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Photo de Martin Dubois

Le Centre Durocher: chronique d’une mort annoncée

Les jours du Centre Durocher, situé au beau milieu du quartier Saint-Sauveur à Québec, semblent comptés. Comme je l’avais déjà dénoncé, en 2014, dans mon billet sur les 10 sites patrimoniaux menacés à Québec, un immeuble de 69 logements sociaux devrait prendre la place de ce centre de loisirs qui est au cœur de la vie sociale des citoyens depuis plus d’un demi-siècle. Comprenant à l’origine une vaste salle polyvalente sur 2 étages, 14 allées de quilles, un casse-croûte et divers locaux destinés à des activités communautaires, le Centre a été fermé en juin 2014. Ses activités ont alors été relocalisées au Centre récréatif Monseigneur-Bouffard.

Le Centre Durocher longe le parc du même nom. Photo Matin Dubois

Le Centre Durocher longe le parc du même nom. Photo Matin Dubois

Le Centre Durocher, qui partage son îlot urbain avec un parc public, a pourtant encore beaucoup à offrir, comme en témoigne le projet de maison de la culture développé par le Comité de citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur (CCCQSS) dans l’espoir de le sauver. Leur initiative serait tout indiquée pour ce bâtiment réhabilité. Elle permettrait de pallier les besoins criants de la population locale en matière de culture avec une succursale de la Bibliothèque de Québec, une salle de diffusion artistique ainsi que des locaux mis à la disposition d’artistes et d’organismes culturels ou servant à l’intégration des immigrants. L’administration municipale ne voit toutefois pas l’avenir du Centre du même œil et s’entête à donner l’aval à sa démolition pour y construire un nouvel immeuble résidentiel.

Le bon projet au bon endroit
Comprenons-nous bien, je ne suis pas contre le logement social et il est vrai que la demande est très grande pour ce type d’habitat collectif à loyer modique dans ce quartier de la Basse-Ville.

L'entrée du Centre Durocher. Photo Martin Dubois

L’entrée du Centre Durocher. Photo Martin Dubois

De plus, les terrains à construire y sont rares. Il y a toutefois un stationnement public à proximité, au coin des rues Saint-Vallier Ouest et Carillon, qui, légèrement plus grand que le site du Centre Durocher, ne demande qu’à recevoir une construction. Avec les politiques de densification urbaine et d’élimination des îlots de chaleur que prône la Ville de Québec, on se demande pourquoi cette mer d’asphalte à ciel ouvert n’a pas été pressentie pour y ériger le nouvel immeuble résidentiel. Il y aurait sûrement moyen d’y aménager autant, sinon plus, de logements tout en rendant disponibles plusieurs espaces de stationnement souterrain pour la clientèle des commerces de la rue Saint-Vallier.

Autre avantage, l’immeuble placé à cet endroit serait moins dommageable pour le parc Durocher. En effet, en plus de privatiser une partie d’un îlot urbain qui, jusqu’à aujourd’hui, a toujours eu une vocation publique –ce site était occupé par l’ancien Marché Saint-Pierre (1888-1945) avant la construction du centre de loisirs–, le nouveau bâtiment, plus haut que le Centre Durocher et implanté au sud du parc, créera des ombrages importants sur l’espace vert. Le projet de maison de la culture, quant à lui, consoliderait la vocation publique du site, et ses principales fonctions (bibliothèque, café, CPE) pourraient profiter de la proximité du parc et participer à son animation urbaine. Pour moi, il est évident qu’une maison de la culture aménagée dans le bâtiment existant de 3 étages serait plus à sa place qu’un nouvel immeuble de 5 étages.

La perte d’un bâtiment intéressant
La démolition du Centre Durocher serait d’autant plus déplorable qu’elle signifie la perte d’un bâtiment patrimonial. Non pas que l’édifice soit une œuvre architecturale majeure, mais plutôt un morceau du patrimoine populaire du quartier. Avec cette démolition, c’est toute une part de l’histoire sociale de Saint-Sauveur qui disparaîtrait. Il serait également dommage que le vœu premier des pères Oblats, qui ont dirigé le centre des loisirs paroissial jusqu’en 1979, ne soit pas respecté. En effet, lorsque les religieux ont cédé leur immeuble à la Corporation Centre Durocher cette année-là, l’une des conditions qui figurait au contrat était l’engagement de maintenir et d’administrer dans les lieux cédés un centre communautaire ou un centre de loisirs. Au final, cette clause ne sera manifestement pas respectée par la Corporation.

