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Photo de Caroline Gagnon

De l’objet désobéissant au design activiste

Lors d’une des expositions récentes du Victoria and Albert Museum de Londres, on s’est intéressé aux objets désobéissants. Comment les objets peuvent-ils désobéir, me direz-vous? Les objets soutiennent un discours. Ils reflètent qui nous sommes, ce à quoi nous aspirons, ce que nous faisons et désirons comme individu et, par extension, comme société. Ils peuvent par là porter un message.

ExpoVAMuseum-600C’est un peu ces messages que l’exposition «Disobedient Objects»1 a fait découvrir. Elle a exploré le rôle des objets dans les grandes mobilisations sociales. Gavin Grindon, commissaire de cette exposition, étudie ces objets de contestation qui soutiennent une cause sociale: des pancartes, des affiches, des rubans, des chapeaux et tout autre objet associé à un mouvement social. Ces objets sont généralement le fruit d’un design populaire. Mais pas toujours.

Défendre une cause
Pendant le printemps érable de 2012, les étudiants de l’École de design de l’UQAM et de la Faculté d’aménagement de l’Université de Montréal avaient utilisé leur talent pour faire valoir leur point de vue par des objets et des affiches qu’ils ont conçus pour appuyer leurs revendications (Archicontre, École de la montagne rouge). L’adoption du carré rouge est tout aussi intéressante comme «objet» associé à une cause.

«During the 2012 Quebec students protests, which halted proposed rises intuition fees, red felt squares –the symbol of student portest in 2005– became popular. The squares were simple crafted items with a strong iconographic element reproducible in other media. In 2013, a red feather was adopted to signify solidarity with the indigenous Idle No More movement.» (Flood et Grindon, 2014)

Jenga-600

Légion D, jeu Jenga, 2012 http://www.marcandreroberge.com/jeu-de-socit-jenga/

Dans ces contextes d’activisme, ces objets sont au service d’une contestation politique ou sociale. Ils sont liés à une cause qui propose la prévention, voire l’arrêt d’un projet ou d’une politique, ou ils souhaitent susciter une plus grande conscientisation ou un débat entourant un enjeu de société. Si les objets contestataires se situent davantage dans une posture réactionnaire et parfois jugée négative, ils peuvent quand même être utiles pour renverser une position. Ils rendent souvent visibles et tangibles les répercussions appréhendées d’une décision controversée.

Au-delà de la contestation: proposer des solutions de rechange
Toutefois, Ann Thorpe, auteure et consultante en design social, souligne que l’activisme en design peut également mener à une démarche beaucoup plus constructive, car elle s’appuie non seulement sur le constat d’un mauvais choix ou sur un statu quo mais sur le développement de nouvelles propositions pour répondre aux enjeux en débat. Dans la veine du design radical, du design critique et du design social, ces propositions ont le mérite de pousser plus loin la réflexion sur l’avenir de la société et le rôle que le design peut y jouer en participant à trouver des solutions concrètes.

«Design activists practice a different form of activism… Rather than being resistant, design activism is mostly “generative”. » (Thorpe, 20152)

Dans ces contextes, le design participe à recadrer les problèmes et à mieux définir les questions à poser. De là, il est possible d’émettre un diagnostic pertinent sur lequel reposeront par la suite une série d’actions et de propositions tangibles, c’est-à-dire se manifestant dans un projet à réaliser. Par exemple, si un projet d’infrastructure routière pose des défis parce qu’il est mal reçu, il peut être opportun de s’interroger sur ce qu’il revêt comme possibilités. À ce titre, Ann Thorpe soutient que le design permet de lier plusieurs problématiques entre elles pour revoir une proposition mal adaptée parce que la problématique soulevée est souvent explorée isolément des autres qu’elle engendre. Dans un contexte d’infrastructure, à titre d’exemple, il est possible d’intégrer les enjeux de santé publique et de changements climatiques à ceux de la mobilité. En ce sens, le projet n’est plus un projet d’infrastructure réfléchi de manière uniquement fonctionnelle, un projet de transport, mais pourrait devenir un projet de milieu de vie et de qualité de vie en phase avec un ensemble de contraintes à la fois sociales, environnementales et économiques. En d’autres termes, si on ne souhaite pas la venue d’un projet ou encore d’une politique, il est possible de s’atteler à les modifier, à les transformer, à les revoir, à trouver des solutions de rechange qui rencontrent, voire dépassent les contraintes posées par le présent projet.

