Pensées de design
Publié le 20 décembre 2014 | Par Caroline Gagnon
Ce cadeau que l’on souhaite offrir ou recevoir
Depuis quelques années, on voit apparaître, en novembre et en décembre, de nombreux marchés de Noël issus de l’entrepreneuriat en design. Le souk @ sat à Montréal a été parmi les précurseurs. Il ne s’agit donc pas du Salon des métiers d’art, mais de marchés ayant une perspective davantage centrée sur les pratiques du design au Québec sans pour autant rejeter les approches artisanales. Depuis, ces marchés se sont déclinés en petites ou en grandes foires de design. À Montréal, on pense à Haut + Fort, Puces POP, Espace Projet et, à Québec, au Salon Nouveau Genre. Certains ont également lieu au printemps.
On y trouve généralement de petites productions qui sont le reflet de la culture du design émergente: des tapis, des planches à découper, des vases, des verres, des sous-plats, des sacs, des jouets sexuels (eh oui !)… Plusieurs petites entreprises qui y participent tirent leur épingle du jeu depuis plusieurs années déjà et certaines sont en voie de se propulser plus encore. Les produits qu’on y trouve sont généralement issus d’une petite série et s’inscrivent dans l’économie locale. Ils ont comme qualités d’être authentiques, pour la plupart bien conçus et bien fabriqués et de provenir de créateurs d’ici.
Le designer: un entremetteur
Les marchés sont une occasion unique pour les designers d’entrer en relation directe avec les consommateurs. Ils sont des lieux d’échanges et de belles rencontres. En cela, ils sont le reflet de ce que Noël a de plus intéressant à mes yeux, c’est-à-dire un moment de mise en relation et de partage qui passe, entre autres choses, par l’art d’offrir, de faire plaisir et de donner. Dans ce contexte des marchés de design, les cadeaux qu’on choisit soigneusement acquièrent une importance encore plus significative, car ils lient le designer à la relation qui s’établit entre la personne qui offre et celle qui reçoit. Le designer devient donc un entremetteur.
En même temps, on associe aussi cette période de l’année, avec tous ces achats de cadeaux, aux symptômes d’une société de surconsommation et à un mercantilisme outrancier. Pourtant, ce geste d’offrir un cadeau, de le choisir avec soin dans une relation presque directe avec le designer, révèle un rôle social important de ce rituel que sont les Fêtes. Je me permets de vous présenter 2 citations qui illustrent mon propos beaucoup mieux que je ne saurais le faire. L’une est de Harry Liebersohn, professeur au Département d’histoire de l’Université de l’Illinois, et l’autre de l’anthropologue français Claude Lévi-Strauss.
«Every one of us makes a choice about how to give. The right start is to think about the recipient. Maybe the proud new parents need cash, not a silver spoon. An unexpected phone call, visit or letter –these too are gifts. Used well, gifts can heal an old wound, make a new connection, deepen an existing one, or reaffirm a romance. When we get it right, the gift furthers endless rounds of giving and receiving. Yes, our holiday gift giving is intertwined with commerce, but gifts have always involved mixed motives. By giving well we recognize the humanity of those around us. Their thanks are the first and best return». –Harry Liebersohn
«En s’obligeant, à certaines périodes de l’année, à recevoir d’autrui des biens dont la valeur est souvent symbolique, les membres du groupe social rendent manifeste à leurs yeux l’essence même de la vie collective qui consiste, comme l’échange des cadeaux, dans une interdépendance librement consentie. N’ironisons donc pas sur cette grande foire annuelle où les fleurs, les bonbons, les cravates et les cartons illustrés ne font guère que changer de main; car, à cette occasion et par ces humbles moyens, la société tout entière prend conscience de sa nature: la mutualité». -Claude Lévi-Strauss
Ainsi, les cadeaux que nous recevons et offrons s’inscrivent dans une reconnaissance de l’autre et de son importance dans notre vie et dans la société. Les Fêtes sont un moment où, souvent par des objets, on souhaite le bonheur de l’autre. Dans une certaine mesure, le designer devrait participer à la qualité de ces échanges par la qualité des produits qu’il conçoit. L’objet à offrir ou à recevoir devrait susciter du plaisir et tisser un lien affectif et respectueux entre les personnes. En 1994, Tony Fry, un théoricien du design, a écrit dans un de ses ouvrages sur l’écologie que le design devrait reposer sur la notion du «care», du «prendre soin de» qui se matérialise par l’attention portée à l’objet et à sa fabrication ainsi que par le souci de qualité envers l’usager afin que l’objet dure et vieillisse bien.
