Propos d'un écoloquace
Publié le 18 février 2014 | Par André Desrochers
Anticosti: du pétrole dans notre cour
Bon, voilà, le Québec est finalement open for business en matière de pétrole! Le gouvernement du Parti québécois nous annonce une dépense de 115 M$ pour confirmer l’existence d’un potentiel pétrolier majeur sous l’île d’Anticosti. Un potentiel qu’on chiffre actuellement à 45 G$. D’emblée, cela me semble un risque financier raisonnable pour un État qui a besoin de fonds pour payer, entre autres, les divers caprices sociétaux que sa population refuse de larguer aux oubliettes. Même André Pratte1 félicite le PQ, ce n’est pas rien! Dans son éditorial, Pratte ajoute, avec raison, que le leadership de l’État, particulièrement avec le PQ aux commandes, est probablement la seule manière de faire avaler la pilule pétrolière aux Québécois, qui me semblent parfois étrangers à la notion de risque.
Je me définis comme écologiste, alors comment puis-je défendre une stratégie d’exploration pétrolière à Anticosti? Je pars de 2 constats pas très controversés:
- notre dépendance au pétrole perdurera pendant au moins quelques décennies;
- l’extraction du pétrole doit se faire quelque part, entraînant des risques environnementaux.
Je vous croirai si vous me dites qu’Anticosti, sauvage et nappée du climat du golfe, est magnifique. Mais elle n’est pas intègre2. La glace ne reliant jamais cette île à la Côte-Nord l’hiver, Anticosti se distinguait jadis par l’absence d’espèces terrestres qu’on trouvait normalement dans ce type de milieu. On dit que les seuls mammifères terrestres (non volants) présents sur l’île étaient l’ours noir, le renard, la loutre, la martre et la souris sylvestre 3. Anticosti était donc très particulière, unique.
Après l’arrivée de l’entrepreneur-chasseur Henri Menier en 1895, on assista à une série d’introductions d’espèces, aussi tristes que délibérées. Vous savez probablement qu’on a introduit des cerfs de Virginie sur cette île. Mais saviez-vous qu’on y a aussi introduit le lièvre, le pékan, le vison, le rat musqué, l’orignal, le castor, et même le bison et le wapiti? Ah! Sans oublier la gélinotte et le tétras pour garnir la tourtière! Si on avait pu y amener des rhinocéros, on l’aurait sans doute fait. Seules quelques-unes de ces introductions ont «réussi», et la plus célèbre est celle du cerf de Virginie. Broutant littéralement Anticosti, cette espèce n’a cessé de surprendre les naturalistes en remodelant complètement cet écosystème, causant la joie des chasseurs, de nombreux projets scientifiques d’envergure, mais aussi de nombreux soucis aux détenteurs des droits de coupe forestière sur l’île.
Vous allez dire que j’exagère, mais j’imagine un peu cette île comme le parc faunique du Zoo de Saint-Félicien qu’on parcoure en petit train… Je me dis aussi qu’il faudra bien que les indignés se trouvent une autre raison que celle de l’intégrité écologique de l’île pour mettre des bâtons dans les roues du projet d’exploration pétrolière.
Autour de l’île, j’en conviens, c’est une autre histoire. La faune marine pourrait écoper sérieusement des secousses sismiques provoquées par les opérations de fracturation hydraulique, et les conséquences sur les activités de cette faune pourraient être importantes, du moins si les opérations sont concentrées durant la saison estivale. Pensez au rorqual bleu, espèce en voie de disparition. On ne sait pas ce qui arrivera, mais sa possible extinction fait partie des risques environnementaux de la stratégie proposée par le gouvernement Marois, et il est légitime que les dénonciateurs jouent cette carte. Tout est dans l’attitude de la population face au risque4.
