Droits de la personne et démocratie
Publié le 29 mars 2019 | Par Louis-Philippe Lampron
Loi sur la laïcité: déroger aux chartes n’empêchera pas les contestations
Après plusieurs mois de suspense, la Coalition avenir Québec (CAQ) a finalement déposé son projet de loi 21 sur la laïcité de l’État à l’Assemblée nationale. Dans sa mise en œuvre, le gouvernement entend recourir à deux dispositions générales de dérogation des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés de la personne.
Cette approche a pour but d’interdire d’éventuelles contestations de cette loi sur la base de droits protégés par ces deux chartes. Une des principales raisons avancées par les responsables du dossier, dont le premier ministre François Legault, pour justifier cette décision serait de faire primer la volonté de la majorité et d’éviter les longues contestations judiciaires. Or, plusieurs arguments, au-delà de ceux fondés sur l’illégitimité du processus, portent à croire que le recours préventif à ce mécanisme de dérogation n’empêchera pas les contestations fondées sur les droits et libertés… même en vertu des deux chartes visées.
Est-il possible de déroger aux chartes?
D’emblée, il faut préciser que les deux chartes des droits applicables sur le territoire québécois, soit la charte canadienne et la charte québécoise, prévoient spécifiquement la possibilité de suspendre l’application de certaines dispositions protégées par ces mêmes chartes. Les dispositions dont il est question sont celles citées à l’articles 33 de la Charte canadienne des droits et libertés1 et à l’article 52 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après la Charte québécoise)2.
En peu de mots comme en cent, ces dispositions permettent aux législateurs (fédéral comme provinciaux) de prévoir, par l’entremise d’un article de loi, le traitement de cas particuliers où ces deux chartes ne pourraient être invoquées pour contester des violations aux droits fondamentaux.
C’est précisément l’effet poursuivi par les articles 29 et 30 du Projet de loi no 21 sur la laïcité de l’État au sein desquels le législateur affirme son intention de soustraire les dispositions de la loi sur la laïcité à d’éventuelles contestations fondées sur les chartes.
En principe, l’expression claire de cette intention du législateur suffirait pour rendre les chartes inapplicables. En effet, l’arrêt Ford3, rendu par la Cour suprême du Canada en 1988, seul arrêt où la Cour s’est penchée de manière substantielle sur les conditions de validité d’une disposition de dérogation à la Charte canadienne4, a établi que les tribunaux ne pouvaient pas évaluer la raisonnabilité des motifs invoqués par le législateur pour justifier son recours au mécanisme de la dérogation.
Les répercussions du projet de loi 21 sur les droits des minorités
En interdisant le droit de porter des signes religieux à plusieurs catégories de fonctionnaires en situation d’autorité (incluant les enseignant.es et directeurs/trices d’écoles primaires et secondaires), il est clair que le projet de loi no 21 a pour effet de désavantager les membres de plusieurs groupes religieux minoritaires qui croient sincèrement devoir porter certains signes religieux pour se conformer à leur foi (contrairement à l’écrasante majorité de la population québécoise – chrétiens, agnostiques ou athées – qui n’a aucun effort à faire pour respecter cette interdiction). Cet état de fait est suffisant pour démontrer l’existence d’une violation au droit à l’égalité des membres de ces groupes minoritaires en vertu de l’article 10 de la Charte québécoise et de l’article 15 (1) de la Charte canadienne.
Comme tous les droits fondamentaux protégés par les chartes, le droit à l’égalité n’est pas absolu. L’État, les employeurs ou les organismes gouvernementaux ont toujours la possibilité de fournir des motifs sérieux permettant aux tribunaux de conclure que des atteintes aux droits fondamentaux peuvent se justifier dans une société libre et démocratique. C’est dans cette optique que la Cour suprême a établi le fameux test de l’arrêt Oakes permettant de déterminer, à la lumière du contexte particulier propre à chaque litige et tenant compte des intérêts supérieurs de la collectivité, dans quelle mesure certaines lois ou décisions peuvent être sauvegardées mêmes si elles causent des atteintes à certains droits fondamentaux.