Ainsi, la qualité du design d’un produit est le premier critère de cette notion, qualité qui est présente dans la manière de mettre en relation des objets bien fabriqués avec les personnes à qui on les destine, puisqu’elle affecterait la relation entre les personnes et les objets qui les entourent et, du coup, la qualité de la relation humaine. Ainsi, par cette qualité qu’on cherche à acquérir grâce à l’objet (ou non), on se lie au monde. Quand vous choisirez un cadeau pour votre douce moitié, votre enfant ou vos parents, vous saurez également que vous contribuez à entretenir ce lien qui nous unit tous et dont il nous incombe de saisir toute l’implication pour qu’elle devienne véritablement significative.
Je vous souhaite à tous d’offrir et de recevoir de jolis cadeaux qui seront le gage d’un lien fort envers les gens que vous aimez et respectez tout comme le signe d’un engagement envers notre environnement humain, économique et social.
Joyeux temps des Fêtes!
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Publié le 21 décembre 2014 | Par Koen De Winter
Ceci dit, je voudrais revenir sur un aspect plus paisible des commentaires sur le souk @ sat, Haut + Fort et cette multitude d’événements qui essayent de faire le contrepoids d’une consommation débridée. Design émergeant, oui… choix symboliques, oui… tisser des liens affectifs, certainement, mais est-ce que ça justifie vraiment la 4e planche à découper en 2 ans?
Il me semble qu’un commentaire sur le surplus se doit aussi de parler plus clairement des choses immatérielles. Je sais, la venue de l’ordinateur venait elle aussi avec des promesses de «…sans papier» alors qu’en réalité nous avons poussé la consommation du papier au dessus de l’imaginable (à l’école de design de l’UQAM, la photocopieuse du secrétariat a fait 140 000, oui 140 mille copies ce dernier semestre). Ce que Harry Liebersohn et Claude Lévi-Strauss décrivent se défait si facilement de la matérialité qui semble incarner notre seul standard de valeurs. Je ne peux pas plaider en faveur de ceux qui «font» plutôt que ceux qui ne font que décrire sans accompagner ce plaidoyer pour moins de «choses» d’exemples concrets. Il y a bien des mois déjà, une étudiante nous visitait dans le fond de notre jardin et, avant de partir, elle me demandait un petit papier blanc. Comme la table est toujours inondée de papier, la matière première était vite trouvée. La fleur «origami» qui en résulte est toujours là. Un des cactus qui, contrairement aux autres, ne fleurit jamais l’a adoptée comme «sa» fleur. Je l’ai vu faire par les doigts habiles de Gabriëlle (la ressemblance avec un ange connu n’est pas par hasard). Elle nous l’a donnée pour dire merci… Et est un de ces bouts de papier qui vont rester parce que je ne sais pas le scanner et mettre dans mon ordi… L’autre exemple est plus risqué parce qu’il m’expose en faisant quelque chose dans lequel je ne suis pas très bon. Ma langue maternelle n’est pas le français, ce n’est même pas une langue latine… alors, écrire de la poésie, ou faire semblant d’en écrire, est très proche de l’imposture. Mais peut-être qu’au contraire, ça fait aussi partie de ces échanges. Échanger notre vulnérabilité, notre manque de talent dans d’autres domaines que ceux que l’on prétend maîtriser. Il y a bien des années déjà, des amis attendaient leur premier enfant. Béatrice est maintenant beaucoup plus grande, mais plutôt que de courir chercher un cadeau, plutôt que de me mettre à tricoter, j’ai offert quelque chose d’immatériel…
À Béatrice,
J’aimerais être un court poème
si possible une berceuse
dans laquelle il y a encore des anges
possiblement en latin.
J’aimerais être suspendu
au mur au dessus de ton berceau
pour entendre en premier
les petits cris de ta faim.
J’aimerais être le cadre autour
d’une chansonnette
inspirée par le bonheur de ton père
qui, en rêvant de toi, cherchait l’amour
qui chanterait ton refrain.
J’aimerais rester suspendu
au mur au dessus de ton lit
et vibrer de l’écho de tes sanglots
et des confidences
de ta vie de jeune fille.
J’aimerais être le petit cadre
autour du miroir qui reflète ta beauté
et voir comment tu examines
les sourires que tu vas donner.
J’aimerais être l’affiche
si possible d’un chanteur admiré
qui t’emporte en chanson et qui
sera témoin de tes premiers amours.
J’aimerais enfin, être décroché
comblé d’avoir été témoin de ton bonheur
mais trop fatigué du crochet
qui me retient.
Fallait-il d’autres preuves de mon manque de talent de poète, non je ne crois pas… Mais je crois qu’on doit tous faire avec moins, pas moins de joies, pas moins de bonheur, pas moins d’amis… juste moins de bébelles... Et pour notre capacité professionnelle de faire des choses: il y a des milliards de personnes comme nous qui n’ont pas de toit au dessus de la tête, pas d’eau potable à boire... Et paix aux hommes de bonne volonté.
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