Acceptabilité sociale
Il existe une autre carte dans le jeu des intervenants inquiets des répercussions de l’exploration pétrolière à Anticosti. Un projet à incidence environnementale doit non seulement satisfaire le critère du respect de l’intégrité écologique, mais désormais celui de l’acceptabilité sociale. Évidemment, il est politiquement souhaitable que «le milieu» soit d’accord. Cela tombe bien, on dit que les 240 habitants de l’île sont généralement d’accord avec l’exploration. Cependant, on rétorque, avec raison,que les 8 millions d’autres Québécois n’ont pas été consultés. Et je ne parle pas du reste des Canadiens… Ils ont leur mot à dire, non?
On va jusqu’à quelle distance pour mesurer l’acceptabilité sociale? Je ne sais pas. Mais qu’importe, car dans le fond nous répondons tous OUI au sondage sur le pétrole, tous les jours. Par exemple, les personnes qui s’alarment devant toute velléité gouvernementale d’extraire des produits pétroliers ne semblent pas réaliser que leur vie matérielle tourne quotidiennement autour de l’or noir. Pour certains, c’est en allant travailler ou étudier, pour d’autres, c’est en allant communier avec la nature aux 4 coins du monde. Qu’on se promène en Cadillac Escalade ou qu’on porte le combo dreadlocks-Birkenstocks, on est accroc au pétrole et peu enclin à changer significativement cet aspect de notre vie. Vous vous déplacez à pied ou à vélo? Mais alors, comment les tomates bio que vous consommez probablement se sont-elles rendues à la tablette de votre épicerie du coin? Et que dire de la provenance des produits (souvent dérivés du pétrole) achetés chez Mountain Co-op? Je vois là une acceptation sociale implicite et universelle de ce produit à la base de notre prospérité.
Or, si on accepte le pétrole, faudra bien un jour accepter qu’il vient de quelque part.
Loin des yeux, loin du cœur
Durant les années 80, le Québec obtenait la moitié de son pétrole brut de l’Ouest canadien, l’autre principalement de la mer du Nord, en Europe5. Des régions avec lesquelles nous sommes familiers, partageant des attitudes et des règles similaires quant à la société et l’environnement. Maintenant, la moitié de notre pétrole brut provient de très loin. Surtout de l’Algérie et de l’Angola. Connaissez-vous l’impact environnemental de l’exploitation pétrolière dans ces pays? Moi non plus, mais je crains qu’il soit majeur. Pouvons-nous raisonnablement déclarer que les écosystèmes visés par Québec sont plus fragiles que les écosystèmes des autres régions du globe d’où on importe le pétrole? Est-ce que les populations de ces pays ont leur juste part du magot? Les libertés individuelles, qui nous sont si chères, y sont-elles respectées? Probablement pas à notre goût. Et pourtant, nous sommes complices de leur exploitation pétrolière en achetant massivement leur produit.
Pour conclure, en attendant notre sevrage de l’or noir, un environnementaliste cohérent devrait, à mon avis, se réjouir de la possibilité que les Québécois augmentent leur contrôle sur les origines, l’offre et les redevances de ce mal nécessaire. Mais pour cela, il faut d’abord explorer et laisser quelques cicatrices sur Anticosti. Peut-être devrons-nous aussi stresser les baleines. Mais si on fait mouche, on parle ici de revenus majeurs pour alimenter nos divers programmes incluant, ironiquement, ceux destinés à conserver la nature. On parle aussi d’une réduction importante des distances de transport pétrolier. Et si nos normes environnementales et sociétales sont plus sévères en moyenne que celles des pays d’où nous importons le pétrole, nous allons faire notre part dans la réduction des impacts globaux de l’extraction de ce polluant dans lequel nul ne veut plonger ses mains, mais que tous s’empressent d’utiliser.