D’un point de vue architectural, le Centre Durocher possède tout de même quelques qualités qu’il convient de souligner. Conçu en 1950 par l’architecte et résidant du quartier Paul-E. Mathieu, il arbore une architecture moderne d’inspiration Art déco, représentative de l’époque d’après-guerre, avec ses murs revêtus de brique jaune. La tour d’entrée octogonale, qui forme l’angle du bâtiment, est particulièrement intéressante. Les grandes baies de l’entrée et le toit en pyramide recouvert de cuivre rappellent l’importante présence religieuse de l’époque. Trois bas-reliefs illustrant les principales activités pratiquées au centre (quilles, badminton, billard) côtoient des croix et des fleurs de lys incrustées dans les caissons de cette tour. La base du bâtiment en pierre et ses nombreuses fenêtres, disposées selon les besoins en éclairage à l’intérieur, témoignent d’une architecture à cheval entre la tradition et la modernité.

Pour une maison de la culture
En 1947, lorsque la Ville de Québec avait cédé le terrain actuel aux Oblats pour la construction du Centre Durocher, il était prévu qu’on y établisse une bibliothèque à l’usage du public. Bien que cela ne se soit jamais réalisé, l’idée refait surface après près de 70 ans grâce au projet de maison de la culture imaginé par le CCCQSS. En plus de prévoir une succursale de la Bibliothèque de Québec, le projet comprendrait un véritable centre de diffusion culturelle avec une salle multifonctionnelle, qui pourrait autant servir à la présentation de spectacles que d’expositions, ainsi que plusieurs salles polyvalentes qui accueilleraient des ateliers de création, des cours d’art ou des activités de francisation pour les nouveaux arrivants. Le centre de la petite enfance, qui était jusqu’à récemment locataire des lieux, s’intégrerait bien à ce milieu bouillonnant.

Comme contre-argument à l’établissement d’une maison de la culture ouverte à tous dans le Centre Durocher, nous avons souvent entendu que sa bibliothèque serait trop près de la Bibliothèque Gabrielle-Roy, située dans le quartier Saint-Roch. En fait, elle serait environ à même distance de cette dernière que le sont les succursales situées dans Saint-Jean-Baptiste, dans le Vieux-Québec (Maison de la littérature) et dans le Vieux-Limoilou. La clientèle du secteur Saint-Sauveur, en grande partie défavorisée économiquement, serait la première gagnante de cette proximité, ne serait-ce que pour donner un meilleur accès à la culture aux familles du quartier.

Le Centre Durocher en 1962. Photo C. A. Charron Source Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Le Centre Durocher en 1962. Photo C. A. Charron Source Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Alors, pourquoi démolir un bâtiment qui peut encore servir? Bien que le Centre Durocher soit désuet et aurait besoin d’être rénové et réaménagé de fond en comble, la bâtisse est tout à fait adaptée pour une nouvelle vocation. À l’heure où la Ville veut doter ses quartiers de bibliothèques du 21e siècle, le Centre Durocher est un endroit tout indiqué.

À l’occasion de la récente inauguration de la Maison de la littérature, en octobre dernier, le maire Régis Labeaume assurait que ce type de projet était loin d’être le dernier. « Vous allez voir ça, à Québec, dans les prochaines années, on veut multiplier les lieux de rencontre dans les milieux urbains », a-t-il lancé. Le projet de maison de la culture de Saint-Sauveur est donc dans l’air du temps et il est minuit moins une pour l’implanter là où il doit être, c’est-à-dire au Centre Durocher.

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  1. Publié le 1 décembre 2015 | Par Catherine Comtois

    Bonjour,

    Vous dressez un beau portrait de ce centre dont je ne connaissais pas l'histoire. Je l'ai toutefois fréquenté, ayant habité le quartier Saint-Sauveur pendant près de 7 ans. J'y prenais des cours de taï-chi. J'ai toujours un pincement au coeur lorsque un «morceau du patrimoine», qui de plus a été au coeur de la vie d'un quartier, est sacrifié pour des considérations… diraient-on économiques? Ce centre était un liant entre le sud et le nord de la rue Saint-Vallier. Un lieu privilégié de rencontres, à dimension humaine. Je n'ai pas suivi tout le dossier, mais j'espère qu'il reste encore un peu d'espoir pour que nos dirigeants changent «leur chapeau de bord». Enfin, votre questionnement sur la non-utilisation du stationnement pour ce projet de logements sociaux est très pertinent. À Québec, il y a encore trop de vastes espaces déserts d'asphalte, et encore trop de lieux qui sont sacrifiés pour en développer davantage.

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