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La démocratie, tributaire d’une information de qualité

On sait que la liberté d’expression protège le droit de participer aux débats publics ainsi que celui de critiquer les institutions de pouvoir et les personnes qui les représentent. Mais on oublie trop souvent que la capacité même de formuler des critiques constructives et utiles au débat démocratique est inextricablement liée à la capacité d’avoir accès aux informations suffisantes pour porter un jugement éclairé sur les problématiques qui ponctuent nos vies.

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Or, l’obtention de ces mêmes informations repose bien souvent sur quelques corps de métiers qui, en principe, doivent être les plus indépendants possible des institutions de pouvoir. Parmi eux, les médias d’information traditionnels et les établissements de recherche, comme les universités. L’absence –ou l’érosion– des garanties d’indépendance que nous offrons aux individus qui occupent de telles fonctions menace notre capacité collective à prendre les meilleures décisions.

Pour des critiques fondées
Une des principales caractéristiques qui permet de distinguer les régimes démocratiques des régimes totalitaires est l’espace de liberté qu’on octroie à ceux et à celles qui souhaitent critiquer les différentes institutions de pouvoir sur la place publique: alors que les dictatures n’admettent aucune critique concernant les institutions dirigeantes, les démocraties reposent sur des principes qui exigent des gouvernements élus qu’ils acceptent –ou, du moins, tolèrent– les critiques formulées à leur égard, même celles qui le sont de manière virulente.

Bien entendu, le terme «critique» peut inclure tout et n’importe quoi, passant du propos le plus insignifiant, qui ne repose sur rien de tangible, à l’analyse détaillée d’un spécialiste de la question commentée. Il importe donc de rappeler que toutes les critiques n’ont pas la même valeur, une préférence étant clairement accordée aux «critiques fondées». En effet, la Cour suprême du Canada a identifié 3 valeurs au cœur de la liberté d’expression, en fonction desquelles il sera possible de hiérarchiser le degré de protection accordé au très vaste éventail d’activités expressives qui peuvent se manifester dans l’espace public. Ainsi les activités expressives qui contribuent à la recherche de la vérité, à la participation à la prise de décisions d’intérêts social et politique ainsi qu’aux différentes formes d’enrichissement et d’épanouissement personnels1 jouiront d’un degré maximal de protection, contrairement aux formes qui n’y contribuent pas (comme la diffamation2, la propagande haineuse3 ou la diffusion de fausses nouvelles4).

Ces 3 valeurs composant le cœur de la liberté d’expression rappellent avec force que les citoyens ont un impératif besoin d’avoir accès à un très large spectre d’informations crédibles et de qualité pour pouvoir exercer valablement leurs droits démocratiques, incluant le droit de vote et la liberté d’expression. En effet, les choix de toute personne dépendront toujours de l’information qu’elle a en main au moment où elle fera ce choix. Par exemple, si l’on réussit à convaincre une majorité d’électeurs et d’électrices qu’un candidat à une élection est lié au crime organisé, il est plausible de croire qu’ils ne voteront pas pour cette personne.

Protéger les corps de métiers liés à l’information
C’est donc pour garantir l’effectivité du droit fondamental d’accès aux informations d’intérêt public que plusieurs corps de métier indépendants des institutions de pouvoir ont été créés, notamment les médias d’information traditionnels, plusieurs établissements de recherche (comme les universités) et les organismes ayant pour but de garantir que les gouvernements ne restreignent pas indûment l’accès à des documents d’intérêt public qu’ils détiennent (comme la Commission d’accès à l’information du Québec5). L’indépendance de telles institutions –et des individus qui y travaillent– doit, en principe, prendre la forme de très fortes protections pour l’exercice de la liberté de parole sans égard aux intérêts particuliers des institutions qui les emploient.

Autrement formulé, dans un monde idéal, aucun journaliste ni aucun chercheur ne seraient empêchés de travailler sur un dossier d’intérêt public (ni de publier les résultats de leurs analyses) dans un contexte où ce dossier est incompatible avec les intérêts particuliers de l’institution qui l’emploie. Contrairement aux règles qui prévalent largement en droit du travail6, il devrait être clair que ces journalistes ainsi que ces chercheurs et ces chercheuses ont d’abord une «obligation de loyauté»7 envers la population en général plutôt qu’envers les institutions qui les emploient.

La nature spéciale des fonctions occupées par les membres des médias d’information traditionnels et des établissements de recherche est d’ailleurs au cœur de plusieurs principes associés à la liberté d’expression qui ont été consacrés juridiquement dans plusieurs démocraties, incluant au Canada, tels que la liberté de la presse8, la liberté universitaire (ou académique)9 et le droit d’accès à l’information d’intérêt public10. Malheureusement, ces protections fondamentales sont trop souvent présentées comme étant des «privilèges» accordés aux membres de certains corps de métiers, alors qu’ils constituent des pans fondamentaux du droit des citoyens d’exercer leurs droits démocratiques dans un véritable processus de «recherche de la vérité». 

Dans une ère où les sources de désinformation malicieuses pullulent11, et considérant que les informations d’intérêt public pouvant nuire aux différentes institutions de pouvoir sont souvent très difficiles à obtenir, la protection de l’indépendance de tels corps de métiers n’a sans doute jamais été aussi importante qu’aujourd’hui.

1 Irwin Toy Ltd. c. Québec Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927.

2 R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439.

3 Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, [2013] 1 R.C.S. 467.

4 R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731.

5 http://www.cai.gouv.qc.ca

6 Voir notamment l’excellent article de Christian BRUNELLE et Mélanie SAMSON, «La liberté d’expression au travail et l’obligation de loyauté du salarié : plaidoyer pour un espace critique accru», (2005) 46 Cahiers de droit 847, [en ligne: https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2005-v46-n4-cd3843/043869ar/] (qui est toujours d’actualité malgré le fait qu’il ait été publié en 2005).

7 Obligation codifiée à l’article 2088 du Code civil du Québec et dont l’interprétation jurisprudentielle exige notamment des salariés qu’ils fassent «primer les intérêts de l’employeur avant les [leurs]»: Charles WAGNER, «Un nouveau chapitre pour le devoir de loyauté», Billet publié en ligne le 23 mars 2016 sur le site du cabinet d’avocats Langlois: http://langlois.ca/un-nouveau-chapitre-pour-le-devoir-de-loyaute/

8 Protégée expressément par la Charte canadienne des droits et libertés (article 2b) et la Charte québécoise (article 3).

9 Voir notamment: Pierre TRUDEL, «La nécessaire liberté académique» dans le Journal de Québec, 8 juillet 2014, [en ligne: http://www.journaldemontreal.com/2014/07/08/la-necessaire-liberte-academique] et Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), «Liberté académique», [en ligne: https://www.caut.ca/fr/latest/publications/academic-freedom].

10 Voir notamment l’arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyer’s Association, [2010] 1 R.C.S. 815, dans lequel la Cour suprême a confirmé que ce droit découlait de la protection de la liberté d’expression dans la Charte canadienne et l’article 44 de la Charte québécoise.

11 Voir notamment: Romain BADOUARD, «Le désenchantement de l’Internet: désinformation, rumeur et propagande», conférence diffusée en ligne: https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/le-desenchantement-de-linternet-desinformation-rumeur-et-propagande]; Pascal LAPOINTE, «2016: l’année où la désinformation a pris un nouveau visage», La Presse, 23 décembre 2016, [en ligne:  http://www.lapresse.ca/actualites/sciences/201612/23/01-5054194-2016-lannee-ou-la-desinformation-a-pris-un-nouveau-visage.php]

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