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Photo de André Desrochers

Vous le voulez comment votre cerf, monsieur?

La semaine dernière, le gouvernement du Québec annonçait qu’une douzaine de restaurants allaient prochainement avoir le privilège d’offrir du gibier sauvage au menu. De rares restaurants servent déjà du gibier au Canada, mais ces animaux sont généralement élevés en captivité. Ici on parle de «vrai» gibier, qui a vécu dans des conditions naturelles jusqu’au jour où un chasseur ou un trappeur le prenne pour cible. Les espèces visées dans l’annonce du gouvernement sont le cerf de Virginie, le lièvre d’Amérique, le rat musqué, le castor et même les écureuils (on n’est toutefois pas fichu de nous dire de quelle espèce: gris ou roux?).

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Sitôt l’annonce faite, les réactions ont fusé sur les médias sociaux, et de nombreuses personnes ont dénoncé les risques associés à cette décision audacieuse. On s’inquiète surtout de voir le braconnage monter en flèche, ce qui pourrait mettre en péril des populations des espèces visées. Ces préoccupations apparaissent légitimes quand on réalise à quel point de nombreuses espèces sauvages ont été surexploitées en raison d’une forme ou d’une autre de commercialisation. Mais est-ce que la commercialisation entraîne automatiquement la surexploitation? J’en doute. Du moins j’espère que non, car même si je ne suis pas chasseur, je suis amateur de viande de gibier sauvage.

Mortalité sous contrôle
À moins de vivre sur la planète Bambi, on s’entend pour dire que la faune est une ressource renouvelable. Ressource, car elle contribue au plaisir de vivre, et renouvelable bien sûr, car elle peut se reproduire sans recours à notre aide. Une gestion rationnelle des ressources renouvelables suggère qu’on en consomme le plus grand nombre possible sans réduire à long terme son abondance. En l’absence des inévitables pleurs et grincements de dents de la société, une chasse optimale pourrait mathématiquement cibler à long terme environ 50% du nombre maximal de bêtes d’une espèce gibier, par rapport au nombre que l’environnement pourrait supporter. Cela est possible parce que chaque animal tué facilite quelque peu la vie des ceux qui restent en réduisant la compétition pour les ressources (aliments, etc.)1. Ce phénomène peut contribuer à la survie et à la reproduction des animaux restants si bien que la population «rebondit» et vient compenser la mortalité causée par la chasse. Si cette compensation ne suffit pas à combler les pertes, la mortalité est dite «additive» et la population décline. La beauté avec les populations de gibiers, c’est qu’on peut avoir un contrôle assez précis sur leur évolution de sorte qu’en cas de déclin, les gestionnaires peuvent rapidement ajuster le tir en publiant de nouveaux quotas adaptés à chaque région.

Anticosti: la ferme bio par excellence
Dans mon dernier billet, je soulignais les nombreux empiétements humains sur la biodiversité de l’île d’Anticosti, avec en vedette le cerf de Virginie. Qu’est-ce qu’on attend pour «mettre en valeur» toute cette viande, bio de surcroît? Avec juste 9 000 bêtes tuées chaque année sur les 160 000 que compte cette île, ça en laisse beaucoup pour fertiliser le sol plutôt que décorer notre assiette. En appliquant les calculs de rendement maximal soutenu, j’imagine qu’on pourrait en chasser bien plus (3 fois? 5 fois?) que ce que l’on fait actuellement à Anticosti et ailleurs dans le sud de la province2. La vente d’une partie de leur butin pourrait rendre le coût du voyage de chasse abordable pour un plus grand nombre de chasseurs et ainsi créer un nouvel attrait économique régional. Cela tomberait particulièrement bien à Anticosti, car les gestionnaires de la faune du Québec voudraient voir la chasse au cerf augmenter de crainte que cette population finisse par s’auto-détruire en broutant complètement son garde-manger3.

Traçabilité
Un des problèmes majeurs de la commercialisation des produits sauvages est leur traçabilité, c’est-à-dire la capacité de suivre les traces des denrées de la récolte –ou de la chasse– à l’assiette. C’est un problème complexe, mais pas insurmontable. Dans l’ouest nord-américain par exemple, la cueillette commerciale de champignons sauvages est populaire et en croissance malgré les dangers liés à la présence d’espèces toxiques. On y pratique à plusieurs endroits un système de traçabilité pour assurer une qualité minimale du produit. Au Québec, des systèmes de traçabilité de bleuets sauvages existent aussi. Bien sûr, il y a une marge entre couper la tige d’un champignon ou une grappe de bleuets et abattre, puis dépecer un animal correctement. Mais peut-on s’asseoir et en discuter avant de sortir les épouvantails? Pourquoi ne serait-il pas possible d’émettre des règles strictes et vérifiables pour les mêmes étapes avec du gibier?

Si les ambitions du gouvernement devaient se réaliser, le Québec ne serait qu’un autre endroit où du gibier sauvage figurerait sur la carte de nombreux restaurants. On offre déjà ce type de produit en Nouvelle-Écosse et à quelques autres endroits au Canada. Alors plutôt que de s’inquiéter à outrance des braconniers, ne serait-il pas plus stratégique d’examiner comment les autres ont géré le problème du braconnage? Après tout, j’ose croire que le braconnier québécois n’est pas si distinct du poacher du rest-of-Canada. J’ose croire qu’un jour, je pourrai choisir la cuisson d’un succulent filet mignon de cerf au bon restaurant du quartier.

1 L’expression mathématique de ce phénomène est la croissance logistique et le rendement maximal soutenu.

2 Bien sûr, les choses sont plus complexes que cela, par exemple du fait que tous les animaux ne sont pas égaux démographiquement (selon leur sexe, leur âge, etc.) et que le cerf est polygame. Beau projet de recherche!