Sauver des vies
D’autres exemples peuvent également être apportés. Le mine kafon, projet élaboré par Massoud Hassani lorsqu’il était étudiant à la Design Academy Eindhoven, porte justement sur un objet dont on ne cesse de vouloir l’abolition, les mines antipersonnelles. Ce dispositif permet un déminage en déclenchant le système de mise à feu de la mine et en limitant ensuite les éclats lors du souffle de l’explosion. Le mine kafon, composé de branches de bambou, est une immense balle avec des embouts qui est propulsée par le vent et roule sur les terrains minés, traçant ainsi des chemins sécurisés. Il est également connecté à un GPS permettant de localiser ces chemins. S’il ne peut se substituer à des pressions à plus grande échelle pour l’abolition de ces pratiques meurtrières, le projet de design peut quand même agir directement sur la réduction du nombre de blessés. Il a donc un effet concret et bénéfique.

«Quand nous étions jeunes, nous avons appris à faire nos propres jouets. Un de mes favoris était une petite éolienne roulante. Nous faisions des courses les uns contre les autres dans les champs autour de notre quartier. Il y avait toujours un fort vent s’agitant vers les montagnes. Alors que nous faisions la course, nos jouets ont roulé trop vite et trop loin et ont atterri dans des zones où nous ne pouvions pas aller les chercher en raison des mines. Je me souviens encore de ces jouets que j’avais fait et que je regardais aller au-delà de la zone où nous pouvions aller.» (Massoud Hassani, 2012)

Sauver les abeilles
Ruche-600Chez nous, un projet plus récent a abordé la question de la disparition des abeilles et de leur importance dans le cycle de la biodiversité. Marc-André Roberge a développé une ruche urbaine, Projet B , qui tente de sensibiliser la population à l’importance des abeilles et de l’apiculture. Afin de favoriser une expérience positive des abeilles en ville, le designer a développé une ruche pouvant être intégrée à un service de restauration où les clients tout comme les chefs bénéficient du travail des laborieux insectes et enrichissent leur expérience culinaire et gustative. Le projet a d’ailleurs gagné le Prix développement durable et écodesign des Grands prix du design. 

En somme, la capacité d’agir et de créer une vision d’ensemble du design permettrait de dépasser le statu quo souvent présents dans les postures contestataires en proposant de nouveaux possibles, du probable au souhaitable.

«Using positive disruptions, activists create alternative offers that are more appealing than the status quo.» (Thorpe, 2015)

Il s’agirait alors d’une approche transformative plus que réformative qui est apte à générer de nouveaux liens favorisant l’innovation sociale. Bien sûr, la démarche de design activiste dans son versant génératif ne peut néanmoins se substituer à d’autres formes d’activisme de réaction, car il existe de réels projets dont les meilleures solutions restent leur abolition. Mais pour toutes les autres problématiques auxquelles la société peut être confrontée, il existe peut-être des solutions de rechange fécondes et porteuses d’un renouveau. Et c’est ça qui rend l’activisme en design intéressant.

1 Flood, Catherine and Gavin Grindon, editors. DISOBEDIENT OBJECTS V&A publishing, 2014. The Victoria & Albert Museum, London, UK ISBN-978=1-85177-797-6

2 Thorpe, Ann. 2015. «Design as Activism: to resist or to generate». Current. ecuad. ca

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