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Photo de Simon Langlois

Le bien-être sous pression

La mesure canadienne de bien-être a été publiée le 23 octobre dernier, mais elle est presque passée inaperçue, perdue dans le flot de l’actualité. Pourtant, on en tire des enseignements importants que je souhaiterais rappeler et commenter. Je rappelle que cet indice existe depuis un an seulement et que j’ai eu l’occasion de le présenter dans mon troisième billet.

L’indice canadien de mieux-être (ICMÊ) montre une détérioration importante de la situation des ménages depuis la crise de 2008, d’un côté. De l’autre, il révèle que la qualité de vie des citoyens s’est améliorée moins rapidement que le produit intérieur brut au cours de la période couverte (17 ans).

Ces 2 constats signifient que la croissance économique importante entre 1994 et 2010, qui a été de 28,9%, ne s’est pas traduite par une hausse aussi prononcée du bien-être, soit 5,7% au total. Croissance plus lente du bien-être en période de prospérité, donc, mais aussi déclin plus marqué en période de crise. Cette dernière observation est inquiétante et mérite qu’on y prête attention dans les débats sur les politiques publiques.

Ces données rappellent que le Canada et le Québec sont eux aussi –tout comme les pays européens et les États-Unis– affectés par la crise qui continue de sévir dans les sociétés développées et par l’écart qui sépare le social et l’économique. Touchés à un degré moindre, certes, mais touchés quand même.

Un indice du bien-être
J’ai présenté l’indice canadien de mieux-être dans un billet précédent. Il est la somme de 64 indicateurs sociaux et culturels comme le taux de chômage, l’espérance de vie, la consommation de produits culturels, l’emploi du temps, etc. Ces indicateurs sont regroupés en 8 grands domaines: santé de la population, éducation, environnement, niveaux de vie, aménagement du temps, dynamisme communautaire, participation démocratique, loisir et culture.

L’intérêt de cet indice est qu’il est composite. Les dimensions peuvent donc être examinées séparément et on peut même suivre l’évolution de chacun des 64 indicateurs. Voici brièvement quelques observations à tirer de l’indice.

1- Le grand perdant: l’environnement
Les indicateurs caractérisant l’environnement ont fléchi depuis 1994, ce qui en fait la dimension perdante au sein de l’indice. Les émissions de gaz à effet de serre sont en nette hausse, mais les foyers contribuent moins à ce phénomène, ce qui est un point positif, et les maladies respiratoires reliées aux polluants atmosphériques causent un nombre accru de visites à l’hôpital, sans oublier que l’empreinte écologique par habitant au Canada est l’une des plus élevées au monde.

2- Des contraintes accrues sur l’emploi du temps
L’emploi du temps reste contraint depuis près de 20 ans, sans amélioration notable. Certains aspects s’améliorent, comme la proportion de travailleurs qui ont des horaires de travail flexibles, mais plusieurs indicateurs sont problématiques, tel le stress attribuable aux contraintes de temps qui est en hausse, notamment dans les déplacements vers le lieu de travail. Le temps moyen consacré aux activités avec la famille et avec les amis est par conséquent sous pression.

La participation à la société de consommation peut aussi s’avérer stressante. La panoplie des objets à consommer ne cesse de croître –l’offre de médias est plus élevée, les produits électroniques nous sollicitent de toute part–, ce qui a comme conséquence inattendue de créer de la frustration devant tant de choses à faire et si peu de temps disponible.

3- Des pressions sur les loisirs et la culture
La part des budgets familiaux consacrée aux loisirs et à la culture se situe à environ 10% de l’ensemble depuis une vingtaine d’années. Mais depuis la crise de 2008, les dépenses pour les loisirs et la culture sont en baisse et les activités que les ménages maintiennent coûtent plus cher. Cela s’ajoute à la diminution du temps consacré à ce type d’activités.

La dimension loisir et culture a été fortement touchée par la crise, tout de suite après l’environnement, ce qui indique manifestement une détérioration de la qualité de la vie.

4- Les niveaux de vie
La dimension niveaux de vie a été frappée de plein fouet par la crise dès 2008. L’inégalité de revenu a été en hausse et la part du lion de la croissance est allée aux plus riches. Le coût du logement a augmenté ainsi que le prix moyen des propriétés. La qualité perçue des emplois a diminué et le chômage de longue durée est plus marqué. Bref, la majorité des indicateurs caractérisant cette dimension se détériorent.

Un enjeu majeur se dessine nettement: comment mieux répartir les fruits de la croissance économique et comment éviter que certains ménages ne soient davantage pénalisés que les autres en période de crise, comme c’est le cas en ce moment.

5- La vie communautaire et la participation démocratique
Voilà 2 dimensions qui ont été moins affectées par les soubresauts de l’économie depuis 2008, mais qui avaient aussi marqué les progrès les plus lents au cours de la période couverte par l’indice de bien-être. La criminalité diminue tous les ans, le sentiment de sécurité physique se maintient, mais quelques signaux d’alarme apparaissent comme la diminution de la participation aux élections et la hausse de la proportion de personnes désabusées devant la politique, ce qui n’est pas sans soulever des inquiétudes pour la démocratie.

6- De lents progrès en éducation
La dimension éducation est l’une des 4 qui ne s’est pas détériorée depuis 2008, mais les progrès observables sur les différents indicateurs sont par ailleurs faibles. Le nombre de places en garderie et de diplômés universitaires augmente, mais à un rythme plus lent, alors que l’endettement des étudiants et le sous-emploi des diplômés récents s’accentuent.

7- En meilleure santé, oui mais…
Les indicateurs mesurant la santé des individus s’améliorent, mais plusieurs voyants rouges s’allument. Nous vivons plus longtemps, mais pas nécessairement en meilleure santé, et la prévalence de certaines maladies inquiète (diabète, cancer, dépression) alors que la consommation de tabac régresse. Les indicateurs liés aux coûts du système, en lien avec le vieillissement de la population, pointent vers le haut.

L’enjeu: l’avenir de la cohésion sociale
La croissance et le développement doivent être au service de l’être humain. Force est de constater que le divorce observé entre l’indice PIB et l’indice de bien-être montre que tel n’est pas nécessairement le cas.

La leçon à tirer est que la croissance économique ne doit pas être la seule finalité poursuivie par nos sociétés: encore faut-il qu’elle alimente aussi le mieux-être de la population, ce qui n’est manifestement pas toujours le cas.

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  1. Publié le 10 décembre 2012 | Par Jean-Claude Lachance

    Bonjour Simon,

    J'aime bien ta conclusion.

    On vit dans une période de plus en plus matérialiste, on dirait. Pour beaucoup la croissance économique fait foi de tout. Et de plus en plus de gens se définissent par rapport à ce qu'ils possèdent. Dans cette optique, ils ont tendance à partager de moins en moins, à être de plus en plus batailleurs pour s'approprier de plus en plus de richesse, même par la fraude et la collusion, des manières d'arracher aux autres leur petite part qu'ils ont de la richesse et du bien-être. Et bien des gens sont malheureux par le simple fait que leurs voisins possèdent plus qu'eux. Mais Leonardo da Vinci a écrit «Il ne faut pas appeler richesses les choses que l’on peut perdre».

    Je pense qu'on pourrait argumenter longtemps. Y a-t-il une équation entre bien-être et bonheur? Pour apprécier son bonheur je crois qu'il faut avoir connu le malheur.

    Bien! je m'éloigne sûrement un peu des réflexions que veut susciter ton blogue. Je te félicite d'occuper ton temps à l'analyse de la condition des humains.

    Jean-Claude Lachance

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