Le recours au mécanisme de la dérogation permettrait ici à la CAQ de se borner à affirmer l’existence d’un «consensus» entourant son projet de loi (ou sa «conviction» que le projet de loi est inclusif et respecte les balises prévues par les chartes des droits) sans avoir à soumettre la validité de ses arguments à l’analyse du tiers indépendant qui doit nécessairement être responsable de l’interprétation des droits et libertés5.
Les balises de l’arrêt Ford ne sont pas coulées dans le béton
Depuis la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 , il est clair qu’un des objectifs qui sous-tendent la codification internationale des droits et libertés de la personne est de fournir des garanties institutionnelles permettant de protéger les droits des minorités contre des abus potentiels des groupes majoritaires. C’est pourquoi le simple recours à la volonté de la majorité ne peut jamais suffire pour justifier la violation des droits des minorités… et encore moins leur suspension par le truchement d’une disposition de dérogation.
L’importance de la protection des droits des minorités a par ailleurs été progressivement renforcée dans le corpus jurisprudentiel propre à la mise en œuvre des droits et libertés de la personne en droit constitutionnel canadien. Pensons notamment au Renvoi relatif à la sécession du Québec, rendu en 19986, dans le cadre duquel la Cour suprême a érigé la protection des minorités au rang de principe constitutionnel sous-jacent – non seulement à la Charte canadienne mais à la Constitution en entier.
L’arrêt Ford a été rendu il y a maintenant plus de trente ans, dans un contexte sociopolitique très différent de celui que nous vivons actuellement et sans que les conditions qui y ont été établies n’aient été sérieusement remises en cause. Le droit constitutionnel est en continuelle évolution et mène souvent à d’importantes modifications jurisprudentielles. Qu’il s’agisse, pour s’en convaincre, de penser à l’important élargissement des activités associatives protégées par la liberté d’association (qui protège aujourd’hui le droit de grève7, alors qu’une telle idée aurait été impensable en lisant les arrêts rendus en 19878) ou au renversement de l’arrêt Rodriguez9 par l’arrêt Carter10 en ce qui concerne les soins de fin de vie.
Considérant, d’une part, la violation aux droits fondamentaux de groupes minoritaires qui découle manifestement du projet de loi no 21 dans son état actuel et, d’autre part, l’évolution du droit constitutionnel et international en matière de droits de la personne au cours des trente dernières années, il m’apparaît que la constitutionnalité de l’utilisation préventive des dispositions de dérogation pourrait être contestée en l’espèce (avec des chances raisonnables de succès). Cette simple possibilité démontre, à mon avis, la grande naïveté du gouvernement actuel s’il croit limiter les contestations de son projet de loi par le recours à ce mécanisme.
Reste à espérer qu’à la faveur des consultations qui s’ouvriront au cours des prochaines semaines, la CAQ décidera de reculer sur son projet d’inclure une disposition de dérogation et s’emploiera plutôt à construire un argumentaire concret, solide et sérieux qui lui permettrait de convaincre les tribunaux de la raisonnabilité des mesures qu’elle souhaite imposer aux groupes minoritaires (quitte, si elle ne trouve pas d’arguments suffisamment sérieux, à modifier ces mesures en conséquence).
1 «33. (1) Le Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte. (2) La loi ou la disposition qui fait l’objet d’une déclaration conforme au présent article et en vigueur a l’effet qu’elle aurait sauf la disposition en cause de la charte. (3) La déclaration visée au paragraphe (1) cesse d’avoir effet à la date qui y est précisée ou, au plus tard, cinq ans après son entrée en vigueur. (4) Le Parlement ou une législature peut adopter de nouveau une déclaration visée au paragraphe (1). (5) Le paragraphe (3) s’applique à toute déclaration adoptée sous le régime du paragraphe (4).» ↩
2 «52. Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte.» ↩
3 Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712. ↩
4 Principes par ailleurs transposables, mutatis mutandis, pour déterminer la validité d’une dérogation à la Charte québécoise. ↩
5 Voir notamment sur cette question le texte que j’ai publié il y a quelques années: Louis-Philippe LAMPRON, «Pour en finir avec la critique inconsidérée du ‘‘gouvernement par les juges”», Le Devoir, 24 février 2015. ↩
6 Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217. ↩
7 Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, [2015] 1 R.C.S. 245. ↩
8 Voir notamment l’arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313. ↩
9 Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519. ↩
10 Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331. ↩
Publié le 16 décembre 2019 | Par Pierre Cloutier
Publié le 16 décembre 2019 | Par Jacques Légaré
Où est le désavantage à se dévoiler ? Il est religieux. Alors depuis quand la loi démocratique doit se laisser limiter par quelque loi de Dieu, a fortiori arbitrairement affirmée et prescrite dans des détails à la fois insignifiants (rituels) et même pas universellement partagée par toutes les religions, ni même à l’intérieur de chacune entre les membres aux opinions diverses ?
