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Photo de Simon Langlois

L’appartenance aux classes moyennes s’accentue

De plus en plus d’individus affirment appartenir aux classes moyennes de la société québécoise lorsqu’on leur demande de se situer dans l’échelle sociale. Les classes moyennes ne sont pas en déclin, du moins si on se fie aux représentations sociales des individus. Certes, plusieurs nuages planent au-dessus de ces classes –comme on l’a montré dans un billet précédent– mais celles-ci demeurent une référence centrale dans l’imaginaire social, notamment lorsqu’on demande aux gens de définir la place qu’ils occupent dans la société.

classes_moyennes

 Nous avons mesuré l’appartenance de classe dans notre enquête sur les représentations sociales des inégalités et de la pauvreté à l’aide d’un indicateur largement utilisé dans les travaux sociologiques, soit l’autoclassement des répondants sur une échelle de statuts allant de 1 (bas statut) à 10 (statut élevé). L’énoncé de la question était formulé comme suit: «Dans notre société, il existe une certaine hiérarchie des statuts sociaux: des groupes se situent plutôt au sommet de la société et d’autres se situent plutôt en bas. Voici une échelle qui peut représenter cette hiérarchie. Aujourd’hui, où vous classeriez-vous personnellement sur cette échelle? Encerclez un chiffre.» Nous excluons de l’analyse les répondants qui ont moins de 25 ans, leur statut social étant encore incertain.

Le poids du centre
Les 2/3 des répondants se placent spontanément dans les classes du milieu de l’échelle proposée, soit dans les catégories 5, 6 et 7, comme on le voit dans le graphique ci-dessous. Cette forte proportion d’autoclassement au sein des classes moyennes n’est pas surprenante, et on observe le même phénomène dans toutes les sociétés développées.  

graphique

Deux fois plus de répondants se classent au bas de l’échelle sociale, soit 14,3% dans les 3 niveaux inférieurs, par comparaison avec les 3 échelons supérieurs qui recueillent 7,2% des réponses. Il y a donc une asymétrie certaine vers le bas de la distribution.

Les femmes sont systématiquement plus nombreuses à se classer dans les 5 premières catégories sociales situées au bas de l’échelle, alors qu’il y a davantage d’hommes dans les classes 6 et 7.

Par contre, la langue parlée au foyer (français ou anglais) ainsi que l’origine géographique (être né au Québec, au Canada ou à l’étranger) ne font pas varier de manière significative la représentation de la place occupée sur l’échelle.

Un sentiment partagé dans tous les groupes d’âge
Contrairement à ce à quoi on pouvait s’attendre, l’âge des répondants n’est pas associé au positionnement subjectif dans la structure sociale. Quel que soit leur âge, ceux-ci se placent à proportions à peu près égales dans les différentes classes sur l’échelle, à l’exception des personnes de plus de 65 ans qui ont tendance à s’autoclasser dans des positions un peu plus élevées que les autres. Les écarts entre les proportions demeurent cependant assez faibles (r = 0,07).

Il n’est donc pas possible d’avancer que le sentiment d’être déclassé socialement serait caractéristique des jeunes Québécois. Cette observation empirique confirme les résultats d’autres analyses sociologiques qui indiquent que les jeunes parviennent à faire leur place sur le marché du travail, contrairement à ce qui se passait il y a une vingtaine d’années ou encore à ce qui est observé en France et dans plusieurs autres sociétés européennes, par exemple.

Plus grande appartenance aux classes moyennes en début de carrière
Nous avons demandé aux répondants à l’enquête de se situer «10 ans auparavant» sur l’échelle des statuts qui a été analysée plus haut. Le graphique montre clairement que le sentiment d’appartenir aux classes moyennes s’est renforcé ces dernières années. Il y avait une moins forte concentration des réponses dans les catégories au centre de l’échelle 10 ans auparavant, et on observe la même asymétrie à droite dans la distribution des statuts sociaux subjectifs.

Le sentiment d’avoir progressé sur l’échelle sociale depuis 10 ans est par ailleurs assez contrasté dans les diverses catégories d’âge. Les plus jeunes (25-34 ans) et les répondants arrivés en milieu de vie active (35-44 ans) déclarent avoir progressé dans l’échelle sociale et ils ont très nettement augmenté leur positionnement au sein des échelons supérieurs (positions 6 et 7). Loin d’avoir le sentiment d’être déclassés socialement, les jeunes adultes québécois estiment avoir amélioré leur statut social dans les premières années de leur cycle de vie active.

Le sentiment d’avoir amélioré leur statut social est beaucoup moins présent dans le groupe d’âge suivant (45-54 ans) dont les membres sont caractérisés par une assez nette stabilité de leur classement subjectif sur l’échelle de statut social. Un glissement vers le bas se dessine clairement par la suite chez les 55-64 ans, et il y a un très fort sentiment de perte de statut social après l’âge de 65 ans. La prise de la retraite est associée par une bonne proportion de répondants à une baisse de statut social.

Diplôme, emploi et sentiment de progression
Si les jeunes ont davantage le sentiment d’avoir progressé dans l’échelle sociale depuis le début de leur entrée dans la vie active, c’est sans doute parce qu’ils sont mieux formés et qu’ils occupent de bons emplois en plus forte proportion. Nous analyserons plus en détail dans un prochain billet les facteurs associés à la représentation sociale de la place occupée dans la société.

La scolarité et la catégorie socioprofessionnelle –2 caractéristiques fortement corrélées, il faut le rappeler– sont associées aux changements qui ont pris place au sein des classes moyennes. Les personnes les plus scolarisées et celles qui occupent des emplois au statut plus élevé (cadres, professionnels et techniciens) estiment plus fréquemment avoir progressé vers les classes moyennes supérieures (échelons 6 et 7) alors que les répondants les moins scolarisés ainsi que les employés de bureau, les gens travaillant dans les domaines de la vente et des services de même que les ouvriers ont mentionné avoir amélioré leur statut social, mais en migrant vers des échelons inférieurs (4 et 5) des classes moyennes. Les répondants les plus scolarisés ont un capital culturel et de savoir-faire qui leur donne accès à des possibilités plus marquées de promotion et d’avancement que n’ont pas les autres, qui sont par ailleurs plus sujets au travail précaire, à l’instabilité et au déclassement professionnel.

Cette observation est importante, car elle donne à penser que les individus ont des chances inégales de mobilité sociale, et que les personnes disposant d’un capital culturel et social plus limité risquent davantage d’avoir de la difficulté à maintenir leur place au sein des classes moyennes québécoises, comme cela est observé dans d’autres sociétés développées.

La thèse d’Aristote
L’analyse de la perception du statut social présente un grand intérêt sur les plans normatif et politique. En effet, Aristote avançait, dans ses réflexions philosophiques sur la bonne vie en société, que la société la meilleure est celle qui est dominée par les classes intermédiaires, celle qui parvient à contrer la concentration de la richesse entre quelques mains et à minimiser l’extension de la pauvreté.

Le philosophe est l’un des premiers à avoir perçu l’importance des classes moyennes pour le bien-être collectif, la cohésion sociale et l’exercice de la démocratie. Le fort sentiment d’appartenance des répondants aux classes moyennes ne suffit pas à créer un groupement cohérent, mais il contribue certainement au sentiment de bien-être collectif et il est important pour assurer la cohésion sociale au sein de la société québécoise.

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