3 Quelque 160 000 des 400 000 cerf du Québec vivent à Anticosti. Vous pouvez lire à ce sujet l’article Anticosti, le laboratoire aux 200 000 cerfs.

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  1. Publié le 8 mars 2014 | Par François Rolland

    Monsieur, savez-vous que pour 50 livres de viande de cerf il n'y a qu'à peine une livre de filet mignon et seulement si ce filet n'était pas dans la ligne de tir du chasseur. Je n'aimerais pas payer la facture de votre repas.
    Mon boucher, qui est diplômé de l'École de l'hôtellerie, ne laisse jamais d'os dans ses coupes, car il y a risque de présence de parasites. Donc pas de carré de cerf.
    La deuxième partie tendre est le dos et encore, environ six livres de viande. Ensuite, les rôtis, pour qu'ils soient délicieux, ils doivent être bien assaissonnés ce qui enlève un peu la particularité du goût du cerf.
    Le goût du cerf varie d'une région à une autre. Dans la forêt, le cerf se nourrit uniquement de végétation forestière, tandis qu'en milieu agricole, le cerf consomme pour une bonne partie de l'année la même nourriture que les bovins, ce qui donne un goût très différent à la viande. Y aura t-il des variétés de cerf sur les menus?
    Une majorité de la viande est hachée, ce qui n'est pas prisé dans les restaurants plus haut de gamme.
    En conclusion, pour satisfaire la demande, il devra y avoir une surchasse et beaucoup de perte. Je dirais plus de la moitié.
  2. Publié le 8 mars 2014 | Par Eric Brunet

    Bon matin M. Desrochers,
    Je viens tout juste de lire votre article sur le projet pilote de vendre du gibier sauvage et j'aimerais vous donner mon opinion sur le sujet.

    Pour commencer le gibier d'Anticosti oui il est en surabondance oui il est renouvelable, par contre il ne se renouvelle pas en criant ciseau. Le gibier sauvage, le chevreuil en particulier, a de la misère à survivre avec des hivers rigoureux comme on a vécus. Plusieurs faons n'auront pas passé l'hiver dû au prédateur naturel (le braconnier) et à la quantité de neige qui limite leurs déplacements en forêt et qui les empêchent de trouver leur nourriture.

    Le braconnage est omniprésent en forêt 4 saisons par année, en tant que chasseur je le vis, je le vois régulièrement avec des appareils photo pour le gibier. J'ai capté les visage des braconniers et j'ai dû prévenir des agents de la faune pour désactiviter de braconnage sur mon territoire de chasse dont je prends soin annuellement.

    Il ne faut pas se mettre la tête dans le sable pour savoir que permis de vente de gibier égalera $ à faire alors forcement, il y aura braconnage. J'aimerais ajouter que le chevreuil est en surabondance seulement sur l'île d'Anticosti et loin d'être en surabondance sur le reste du territoire du Québec. De plus en plus de chasseurs ont choisi l'option de ne plus chasser le chevreuil mâle/femelle de moins de 2 ans 1/2 pour préserver le cheptel pour des générations futures de même que le ministre Blanchet qui a proposé que la vente de gibier sauvage tire dans le même sens que chasser 2 ans 1/2 minimum et il veux même changer la période de chasse avec arme à chargement par la bouche pour protéger le gibier.

    L'île d'Anticosti est un endroit de prédilection pour chasseur mais très onéreux (plus de 1500$ par chasseur) alors combien croyez-vous qu'il se vendra votre steak de chevreuil? Qui aura les moyens de se payer un tel luxe, combien rapporteras $$ ce projet annuellement vs l'investissement des chasseurs pour ce sport? Réfléchissez à ces questionnements et interrogez le chasseur ou l'agent de la faune avant de publier un article contenant autant de désinformation. Merci.
  3. Publié le 8 mars 2014 | Par jean luc mayer

    Mr. malgré tout le respect que je vous dois, comme on le dit si bien au Québec vous êtes à côté de la track...

    Allez passer quelques jours en pleine forêt et lorsque vous entendrez les coyotes et les loups en plein milieu avant-midi vous verrez où cela mène... aucun effort pour limiter la prédation, la fourrure vaut rien et le gouv. s'en fout..

    Bien entendu dans ce commentaire, on oublie Anticosti où il n'y a pas de prédateurs, sauf les affamés de pétrole qui se serviront de l'élimination du cerf et des chasseurs avec leurs cellulaires pour montrer au commun des mortels les dégâts...

    Vous pensez comme tout le monde. Pour la forêt je suis assez âgé pour vous dire que l'on croyait inépuisable en 1964, elle est vide depuis quelques années, c'était inépuisable et renouvelable alors pas de plantation ni protection. C'est le cas qui nous préoccupe présentement voyons-y avant l'avalanche de destruction et de braconnage, alors ce sera toujours le temps de passer la faute sur le dos des braconeurs et des chasseurs... quand rien n'ira plus, si vous croyez qu'il y en a tant venez passer 15 jours avec moi et voir des résultats sur caméras et l'on discutera de concret...

    Oui ce serait renouvelable si l'on se donnait la peine de contrôler la prédation à outrance dans certains secteurs. Orignaux, chevreuils et dindons, alors que l'on commence à voir du dindon mettons-le sur la table de la haute classe$$$$$, mais le chasseur : cours, armes, restrictions, règlements sur les heures de chasse etc., mais rien de trop beau pour démolir tout ce qui appartient aux Québécois. Pour se prémunir d'appuis et de votes, je ne suis pas un fan de la politique et pour cette fois je vais aller voter.

    jean luc mayer