Bref, depuis quand un caprice individuel doit pouvoir raisonnablement se draper dans un droit de religion surfait et sans réserve ? Même pas la réserve de s’astreindre à ne pas être capricieux. Un caprice (fantaisie individuelle) est-il un «motif sérieux», critère exigé à la fois par Me Lampron et par les cours ?
«La violation des droits des minorités…», la loi de la laïcité ?
Il faudrait définir ce qu’est une «minorité». Les critères de définition d’une minorité sont-ils déjà acceptés par le législateur ? N’importe quel quidam peut-il s’associer à d’autres et s’autoproclamer «minorité» ?
En religion, à la différence de l’ethnie, de la race, de la langue, n’importe qui, en nombre si minime, peut s’autoproclamer «minorité». Religion, secte, confession ne sont même pas rigoureusement circonscrites dans nos lois.
La raison : c’est impossible car la déraison préside à leur aire respective, et tout y est souvent en effervescence instable et ingérable. Ainsi, une communauté nationale peut éclater ou ne pouvoir jamais se former. C’est le cas du Liban et de l’ex-Yougoslavie.
Me Lampron a-t-il raison de mettre au même rang, à la même importance juridique tout le Canada francophone et la plus minuscule secte religieuse ? À ce titre, une secte religieuse antispécifiste pourrait par prosélytisme s’imposer à tout le Canada sur la base même qu’elle a proclamé l’absolue interdiction de la mise à mort de tout animal. Est-ce acceptable ? Sociétalement viable ?
Ces extravagances sont du même ordre (aberration injustifiable) que l’interdiction musulmane de reproduire le visage d’Allah ou de Mahomet. À cette aune-là, et si le droit et le législateur y souscrivent, l’unité culturelle d’un pays vole en éclats. À terme, son unité politique.
C’est l’emploi d’un gros mot que : « Une violation au droit à l’égalité des membres de ces groupes minoritaires ». En quoi une restriction fort limitée en temps, et au seul vêtement, constitue-t-elle si gravement une «violation» ? Quand la vitesse des voitures (toutes de propriété privée) est limitée à 100 km/h et limitée à la route ou à l’autoroute, qui se dit violé en ses droits de se déplacer ?
En religion, ou «liberté de religion» surfaite, gonflée et d’une autre époque, la déraison sera toujours la règle, et la paix sociale et culturelle constamment menacée.
Avec Me Lampron, plaidons pour l’accélération moderniste du droit canadien, bien en retard avec sa considération exagérée pour les fous de Dieu dignes des années 1930 : « Le droit constitutionnel est en continuelle évolution», pas assez rapide.
Ce sera un plaisir, Me Lampron, de vous assister en ce sujet (la laïcité) si vous souhaitez aider nos élus à présenter à leurs électeurs selon vos mots « un argumentaire concret, solide et sérieux».
Jacques Légaré
ph.d. en philosophie politique.
Publié le 10 avril 2019 | Par Serge St-Pierre
Publié le 6 avril 2019 | Par Mounir Lastoury
La relation entre le voile et la subordination est indémontrable. C'est même relativement facile de démontrer le contraire.
Cette idée que vous avez est une perception, probablement entretenue par des analyses subjectives que vous écoutez à répétition.
Publié le 4 avril 2019 | Par Nolywé Delannon
Publié le 4 avril 2019 | Par Denyse Lamothe
En effet, rien dans le Coran n'exige des femmes musulmanes de se couvrir le visage. C'est de par leur subordination aux maris et aux imams qu'elles doivent le faire, ce qui est contraire à l'égalité hommes-femmes qui est institutionnalisée au Québec par l'existence du Conseil du Statut de la femme.
Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.
commentez ce billet