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Photo de Ivan Tchotourian

Avez-vous pensé à vous incorporer?

Il est excitant de créer son entreprise et de se lancer en affaires. L’aventure comporte cependant de nombreux défis, dont le choix entre une multitude de statuts juridiques possibles: entreprise individuelle, société de personnes, coopérative, société en commandite, société en nom collectif, fiducie, société par actions, personnes morales…1 Ce billet jette un éclairage sur une forme particulière d’entreprise à but lucratif: la société par actions. Anciennement dénommée «compagnie» ou «corporation», la société par actions fait l’objet de croyances populaires que je compte ici démythifier, en plus de démontrer ses avantages pour toute entreprise en démarrage cherchant un gain pécuniaire. Bref, les entrepreneurs devraient penser à s’incorporer2, et ce, relativement rapidement.

incorporation

La société par actions est une personne morale, comme le rappelle l’article 10 de la Loi sur les sociétés par actions du Québec (LSAQ). C’est sans doute là sa caractéristique fondamentale: elle est une personne. Certes, elle n’est pas de chair et de sang et n’agit que par l’intermédiaire d’humains (qui décident dans une assemblée ou dans un CA), mais elle a sa propre existence. À ce titre (et le Code civil du Québec est clair sur ce point), toute société par actions a la jouissance des droits civils, détient un patrimoine qui lui est propre, dispose d’une pleine capacité pour exercer ses droits, exploite une activité sous un nom bien à elle, a un domicile… Concrètement, une société par actions a la faculté d’acheter, de vendre, d’engager des employés, d’emprunter, de prêter et de posséder des biens. Elle a également ses propres règles en matière d’impôt et doit produire ses propres déclarations.

Créer une société par actions comporte plusieurs avantages: survie au décès de l’entrepreneur ou de ses membres, durée de vie quasi infinie, immobilisation du capital, obtention de subventions réservées à ce type d’entreprises… 4 de ces avantages me paraissent centraux: la responsabilité, le financement, l’organisation et la fiscalité.

1. Une responsabilité limitée
L’article 300 du Code civil précise que les personnes morales sont distinctes de leurs membres et que leurs actes n’engagent qu’elles-mêmes, sauf les exceptions prévues par la loi3. Il faut en déduire:

  • que les biens de la société ne sont pas ceux des actionnaires;
  • que les biens des actionnaires ne sont pas ceux de la société;
  • que les actionnaires n’ont pas les droits et les recours de la société par actions;
  • que la société par actions n’a pas les recours des actionnaires.

Ainsi, mis à part quelques rares exceptions (cautionnement personnel ou soulèvement du voile corporatif), la responsabilité d’un actionnaire demeure limitée à sa mise de fonds.

Voilà un bon argument lorsque l’activité voulue est risquée!

2. Des possibilités de financement
Le financement d’une société par actions –fondamental pour développer une activité économique d’ampleur– a 2 grandes caractéristiques: sa diversité et son adaptabilité.

Sa diversité tout d’abord. Au-delà du capital de risque convivial (fonds offerts par la famille, les amis…), une société par actions peut faire appel tant à des capitaux propres (provenant de sociétés de capital de risque, d’anges financiers, d’investisseurs à petite échelle ou à l’échelle du public par l’intermédiaire d’un marché financier) qu’à des capitaux empruntés (prêts personnels, prêts d’institutions financières, crédit-bail…). Actions ou obligations, le choix est offert aux sociétés par actions et aux fournisseurs de capitaux. Le financement est d’autant plus aisé (et l’expansion de l’entreprise d’autant plus envisageable) qu’une société par actions peut donner des garanties étendues sur ses biens et que les investisseurs sont convaincus que l’argent investi servira à l’entreprise et non à payer des dettes personnelles de l’entrepreneur.

Son adaptabilité ensuite, puisqu’une société par actions peut faire du «sur-mesure». Il en va ainsi des investisseurs qui ont accepté de mettre des fonds dans l’entreprise et pour qui cette dernière va aménager des privilèges et des restrictions dans leurs droits d’actionnaires (droit de voter, droit aux dividendes et droit au reliquat). La société par actions va alors créer des catégories d’actions (on parle d’actions ordinaires, privilégiées ou subalternes) qui sont limitées par la seule imagination des praticiens, du moment que certaines balises sont respectées4. Toujours sur le financement, la distribution de dividendes aux actionnaires relève du seul pouvoir du CA: ce dernier peut donc privilégier un financement interne pour répondre aux besoins de l’entreprise en ne versant pas de bénéfices (le surplus s’accumulant alors dans la société).

Voilà un bon argument lorsque l’activité nécessite des fonds non négligeables!

