Regards sur la société
Publié le 22 novembre 2013 | Par Simon Langlois
Bonheur fragile chez la classe moyenne
Nous avons vu dans un billet précédent qu’une grande majorité des Québécois estiment être heureux. Un sentiment que confirme un autre indicateur classique dans les enquêtes sociologiques, soit la mesure de la satisfaction à l’égard de la vie qu’on mène. Cet indicateur, complémentaire à la question portant sur le bonheur, permet de caractériser le sentiment de bien-être. Or, dans notre enquête, le taux moyen de satisfaction est presque aussi élevé que le taux moyen de bonheur. Le sentiment de bien-être est donc marqué chez une majorité de Québécois, une bonne nouvelle par ces temps moroses qui passent trop souvent sous silence ce qui va bien: good news are no news, dit le proverbe.
Cependant, une analyse plus poussée des données de notre enquête sur le sentiment de justice sociale montre l’existence, bien que très minoritaire, de 2 types discordants de répondants: d’un côté, des gens heureux mais qui s’estiment insatisfaits de la vie et, de l’autre, des gens malheureux tout en étant satisfaits de la vie qu’ils mènent. Or, ces 2 types sont fort différents et révèlent 2 cas de figure illustrant les malaises typiques de notre époque.
1-Type heureux insatisfait
Commençons par étudier le premier type, celui des répondants se disant heureux mais insatisfaits de la vie menée (environ 7% de l’ensemble). Les individus de ce type appartiennent manifestement à la classe moyenne: maison en banlieue, professions intermédiaires (infirmières, enseignants, employés de bureau, techniciens), notamment. Se trouvent dans ce type des répondants ayant des revenus moyens, et aussi davantage de couples avec enfants. Le groupe d’âge des 51-64 ans y est surreprésenté, mais le niveau de scolarité des enquêtés n’entre pas en ligne de compte. Ces caractéristiques indiquent qu’une fraction de cette classe est coincée entre des aspirations élevées et des revenus insuffisants pour les satisfaire et elles donnent clairement à voir l’émergence de fortes inquiétudes au sein de la classe moyenne québécoise.
Les personnes nées en dehors du Canada sont aussi surreprésentées dans ce type. Le fait de s’estimer heureux mais insatisfaits de la vie exprime les sentiments vécus par certains immigrants qui n’ont pas encore réussi à bien s’intégrer dans la société d’accueil ou qui n’ont pas trouvé d’emploi correspondant à leurs qualifications. Ils ont des attentes en termes de revenus ou d’emplois qui sont manifestement insatisfaites tout en exprimant le sentiment d’être heureux dans leur vie quotidienne.
2-Type malheureux satisfait
Le second type discordant –comprenant des personnes malheureuses mais satisfaites à l’égard de la vie– est plus marginal que le précédent (2,5 %). Il est composé majoritairement de personnes parmi les plus scolarisées, et s’y trouvent par ailleurs surtout des répondants vivant seuls et des chefs de famille monoparentale. Les jeunes y sont aussi plus nombreux, de même que les étudiants à temps plein (une caractéristique évidemment corrélée avec l’âge). À noter, l’absence d’une relation avec le revenu, dont toutes les catégories sont également représentées dans le type.
Il faut conserver à l’esprit que ces relations statistiques sont basées sur de faibles effectifs, bien qu’elles apparaissent nettement. Bref, les personnes dans ce type ont sans doute de bonnes raisons de se dire malheureuses tout en étant satisfaites de la vie menée par ailleurs: le mode de vie en solitaire est difficile à supporter pour certains, l’obligation de travailler de nombreuses heures est pénible pour l’étudiant, etc.
Satisfaction implique bonheur, mais non l’inverse
Certaines personnes, satisfaites à l’égard de la vie, ont des raisons personnelles de se sentir malheureuses, notamment dans leurs relations de couple, mais ce cas de figure demeure assez marginal dans la société. La satisfaction impliquerait généralement le bonheur. Plus important est le cas de figure des répondants qui, tout en s’estimant heureux dans leur vie quotidienne, expriment de l’insatisfaction à l’égard de leur train de vie, ce qui est manifestement le cas d’une fraction de la classe moyenne en difficulté et d’un certain nombre d’immigrants.
Le sentiment de bien-être n’est pas seulement en lien avec le positionnement social objectif et relatif des individus. Il est aussi marqué par leurs aspirations et leurs attentes. Or, celles-ci sont susceptibles de se développer plus rapidement que les moyens de les satisfaire au sein des classes moyennes, comparativement aux populations pauvres et riches. Les démunis sont en effet généralement enfermés dans l’univers des besoins non satisfaits, alors que les individus les plus riches n’ont pas de difficulté à satisfaire leurs besoins ressentis. Il en va différemment pour les personnes de la classe moyenne qui sont en position de développer de grandes aspirations sans avoir nécessairement les moyens financiers de les satisfaire, ce qui n’est pas sans affecter leur sentiment de bien-être de manière dissonante.
«L’effet d’adaptation», mis de l’avant par l’économiste Amartaya Sen dans ses travaux sur la justice sociale, ne fonctionnerait pas nécessairement dans la société de consommation élargie, dans cette société marquée par l’enrichissement qui contribue à élever les attentes. Les gens ajustent-ils leurs aspirations (et leur recherche du bonheur) aux possibilités objectives qui sont les leurs? Rien n’est moins sûr, particulièrement au sein de la classe moyenne.
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Publié le 25 novembre 2013 | Par Gale West
Publié le 25 novembre 2013 | Par Simon Langlois
Oui la sociologie empirique apporte des précisions qui permettent de voir si les intuitions des philosophes ou les conjectures des théoriciens sont justes.
Publié le 24 novembre 2013 | Par Pierre Fraser
Publié le 25 novembre 2013 | Par Simon Langlois
C'est un très bon commentaire. Le stress au travail joue certainement, mais je pense que l'analyse des aspirations non satisfaites reste pertinente. Ce sont des journalistes qui ont transformé l'expression "No news is good news" en celle que j'ai mentionnée afin de montrer que les bonnes nouvelles font moins souvent la manchette...
Publié le 22 novembre 2013 | Par Gale West
D’ailleurs, l'expression en anglais est plutôt No news is good news. Dans l'absence de nouvelles, l'on présume que tout va très bien.
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