1 Éditorialiste de La Presse, un quotidien pas reconnu pour louanger le Parti Québécois. Il a rédigé un éditorial à ce sujet intitulé «Excellente nouvelle»paru samedi le 15 février 2014. ↩
2 Concept écologique à la mode actuellement. Synonymes: naturel, équilibré. Terme généralement défini par un comité. ↩
3 Newsom, W.M. 1937. «Mammals on Anticosti Island». Journal of Mammalogy 18: 435-442. ↩
4 Voir mon billet sur le principe de précaution. ↩
5 www.mrn.gouv.qc.ca/energie/statistiques/statistiques-import-export-petrole.jsp ↩
Publié le 18 février 2014 | Par Luc Légaré
Publié le 18 février 2014 | Par André Desrochers
Votre nuance quant aux types de pétrole est très pertinente. Cet aspect devrait effectivement être pris en compte dans la décision finale qui sera prise. Merci!
Publié le 18 février 2014 | Par Valérie Harvey
Pour avoir les chiffres précis sur le pétrole de la province, une bonne analyse ici:
«En 1985, plus de la moitié du pétrole livré aux raffineries québécoises provenait de l'Alberta (40%) et de la Saskatchewan (11%), le reste étant importé. C'était à lépoque où la majorité de la production de ces deux provinces était formée de pétrole léger et médium. En 2013, 93% du pétrole livré aux raffineries québécoises provenait de l'importation, le reste venant de Terre-Neuve. Pour avoir le détail de la provenance de nos importations, on peut voir à la page 29 du mémoire de l'AQLPA dont jai parlé plus tôt (ou sur ce tableau de Statistique Canada) que plus de 40% de ce pétrole provient de l'Algérie, un des pétroles parmi les plus légers (voir page 22). Il reste polluant et producteur de GES, mais pas mal moins que celui de l'Alberta.»
http://jeanneemard.wordpress.com/2014/02/13/petrole-brut/
Publié le 18 février 2014 | Par André Desrochers
Merci de contribuer!
Publié le 18 février 2014 | Par Pierre Racine
Publié le 18 février 2014 | Par Sébastien
Merci pour votre billet, toujours stimulant à lire!
Je ne suis pas spécialiste d'économie (en particulier québécoise), mais il me semble que par le passé, les industries exploitant les ressources naturelles (forêt, minerais) se sont fait plus d'argent que le gouvernement, au détriment des citoyens.
Je trouve aussi que vous considérez quand même peu les risques environnementaux, non? Bien que vous reconnaissiez les risques pour la biodiversité marine, je trouve que vous minimisez un peu en parlant uniquement des impacts des ondes sismiques sur les mammifères marins. Le pétrole (quel type d'ailleurs?) devra bien traverser le Saint-Laurent pour aller jusqu'aux raffineries. Et la fracturation, en tout cas de la façon dont elle est faite actuellement, pourrait avoir des répercussions par relargages aux travers de failles sur l'estuaire du Saint-Laurent, qui me semble être un écosystème d'une importance globale (migration d''espèces, flux de nutriments...).
Je suis d'accord que nous sommes encore dépendants du pétrole et que nous ne sommes pas près (ou prêts) de nous en débarrasser. Je suis aussi d'accord qu'utiliser du pétrole québécois serait probablement une bonne chose plutôt que de le faire venir de l'Alberta, d'Europe du Nord ou d'Afrique. Toutefois j'ai peur que cela n'augmente la consommation de cette matière: le prix à la pompe pour les Québécois devrait (on l'espère) diminuer, et dans ce cas, on va faire des virées en Cadillac Escalade plus souvent et plus longtemps. Et même si je ne veux pas aborder le réchauffement climatique, on peut penser uniquement à la pollution de l'air dans les villes.
Je ne suis pas contre l'exploitation des ressources pétrolières, mais étant donné nos connaissances limitées sur les impacts de la fracturation, sur la sensibilité des écosystèmes marins et sur les répercussions sociétales, j'ai peur que l'on ne se précipite un peu (par but politique ou économique) au détriment d'autres valeurs (environnementale ou culturelle).
Cordialement,
Sébastien