3. Une souplesse dans l’organisation
La croyance veut que la société par actions soit une structure lourde sur le plan administratif. La réalité diffère grandement! Un fondateur suffit pour créer une société par actions: l’article 3 de la LSAQ est limpide. Les statuts ne comportent que peu de règles impératives5. Il est possible de se passer de CA que l’on soit seul (tout simplement par une déclaration de l’actionnaire unique) ou plusieurs (en rédigeant une convention unanime d’actionnaires6). Lorsqu’on est seul, il est même possible de se passer tout bonnement de l’assemblée annuelle. Plus modestement, il est aussi possible de réduire les pouvoirs d’un CA en transférant une partie (ou même la totalité) de ces pouvoirs aux actionnaires eux-mêmes. La présence d’un dirigeant est quant à elle loin d’être obligatoire. Pour définir qui décide, les choix sont donc variés: les actionnaires (seul ou à l’unanimité), le CA, le dirigeant ou un partage entre tous ces acteurs. À cela, j’ajouterais que l’aménagement des pouvoirs peut se faire par l’entremise de différents supports: la loi elle-même, les statuts, un règlement intérieur ou une convention unanime. Certes, il faudra tenir des livres et des registres (et, bien entendu, les mettre à jour), mais c’est bien le minimum requis…

Voilà un bon argument pour les PME, tellement présentes au Québec!

4. Une fiscalité différente
La société par actions est un contribuable à part entière. C’est donc elle qui paie l’impôt sur le revenu selon un taux fixe qui dépend de la qualification de l’entreprise et de la nature de ses revenus7. Ce taux d’imposition au fédéral et au provincial est généralement moins élevé que celui d’une personne ayant de gros revenus. Comme l’indique un rapport du ministère des Finances publié à l’automne 2014, ce taux se révèle aujourd’hui compétitif:

taux_imposition

Dans le régime fiscal du Québec, le revenu gagné par une société par actions est imposé une première fois au moment où il est gagné par la société et une seconde fois lorsqu’il est distribué aux actionnaires sous forme de dividendes (si ces dividendes sont distribués). Je rappelle que les profits réalisés par une société par actions peuvent être soit conservés par la société (par exemple pour de futurs investissements), soit versés aux actionnaires sous forme de dividendes. Ce dernier cas donne alors lieu à un crédit d’impôt pour dividendes et à un allègement fiscal important (l’impôt que ces actionnaires paient est généralement moins élevé que l’impôt qu’ils auraient à payer s’ils faisaient de gros revenus en exploitant une entreprise individuelle ou une société en nom collectif). Si un entrepreneur décide de vendre ses actions, il doit inscrire ce gain sur sa déclaration fiscale annuelle, mais pourra réduire le gain imposable de plusieurs façons (notamment par l’exemption de gain en capital). Enfin, la société par actions bénéficie d’exemptions de taxes de toutes sortes.

Voilà un bon argument dès lors qu’est dépassée la limite des dépenses admissibles de votre entreprise et que les revenus de l’entrepreneur s’envolent!

S’incorporer ou non, telle est la question
L’incorporation peut être le véhicule juridique adapté aux besoins d’une entreprise en démarrage. Elle peut aussi se révéler opportune en raison de l’image de professionnalisme qui s’y rattache, bien supérieure à celle projetée par un entrepreneur travaillant seul.

Que du positif, me direz-vous! Non, dans la mesure où demeurent des inconvénients qu’il ne faut pas taire: s’incorporer a un coût (frais liés à la constitution, frais juridiques, frais comptables…); s’incorporer implique la production de documents et de rapports comme ceux exigés par le Registre des entreprises8; s’incorporer entraîne la préparation de déclarations de revenus distinctes et une comptabilité propre à la société; s’incorporer impose la tenue de livres et de registres comme les livres comptables ou les procès-verbaux des assemblées et des CA; s’incorporer implique un choix stratégique et délicat entre la loi provinciale (LSAQ) ou la loi fédérale (Loi canadienne sur les sociétés par actions).

S’incorporer? Oui, mais il est fortement recommandé d’adapter la décision à chaque situation et de discuter au préalable avec un conseiller juridique.

1 Marc Guénette, Les différentes formes d’entreprises au Canada, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015.

2 Pour connaître la procédure: constituer une société par actions québécoise

3 L’article 224 LSAQ ne dit pas autre chose.

4 Parmi celles-ci figurent les articles 47 et 48 LSAQ.

5 L’article 5 LSAQ est édifiant sur ce point.

6 «Les actionnaires peuvent choisir de ne pas constituer de conseil d’administration», clame l’article 216 al. 3 LSAQ.

7 Plus globalement, le régime fiscal applicable aux sociétés par actions est composé de l’impôt sur le revenu des sociétés, de la cotisation des employeurs au Fonds des services de santé et de divers prélèvements propres à certains secteurs spécifiques.

8 Pour paraphraser Me Luc Audet, plus la compagnie grandit, plus on l’examine!

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