’attrait d’un centre-ville vivant, c’est-à-dire une mixité de fonctions et d’usagers qui animent l’espace urbain à toute heure. Selon cette vision, c’est à la Ville d’investir dans des espaces publics de qualité et à échelle humaine, ce qui attirera ensuite des investissements privés.
Après avoir gagné ses élections, Jean-Paul L’Allier et son équipe peaufinent leur projet pour Saint-Roch et font évoluer leur idée de place publique. Ce qui était au départ une place dure en béton devient peu à peu un véritable jardin doté d’espaces verts, d’arbres et de fleurs ainsi que d’une fontaine en cascade alimentant un bassin central. Deux principales sources inspireront l’équipe L’Allier.
D’abord l’urbaniste torontois Kenneth Greenberg1 qui suggère que la Ville participe plus activement au développement du quartier. Au lieu d’attendre que les investisseurs et les promoteurs se manifestent et imposent leur vision, la Ville doit poser un grand geste urbain en créant un attrait esthétique dans cet environnement peu alléchant.
Ensuite, le mouvement populaire de l’Îlot Fleurie, tenu par une poignée de citoyens engagés avec à leur tête Louis Fortier, a aussi orienté le projet. Ce groupe avait aménagé de façon spontanée un havre de verdure planté de fleurs et de sculptures sur ce site vacant pour enjoliver le quartier qui en avait bien besoin. Tout cela a conduit, après plusieurs consultations populaires auprès des habitants du quartier, au jardin de Saint-Roch qui a été construit au coût de 6 millions de dollars.
Ce pari risqué, créer un somptueux parc dans un tel quartier, a été relevé. Malgré les détracteurs qui prédisaient que les fleurs seraient toutes arrachées et que le mobilier serait saccagé, il n’en fut rien et on connaît la suite: plusieurs institutions et compagnies sont venues s’installer autour du parc, soit dans des bâtiments rénovés, soit dans de nouvelles constructions. Un grand mouvement de revitalisation s’est enclenché avec la venue d’une cité éducative (ENAP, Université du Québec, École des arts visuels de l’Université Laval, INRS), de regroupements d’artistes et de lieux culturels (Coopérative Méduse, ateliers et logements pour artistes, théâtre de la Bordée, etc.), d’entreprises liées aux technologies de l’information (Beenox, Ubisoft, Taleo, Frima, CGI, etc.) et de nombreux nouveaux logements. En 2003, l’espace public du jardin de Saint-Roch s’est vu allongé par la nouvelle place de l’Université-du-Québec dotée d’une scène extérieure.
Le nouvo Saint-Roch!
Le jardin de Saint-Roch a été un véritable moteur de développement urbain. C’est la preuve qu’un tel aménagement, qui ne rapporte aucune taxe, peut devenir le magnifique déclencheur de toute une série d’actions pour redonner vie à un lieu. L’administration municipale de l’époque ne s’est toutefois pas contentée d’aménager un jardin. Elle a agi sur plusieurs fronts à la fois pour freiner l’exode de la population, revitaliser le commerce, réanimer la vie de quartier et attirer de nouveaux résidents et travailleurs. Des programmes de subventions et des mesures incitatives ont été mises en place pour favoriser le rénovation d’édifices désaffectés et la construction neuve, notamment pour attirer des entreprises ou des artistes.
Je terminais mes études en architecture à l’époque de l’inauguration du jardin Saint-Roch et j’avais bien hâte de voir comment la revitalisation de ce quartier allait évoluer. Je me souviens que cette même année, dans un exercice scolaire de design urbain, j’avais avec des collègues proposé de supprimer le toit du Mail centre-ville (aussi appelé Mail Saint-Roch, dont je vous reparlerai probablement dans un autre billet) recouvrant la rue Saint-Joseph.
Beaucoup de gens, dont certains de l’administration municipale à qui nous avions fait part de nos conclusions, nous avaient dit que c’était une bonne idée, mais que c’était impossible à réaliser. Je m’étais alors résigné à ne jamais voir ce projet se concrétiser de mon vivant… Pourtant, 7 ans plus tard, la première partie du toit de la plus longue rue couverte en Amérique était détruite, suivie en 2007 de la deuxième phase de travaux. Bien que le «nouvo» quartier Saint-Roch ne soit pas encore tout à fait achevé, il a retrouvé ses lettres de noblesse et a tout à fait changé d’aspect dans les deux dernières décennies, ce qui est très court dans la vie d’une ville. Preuve que l’audace, la vision et les investissements bien ciblés peuvent venir à bout des plus grandes problématiques urbaines. Bon anniversaire au jardin de Saint-Roch!
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